Une société de transport de voyageurs a recours à des chauffeurs roumains ne maîtrisant pas le français pour conduire des cars scolaires dans le Bugey et en Nord-Isère. La FNTV, par la voix de son délégué régional, Alexandre Geoffroy, met en doute la sécurité des enfants.
Depuis la rentrée, une entreprise de transport de voyageurs effectue le ramassage scolaire dans le Bugey et le Nord-Isère en faisant appel à des chauffeurs roumains. Votre fédération est vent debout. Pourquoi ?
Ce n’est pas la nationalité qui pose problème, c’est le fait que ces personnes se sont vues remettre un volant sans maîtriser le français. Le problème, c’est la sécurité ! Comment, dans ces conditions, réaliser l’accueil de bonne manière, répondre aux questions des voyageurs, de surcroît, des scolaires, des enfants ? En cas de pépin, comment le chauffeur réussira-t- il à faire évacuer le car dans de bonnes conditions ? C’est clairement un risque qui est pris. La Fédération Nationale des Transports de Voyageurs (FNTV), organisation professionnelle qui représente près de 90 % des entreprises de transport routier de voyageurs, dénonce cette pratique qui va à l’encontre des règles de sécurité les plus élémentaires.
A-t-on relevé des incidents ?
La FNTV a été alertée de cette situation pour le moins inédite par la voix de ses adhérents qui opéraient sur ces lignes scolaires jusqu’à la rentrée de septembre 2019. Certains parents d’élèves, très inquiets, se sont constitués en association afin de dénoncer cette situation mettant en danger les enfants transportés. Des parents ont témoigné de l’impossibilité de communiquer avec ces chauffeurs. À un élève qui lui posait une question sur le trajet, un chauffeur lui a remis un document comportant le contact d’une personne qui appeler. Une mère de famille faisant part de son inquiétude au transporteur s’est vue répondre par ce dernier que les enfants pouvaient très bien s’adresser en anglais aux conducteurs. On a pu relever également des élèves laissés sur le bord de la route ou des arrêts qui n’ont pas été respectés… Tout cela est un moindre mal car cela aurait pu être pire ! Si on continue comme cela, un jour ou l’autre, il y aura un drame.
Pour autant, cette situation n’est-elle pas que temporaire ? Tôt ou tard, les chauffeurs finiront bien par connaître la langue française !
Oui, sauf que les élèves, entre temps, auront été transportés deux fois par jour et qu’on aura largement eu le temps de voir arriver des accidents ou tout autres drames. Auxquels cas, on dira que tout cela ne serait pas arrivé si ces chauffeurs s’étaient vus remettre un volant, une fois la langue maitrisée.
La société de transport de voyageurs en question a pourtant remporté l’appel d’offre en respectant tous les critères !
Les marchés sont très bien faits, mais ils ne prévoient pas, à l’heure actuelle, la maîtrise de la langue française. En tout état de cause, concernant l’Ain et le Nord-Isère, le donneur d’ordre était parfaitement au courant de la situation. Il savait que sur certaines lignes, le conducteur ne parlait pas français.
Les transporteurs manquent de chauffeurs ! N’est-ce pas là le fond du problème ?
Il y a toujours eu pénurie de conducteurs dans le transport. Plus encore depuis environ deux ans. C’est aussi l’évolution de la société où plein de métiers ne trouvent pas preneurs. Qu’est-ce qui intéresse un jeune aujourd’hui ? Pas si évident que cela à savoir ! Il est vrai que le métier a ses avantages, mais aussi ses contraintes.
C’est le plus souvent une activité à temps partiel, avec des horaires compliqués, pas très bien payée, où il faut avoir 21 ans minimum, le permis poids lourd et une formation spécifique. Au final, des métiers peu attractifs !
Il faut attendre 21 ans en effet pour pouvoir passer le permis des transports en commun et c’est en cela un frein. Un jeune qui ne veut pas poursuivre d’études et qui souhaite entrer dans la vie active, on ne le fait pas attendre jusqu’à ce qu’il ait 21 ans. C’est pour cela que dans nos métiers, on trouve beaucoup de retraités ou de gens en reconversion professionnelle. Pour ce faire, nous avons demandé au Secrétaire d’Etat aux Transports d’abaisser l’âge du permis D à 18 ans. Cela permettrait de faire venir des plus jeunes dans la profession et de renouer avec des institutions avec lesquelles on a perdu pied. Notamment, l’Education nationale, qui ne propose pas de formation au métier de conducteur de transport de voyageurs.
Est-ce que la situation que vous dénoncez met en danger la santé des entreprises régionales spécialisées ?
Oui, cela peut ! Il y a quand même une quarantaine de lignes qui ont été perdues en Isère par les transporteurs historiques. C’est aussi le jeu de la concurrence, me direz-vous, et puis, les marchés ont été bien traités. Ce qui est regrettable, c’est qu’un transporteur en France ne gagne pas sa vie avec les transports scolaires. Les prix sont très bas. On fait véritablement au plus juste. Ce qui tue une entreprise, ce sont les offres économiquement trop basses, mais ce n’est pas propre au secteur du transport de voyageurs.
Comment allez-vous faire pour sortir de cette situation qui semble compliquée ?
En Isère, le Conseil départemental nous a entendus et il a modifié ses appels d’offres en exigeant la maîtrise de la langue française pour le poste de conducteur. C’est un message positif envoyé à l’ensemble de la profession. Je pense que le Conseil régional, que nous avons aussi interpellé, devrait logiquement faire de même. En attendant, la FNTV Auvergne- Rhône-Alpes, qui ne peut que partager la légitime inquiétude des parents d’élèves et de leurs associations représentatives, soutient l’engagement de ses adhérents en matière de sécurité, de qualité de service et de respect des passagers transportés. Elle demande en conséquence, et de manière prioritaire, que ces conducteurs soient immédiatement remplacés par des conducteurs maîtrisant la langue française.
Pour finir, quel est le poids de la FNTV ?
La Fédération Nationale des Transports de Voyageurs représente plus de 1.000 entreprises de toutes tailles (TPE, PME et groupes) du TRV. Ses adhérents emploient 65.000 salariés parmi les 100.000 du secteur et possèdent les deux tiers du parc d’autocars français (45.000 sur 72.000 véhicules). Grâce à son expertise du transport routier de voyageurs et à son ancrage territorial, la FNTV porte auprès des pouvoirs publics et des élus les propositions qui traduisent les attentes de ses adhérents et anticipent les enjeux du secteur. Elle plaide pour un développement du transport routier de voyageurs, une solution de mobilité confortable, fiable, sûre et durable. La FNTV Auvergne Rhône Alpes est la délégation régionale de la FNTV sur ce territoire. Elle compte 207 entreprises adhérentes pour 12 000 salariés et 7 000 autocars.
Propos recueillis par Éliséo Mucciante
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