Dérèglement climatique : y aura-t-il de la neige pour noël… 2050 ?

par | 21 novembre 2023

Jusqu’à quand pourra-t-on skier ? Au-delà de 2050, assurent les responsables de stations. L’outil Climsnow se révèle une aide toujours plus précieuse et discutée pour la prospective et les planifications d’aménagements.

Depuis les années soixante, la quantité de neige a baissé d’au moins 40 % en moyenne dans les Alpes. A l’heure où les glaciers semblent menacés par le réchauffement climatique, quelle est la date de péremption des stations de sports d’hiver elles-mêmes ? Depuis une vingtaine d’années, les plus basses jettent l’éponge les unes après les autres. Les autres s’interrogent : les investissements d’aujourd’hui seront-ils rentabilisés ? Et dans quoi investir ? Des téléskis ou des télécabines ? Des retenues collinaires, des enneigeurs… ou des vélos électriques et une piscine ?

Climsnow apporte ce genre de réponse. Issu d’un partenariat entre Météo France, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et le bureau d’études privé Dianeige, le service a été développé à partir de 2013 et est devenu opérationnel depuis 2019.

« L’ambition ? Estimer combien de jours de ski pourraient être possibles dans trente ans, sur telle station, et avec quels investissements », résume Carlo Carmagnola, à la fois chercheur associé du centre d’études de la neige de Météo France, à Grenoble, ingénieur de recherche chez Dianeige… et moniteur de ski.

Les commanditaires sont des exploitants de remontées mécaniques, des communes ou communautés de communes, des départements (Drôme, Isère…) voire les régions (la région sud dispose depuis 18 mois des prévisions pour ses 48 stations, Les Vosges auront bientôt les leurs).

Depuis une vingtaine d’années, les plus basses (stations de ski) jettent l’éponge les unes après les autres. Les autres s’interrogent : les investissements d’aujourd’hui seront-ils rentabilisés ? Et dans quoi investir ? Des téléskis ou des télécabines ? Des retenues collinaires, des enneigeurs… ou des vélos électriques et une piscine ?

6 mois par station

Le produit rencontre le succès puisque 171 exploitants de domaines skiables français disposent déjà de leur dossier Climsnow et qu’une vingtaine sont en cours d’étude. « Sur environ 200 exploitants en France », apprécie Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France, l’association professionnelle réunissant les exploitants. Si le dossier Climsnow n’est pas encore obligatoire, il est déjà fortement recommandé dans les dossiers d’aménagement déposés auprès de l’État.

« Nous commençons maintenant à proposer Climsnow en Andorre, Suisse, Italie, Espagne », ajoute Carlo Carmagnola. Le dossier demande environ six mois de travail par station. Le socle, c’est la collecte de la donnée. La station est cartographiée à l’échelle 1/5000e avec ses pistes et ses infrastructures (unités de stockage d’eau, ensembles urbains…). Rentrent ensuite les caractéristiques physiques (altitudes, orientations, pentes), les informations atmosphériques (précipitations, pression, hygrométrie…).

Puis le modèle Crocus de Météo France « mouline » les données, à partir des principaux modèles du Giec et des scenarii proposés par les stations : en l’état actuel, en aménageant tel secteur… Climsnow avance un indice de fiabilité de l’enneigement, estime la fréquence des mauvaises années et prend en compte les contraintes économiques : « certaines stations pourront ne tourner qu’un mois, ou seulement les weekends quand d’autres ont besoin de quatre mois fermes pour s’en sortir. Nous mettons en lien le nombre de skieurs accueillis et le nombre d’hectares skiables ».

Le produit continue d’évoluer : « nous sommes déjà capables de dire combien d’eau il faudrait consommer pour sécuriser un secteur, une piste, une station, décrit Carlo Carmagnola, et bien sûr de dire si le froid humide sera aussi au rendez- vous. Nous ne sommes pas encore capables d’affirmer si l’eau sera disponible, mais nous travaillons à un partenariat avec EDF pour cela. Les premiers résultats devraient tomber en fin d’année ».

En quête de quelques certitudes

L’approche, on le voit, est résolument technico-économique, pas environnementale. C’est bien ainsi qu’elle est appréciée par le monde des stations. « La réelle avancée de Climsnow est qu’elle permet d’intégrer dans les calculs les facteurs de résistance à la fonte de la neige sur lesquels nous investissons depuis des années : damage, neige de culture, végétalisation ou reprofilage des pistes, etc, apprécie Laurent Reynaud. Un travail intelligent du manteau neigeux permet vraiment d’allonger les durées d’exploitations. »

Le verdict (technico-économique, donc) est plutôt rassurant : en y mettant les moyens, on pourra souvent skier au moins jusqu’en 2050. Bien sûr, il ne s’agit que de prévisions et de moyennes, à un moment où – et c’est le président de l’association nationale des maires des stations de montagne Jean-Luc Boch qui le souligne – les épisodes climatiques extraordinaires se multiplient.

Ce n’est évidemment pas l’avis des défenseurs de l’environnement (lire en encadré la position de Jean Kerrien). « Nous ne sommes pas des tenants de la décroissance, leur répond posément Laurent Reynaud. Le tourisme est économiquement et socialement primordial pour nos territoires. Il faut faire notre possible pour le protéger et l’aider à perdurer ».

Jean-Luc Boch, président de l’association des maires des stations de montagne, renchérit : « si l’on fermait l’intégralité des domaines skiables (400 000 emplois directs et indirects), est-ce que cela réglerait le problème du dérèglement climatique ? Pour améliorer le bilan carbone des sports d’hiver, il faut d’abord se battre pour la décarbonation des transports. »

Y aura-t-il donc de la neige pour noël 2050 ? « Il y aura globalement 10 à 40 % de neige en moins, déplore Carlo Carmagnola, de 50 à 90 % d’ici la fin du siècle, selon l’effort consenti collectivement pour réduire les gaz à effet de serre. » « Grâce à Climsnow nous y voyons plus clair que bien des secteurs industriels, et c’est un énorme avantage, souligne Laurent Reynaud. On me demande souvent s’il y aura encore des stations de sports d’hiver en 2100. On ne pose cette question à personne d’autre ! Vous croyez que ceux qui fabriquent des automobiles savent, comment se portera leur marché en 2100 ? »

« Il y aura globalement 10 à 40 % de neige en moins, déplore Carlo Carmagnola, de 50 à 90 % d’ici la fin du siècle, selon l’effort consenti collectivement pour réduire les gaz à effet de serre. »

Didier Bic Gérant du Col de Porte et spécialiste du damage

« Le réchauffement climatique nous demande de la créativité, plus de souplesse… et d’unité ! »

« Oui, il faut faire avec la diminution de la neige. Et des solutions techniques existent. Ce qui bloque, ce sont plutôt les contraintes administratives et réglementaires. »

Il est possible de faire aussi bien avec moins de neige… et de réglementation selon Didier Bic. Le directeur de la petite station iséroise du Col de Porte est jeune retraité de Kässbohrer France (Tours-en-Savoie) et de Snowsat, start-up qu’il a créée en 2003 (aujourd’hui intégrée à Kässbohrer, elle emploie une quarantaine de personnes répartis pour moitié entre Meylan, en Isère, et pour l’autre moitié au siège allemand de l’entreprise), qui a révolutionné le travail de la neige en utilisant les systèmes GPS pour renseigner les dameuses sur les hauteurs de neige.

« Le système permet de préparer les pistes avec moins de neige et d’allonger les saisons, au début et à la fin, assure-t-il. Les services des pistes ne sauraient plus se passer de l’outil, à un moment où le réchauffement climatique a rendu le damage essentiel ».

Spécialiste donc du travail de la neige, fin connaisseur du monde des stations, forcément au courant de la réalité du changement climatique, Didier Bic n’a pourtant pas hésité à s’engager lui-même dans le rachat d’une station dont il connaît les hauteurs de neige quotidiennes depuis… 1959 ! « Le Col de Porte est instrumenté depuis cette date par Météo France », confirme-t-il. Et les chiffres sont formels : les volumes ont globalement diminué de 40 % et la fréquence des années sans neige augmente. Ce qui n’entame pas sa combativité.

« Oui, il faut faire avec la diminution de la neige. Et des solutions techniques existent. Ce qui bloque, ce sont plutôt les contraintes administratives et réglementaires. Le régime de la déclaration de service public n’est pas souple. Si le document stipule que je dois exploiter cinq remontées, il est compliqué d’en fermer deux, même si les conditions ne sont pas bonnes. »

Malgré tout, « beaucoup de choses sont encore à tenter… à condition de réunir les acteurs du territoire dans une vision partagée. Au Col de Porte j’ai investi dans la société de remontées mécaniques mais également dans l’hôtel-restaurant et l’école de ski, ce qui me permet de développer la saison d’été, d’attirer une clientèle de séminaires… Il faut s’adapter, réfléchir différemment, mais il reste de belles choses à réaliser en montagne. »

Au risque de continuer à agresser les milieux ? « Il y a plus de 20 ans que les stations font un travail remarquable sur leur impact environnemental, assure Didier Bic. Les dameuses ? Les derniers modèles ne polluent presque plus même si c’est encore perfectible… Les retenues collinaires ? Reparlons-en dans 20 ans : avec la fonte des glaciers il va bien falloir édifier des barrages pour conserver l’eau. »

Guillaume Desmurs Journaliste, cofondateur du Lama Project

« Il faut plus de clarté »

Guillaume Desmurs, journaliste et écrivain, milite pour plus de transparence autour du projet Climsnow.

« Au final, on justifie la poursuite d’un modèle économique, de construction d’immeubles, de résidences. »

« Les études ne sont pas publiées. Je les demande depuis bientôt un an et demi. On me rétorque qu’elles appartiennent aux clients. Mais ce sont en général des communes ! Il y a privatisation de l’intérêt général. D’autant que Climsnow appartient à la société Dianeige Consulting, qui intervient sur l’aménagement des domaines skiables et dont les clients sont des stations. Sur la foi des résultats de ces travaux, les stations se disent (ou pas) à l’abri dans les années à venir. Ma deuxième réserve tient au fait que ces prévisions d’enneigement et de capacité à produire des neiges de culture sur des zones très précises, ne tiennent pas compte d’une raréfaction de la ressource en eau (le sujet est maintenant intégré à Climsnow, cf notre article « y aura-t-il de la neige à Noël 2050 », NDLR). Au final, on justifie la poursuite d’un modèle économique, de construction d’immeubles, de résidences. »

Outils mieux utilisés, réalité mieux masquée pour la FNE

Ces dernières années, l’enneigement artificiel a suffi à permettre le ski durant presque toute la saison, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Jean Kerrien, vice-président Environnement Montagne chez France Nature environnement Savoie et Secrétaire de Vivre en Tarentaise : « peut-être que deux années de suite, marquées par des débuts d’hiver trop doux pour permettre la production de neige artificielle, changeraient enfin les mentalités ».

L’eau n’est pas le seul souci de l’association. Avec la flambée des prix de l’électricité, les stations essaient déjà d’économiser sur la production de neige artificielle et assurent que la consommation d’électricité et d’eau n’augmente pas car elles savent mieux quand et où utiliser des canons par ailleurs plus performants.

« Les grandes stations situées au-dessus de 1800m pensent avoir encore quelques décennies de ski assurées – avec peut-être même plus de clients car on skiera moins facilement dans d’autres stations. Elles ne semblent pas penser à faire évoluer leur modèle économique », déplore le militant. La construction continue donc à bon rythme. « Plus grave, certaines stations de moyenne altitude font de même en dépit du bon sens et investissent dans la production de neige artificielle », ajoute Jean Kerrien.


Philippe Claret


Cet article est issu de notre Panorama économique des domaines skiables 2023-2024, disponible au format liseuse en ligne ou au format papier.

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