Dans son édito, Myriam Denis revient sur ce qui fonde la ruralité, tandis qu’il a fallu légiférer pour protéger « le patrimoine sensoriel des campagnes ».
Non, le jambon ne pousse pas sur les arbres et oui, les agriculteurs s’occupent de leurs bêtes 365 jours par an. Les carillons des églises rurales sonnent parfois chaque heure – y compris la nuit. Les coqs chantent, les chiens aboient et la caravane passe. Si la mode est au véganisme et que certains souhaitent ériger en modèle une société sans saveur et sans couleur, sans aspérité et fade, où le conformisme est (souvent) roi, heureusement, il demeure quelques coins où la naturalité n’est pas qu’un concept. Lorsque l’on cherche à se mettre au vert, c’est justement pour goûter à un autre mode de vie que celui que l’on connaît habituellement. Et on le prend tel quel, sans vouloir le transformer en quelque chose d’aseptisé, limite tranche de campagne pasteurisée.
De nombreux élus se sont régulièrement retrouvés aux prises avec les néoruraux, des gens agacés par les bruits ou les odeurs de nos campagnes. Des gens qui n’ont manifestement pas compris que la ruralité ne se limite pas aux jolies fleurs des champs et aux villages pittoresques. Aussi, plusieurs maires ont tenté de préserver ce qu’ils – et elles – considèrent comme leur patrimoine local, faisant preuve d’humour ou choisissant une voie légale. Le désormais célèbre coq Maurice de l’île d’Oleron peut aujourd’hui chanter en paix, au terme d’un procès intenté pour nuisances sonores. Les plaignants avançaient un argument simple : sont considérés comme des nuisances sonores les aboiements récurrents du chien du voisin, ou la musique dont le volume dépasse l’entendement. Alors, pourquoi pas le chant du coq ? Que nenni ! Quand on s’invite à la campagne, on accepte ses us et coutumes. Et les colliers anti chants de coq n’ont pas encore été inventés. Que faire contre les cloches des vaches, les crottins disséminés, les volailles qui s’ébattent joyeusement (et trop bruyamment pour certains) ? Faut-il barricader ou cacher ces animaux que l’on ne saurait voir (ni surtout, entendre ou sentir) ? Quid du bien-être animal ? En tout cas, en fin d’année, un éleveur du Cantal a été contraint de verser à ses nouveaux voisins des dommages et intérêts (8 000 euros) en raison de l’odeur de ses vaches. Il avait sans doute bien besoin de ça.
« SE METTRE AU VERT, C’EST GOÛTER À UN AUTRE MODE DE VIE. ON LE PREND TEL QUEL, SANS VOULOIR LE TRANSFORMER EN QUELQUE CHOSE D’ASEPTISÉ, LIMITE TRANCHE DE CAMPAGNE PASTEURISÉE. »
Le dossier pourrait paraître anecdotique, mais loin de là. D’ailleurs, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a adopté, fin janvier, une loi visant à définir et protéger « le patrimoine sensoriel des campagnes ».
Ces querelles de clochers démontrent à mon sens, une dissension importante entre la vision que peuvent porter les habitants des villes sur les campagnes et la réalité de la ruralité. Il existe un véritable delta entre une image fantasmée et la vérité concrète. Les conflits de voisinage, abondants désormais, concernent également l’occupation des sols et reflètent l’antinomie entre une société soucieuse de l’environnement, mais inconsciente des réalités des territoires. Et cela concerne, finalement autant le chant du coq, que l’installation de carrières ou de champs d’éoliennes.
Au final, n’oublions pas que la ruralité aujourd’hui est menacée par bien des aspects, notamment la désertification de nombreux villages, le manque de services publics de proximité, de commerces… En ce sens, le tourisme, par exemple, pourrait être une porte d’entrée pour (re) vitaliser ces territoires. Les questions de respect et de vivre ensemble s’appliquent partout.
Myriam Denis
Rédactrice en chef
m.denis@eco-ain.fr

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