Claudie Blanc, Directrice de Savoie Mont Blanc Tourisme : « la parole se libère sur l’urgence climatique »

par | 04 décembre 2019

Elle a pris en juin la succession de Côme Vermersch à la direction de Savoie Mont Blanc tourisme, mais elle connait la maison depuis treize ans… et le terrain depuis toujours. L’enfant de Bourg-Saint-Maurice Les Arcs s’exprime sur les mutations en cours de l’activité touristique en montagne. Avec passion et lucidité. Voici son interview.

Nous sommes à quelques semaines du début de saison. Comment se présente-t-elle ?

Il est toujours délicat de faire des pronostics, mais selon le bureau d’études G2A, qui réunissait il y a peu les socio-professionnels, la tendance serait à la stabilité par rapport à l’an dernier. Ce sera très bien si ça se confirme car la saison dernière constitue un record de fréquentation depuis 25 ans avec 41,1 millions de nuitées ! La plus forte progression intervenant en période de vacances scolaires, et plus précisément au printemps avec +14 %.

« Jusqu’à présent, on parlait d’environnement, de développement durable… Ces derniers mois le discours a effectivement changé, il s’agit maintenant clairement “d’urgence climatique ».

Pour autant, la France n’est plus sur la première place du podium mondial…

Elle est même sur la troisième marche, derrière les USA et l’Autriche avec 53,4 millions de journées skieurs (dont 33,3 millions pour Savoie Mont Blanc). Le marché américain (59 millions) est un peu à part, mais il faut s’interroger sur la concurrence autrichienne (54,1 millions). Leur approche est très tournée vers le client, le service, tandis que nous continuons à travailler sur l’offre, au risque parfois de ne pas assez prendre en considération l’accueil de nos clientèles. Et puis, les Autrichiens mènent des actions fortes sur la durabilité de l’activité car il en va de la survie d’un secteur économique majeur pour le pays, même si celles-ci sont parfois mal interprétées… Les problématiques liées au réchauffement climatique sont en train de devenir primordiales !

C’est un discours nouveau…

Jusqu’à présent, on parlait d’environnement, de développement durable… Ces derniers mois le discours a effectivement changé, il s’agit maintenant clairement “d’urgence climatique”. On ne peut plus se voiler la face : les glaciers sont à l’agonie ! Ça fait mal. C’est une véritable sonnette d’alarme dans nos consciences de montagnards. À l’instar des pôles, les changements vont plus vite dans nos massifs, c’est visible d’une saison à l’autre. L’évidence est là. Allonsnous poursuivre sur le mode “business as usual ? ”. Faire comme si de rien n’était ? Plus possible. Le modèle de développement du tourisme que nous avons connu en montagne doit forcément évoluer. Mobilité, rénovation de l’habitat, économie d’énergie, gestion de la ressource en eau, préservation du foncier… C’est un défi inouï, une perspective extraordinaire qui attend les acteurs de la montagne française, nous devons tous y prendre part, chacun à son niveau, chacun dans son rôle. Domaine skiable de France vient de lancer un appel à la mobilisation, bravo ! Allons-y. Auvergne Rhône-Alpes tourisme promeut le « tourisme bienveillant », on y va aussi. On relaie les « bonnes pratiques » lors de notre workshop presse de septembre à Paris, on continue…

Quelles solutions proposez-vous ?

Ce qui est passionnant cette année, c’est que la parole se libère sur le sujet. Quand La Compagnie du Mont-Blanc évoque les difficultés auxquelles elle est confrontée, comme la fonte du permafrost qui impacte ses installations de haute altitude, c’est nouveau. Toutes les installations sur glacier sont surveillées. Au-delà du constat objectif et partagé, transporteurs, aménageurs, collectivités locales en parlent et cherchent des solutions. Avec cette prise de conscience collective, sur le terrain les actions se multiplient. Quand la Société des Trois Vallées s’implique concrètement en faveur de la préservation de la biodiversité avec une surveillance des sites abritant des coqs de bruyère, c’est une contribution parmi d’autres.

Et pourtant dans le même temps, les stations continuent à investir massivement dans la neige de culture…

Une meilleure gestion de la ressource en eau est devenue un enjeu, une vraie préoccupation pour les communes et les domaines skiables. Il s’agit de prendre en compte les différents usages sur site – habitat, neige de culture… – et d’en optimiser la consommation. Même si personne n’est dupe : ça sera plus compliqué dans les années qui viennent. À Grenoble, l’Irstea l’a bien identifié avec son étude sur la fréquentation versus enneigement, mais le laboratoire identifie que les changements climatiques vont favoriser d’autres pratiques.

« Une meilleure gestion de la ressource en eau est devenue un enjeu, une vraie préoccupation pour les communes et les domaines skiables. »

L’urgence climatique est-elle aussi une préoccupation des consommateurs ?

Oui, de plus en plus. Des enquêtes clients montrent qu’ils peuvent s’interroger par exemple sur le bilan carbone de leur séjour ou sur l’impact de leur activité sur l’environnement. G2A là encore, vient de sortir une étude très intéressante sur le sujet. Et puis, ce que l’activité touristique peut générer parfois ne passe plus, ni pour les clients, ni pour les habitants : la sur-fréquentation de certains secteurs par exemple, trop de gens au même endroit en même temps… Ou encore les quelques samedis de saturation des routes d’accès aux stations l’hiver en période de vacances scolaires, qui peuvent virer à la catastrophe si la météo se dégrade. Ce n’est plus acceptable pour personne.

Vous pointez la saturation des accès aux stations. Comment avancer sur ce sujet ?

Nous avons créé un groupe de travail l’an dernier avec les grands hébergeurs et tour-opérateurs de nos stations. Quatre d’entre eux (Maeva, Ski planet, Sunweb, Travelfactory) se sont engagés à nos côtés pour trouver des solutions viables et durables en améliorant l’information aux clients en amont, et en proposant des offres de séjours pendant ces périodes tendues, hors samedi/samedi. C’est le concept de campagne de communication que nous avons imaginé et construit ensemble : « Ski m’arrange, le ski quand je veux en Savoie Mont Blanc ». Place aux séjours décalés de cinq, voire quatre jours avec des offres de prix vraiment intéressantes, moins de 350 € par personne. L’enjeu est bien de tenter d’alléger le trafic sur les routes en faisant intervenir ceux qui programment notre destination. À la clef : la satisfaction des clients.

« L’enjeu est bien de tenter d’alléger le trafic sur les routes en faisant intervenir ceux qui programment notre destination. À la clef : la satisfaction des clients. »

Ne faut-il pas revoir le mode de production des hébergements ?

Il faut en tout cas continuer à lutter contre le phénomène des lits froids. Plus de la moitié du parc est aujourd’hui hors du circuit marchand ! Et Airbnb arrive là-dessus…

C’est peut-être un moyen de réchauffer des lits, justement…

À condition que la concurrence ne soit pas faussée. Ses utilisateurs doivent s’acquitter comme les autres acteurs de la taxe de séjour, par exemple.

Les touristes sont-ils encore friands de ce type d’hébergement ?

Les deux grandes tendances que nous observons sont d’une part plus de “vivre ensemble”, d’autre part plus de qualité environnementale. Les hostels, formules mixtes entre hôtels et guest-house, ont le vent en poupe. Ils permettent de faire cohabiter sur un même site plusieurs publics. Base camp lodge à Bourg-Saint-Maurice, Rocky pop hôtel aux Houches, 1861 Châtel hostel… les initiatives fleurissent pour mieux coller à des modes de vie urbains très connectés. L’autre tendance, c’est le développement durable : Auberge nordique au Grand- Bornand, Toî du monde à Flumet… font la part belle aux énergies renouvelables, aux circuits courts, aux mobilités douces, aux matériaux naturels.

Le monde des sports d’hiver reste une lourde machine. Vous êtes confiante sur sa capacité à se réinventer ?

Ce qui est en train de nous faire changer, c’est le client. Il ne va pas nous laisser tranquille, et c’est une chance !


Propos recueillis par Philippe Claret.


Cet article est paru dans votre magazine Panorama des Domaines skiables 2019-2020. Il vous est exceptionnellement proposé à titre gratuit. Pour retrouver l’intégralité de nos publications papiers et/ou numériques, vous pouvez vous abonner ici.

Photo à la une par Massimo Rivenci on Unsplash.

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