Christophe Ménézo : « En biomimétisme, nous passons de l’observation à la conception »

par | 16 juillet 2021

Spécialisé dans le bâtiment et l’énergie solaire, le Professeur à l’Université de Savoie Mont Blanc (USMB) et directeur du LOCIE à Polytech’Annecy-Chambéry, se réjouit que la bio-inspiration, belle idée sur le papier, se concrétise enfin en recherche appliquée. Interview.

Qu’entend-on par biomimétisme au juste ?

La nature cumule 3,8 milliards d’années de R&D… Labos et entreprises s’en inspirent de plus en plus pour innover et se transformer, à condition de repérer les propriétés remarquables. Le biomimétisme n’est ni une science, ni une discipline, mais un état d’esprit à appliquer dans la recherche, comme mon livre l’explique aux jeunes diplômés(1). Des problématiques industrielles, environnementales, de santé ou urbaines peuvent être résolues en plagiant les réponses – plutôt économes en énergie et en ressources – que des animaux ou des plantes ont inventées avant nous. Il existe plusieurs manières de calquer Dame Nature. D’abord, par la forme. Les designers du TGV japonais ont copié le bec du martin-pêcheur pour une meilleure pénétration dans l’air, les constructeurs d’avions ont ajouté des ailettes à leurs appareils sur le modèle des aigles, pour gagner en stabilité, ou ont posé des revêtements inspirés de la peau de requin à des fins d’aérodynamisme. Puis, pour mettre au point les façades des bâtiments du futur, nous recherchons des matériaux qui interagissent différemment avec leur environnement selon le niveau d’humidité ou de rayonnement, comme la pomme de pin qui s’ouvre lorsque l’atmosphère est sèche ou le tournesol qui se tourne vers le soleil. Toutes les caractéristiques permettant de s’adapter aux contraintes climatiques ou de collecter de l’énergie sont précieuses.

L’étape ultime consisterait à copier les écosystèmes naturels ?

C’est l’avenir. Quand les feuilles tombent, on n’organise pas un ramassage. Nos industries produisent en ligne des choses dont personne ne veut, la nature fonctionne en cycles. Chaque déchet est transformé en source d’énergie pour un autre organisme. Autant s’inspirer des systèmes naturels. Dans le projet Citybiom auquel nous participons, nous cherchons à optimiser la gestion des villes et limiter leur impact environnemental en observant les échanges continus et efficaces de la nature. Le LOCIE travaille avec le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), en partenariat avec un biologiste du laboratoire Ampère (École centrale de Lyon) spécialisé sur les protéines et leur capacité d’optimisation de l’espace. Je regarde les villes sous l’angle des énergies et des ressources, lui de l’espace. Nous nous intéressons aux propriétés énergétiques et mécaniques dans la nature, structures 3D et agencements dans les organismes vivants. La microalgue unicellulaire diatomée, pour ses propriétés de filtration, l’aérogel de silice, pour ses caractéristiques d’isolation, peuvent par exemple servir. Les cocons en soie ont aussi des effets thermoélectriques pour réguler les températures ; ils seraient reproductibles en impression 3D…

A l’INES, des capteurs solaires 3D développés sont directement inspirée de l’arbre pour la récupération de chaleur

Pensez-vous réellement que la nature soit une source infinie de solutions ?

Assurément. Prenons les enveloppes de bâtiment. Les insectes et les plantes sont des bibliothèques. Les cuticules sont multifonctionnelles, permettant filtration, transfert de chaleur, protection des rayonnements, captation optique… Demain, nos façades pourraient être calquées sur les insectes, avec exosquelette et structure portante pour gérer la respiration, recouvertes d’enduits aux propriétés spécifiques pour la protection.

Cette approche est synonyme de rupture avec ce qui existe ?

Nous avons toujours conçu le bâtiment avec une tête de ventilation centralisée, à notre image. Chaque système est un organe. Alors que les insectes, eux, n’ont pas de cœur ou encore de poumons pour respirer. Ils ont des ventilations naturelles, des poches d’air pour ne pas avoir de problèmes de dépression. Ils respirent en volant. Les papillons ont des traitements optiques qui varient selon la longueur d’onde et l’angle avec lequel le rayon arrive. C’est très prometteur pour les revêtements de bâtiments qui ont besoin d’absorber les rayons en hiver lorsque le soleil est bas et de les repousser en été, lorsque les angles sont plus prononcés. De quoi concevoir aussi des traitements antireflet dans le photovoltaïque. Des surfaces sont très hydrophobes, comme celle du nénuphar. D’autres ont des poils pour capter les microgouttelettes. D’autres encore sont spongieuses et conservent l’humidité, avec des microréservoirs de stockage… Autant d’innovations en perspective.

L’énergie semble de plus en plus au cœur des préoccupations ?

Des animaux ouvrent de grands champs de perspectives, notamment dans la conversion piézoélectrique et le stockage d’énergie. Les poissons qui génèrent de l’électricité sont fascinants. La lumière froide est aussi source d’études, c’est-à-dire la conversion d’énergie chimique en lumière, maîtrisée par les lucioles, escargots marins… Biologie et ingénierie n’ont pas fini d’être connectées.

Les collaborations internationales sont-elles fréquentes dans un domaine si vaste ?

C’est une nécessité. L’Agence nationale de la recherche (ANR) et la Fondation nationale de la recherche (NRF) de Singapour ont, par exemple, signé des accords de coopération pour cofinancer ce genre de projets. Nous regardons ce qui se fait en Europe et à Singapour pour les revêtements et les stratégies de gestion d’îlots de chaleur urbains. Ici, à l’Institut national de l’énergie solaire, nous développons des capteurs solaires 3D inspirés de l’arbre pour la récupération de chaleur. Nous menons plusieurs projets d’enveloppes bioinspirées qui réagissent aux stimuli extérieurs.

Être en Savoie est-il positif ou handicapant dans ce domaine ?

Même si le Ceebios (centre européen d’excellence en biomimétisme) est situé à Senlis dans l’Oise, nous sommes bien connectés. Et au niveau régional, les possibilités de collaborations sont multiples. Par le passé, j’ai cocréé le BIG (Bio Inspired Group) avec un biologiste et EDF à Lyon, afin de fédérer ceux qui étudient la nature avec les chercheurs en matériaux. Et le nombre de PME et ETI est gage de soutien. L’agence d’architecture Patriarche, située sur Technolac, est ainsi devenue mécène de la fondation de l’USMB.


Parcours

Jusqu’en décembre 2015
Titulaire de la chaire “Habitats et innovations énergétiques” INSA Lyon/EDF. Il a été Maître de Conférences à l’université Lyon 1 et chercheur au Centre de thermique et d’énergétique de Lyon

2005
Coordinateur “Énergétique des systèmes solaires” au CETHIL UMR5008 (INSA/CNRS/université Lyon 1).

2008
Recruté à l’Université Savoie Mont Blanc (USMB), responsable “Bâtiment et intégration solaire” au LOCIE.

2019
Responsable “Bâtiment vert/intelligent dans le réseau international Sinergie du CNRS/CEA/NTU Singapour.
Directeur adjoint de l’EUR Solar Academy Graduate School (USMB/CNRS/CEA) ainsi que de la chaire CITEE sur l’efficacité énergétique (USMB/HES Hepia/Université de Genève).


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