Naître dans un département, y passer sa prime-enfance, puis grandir dans un autre, à 100 km de là, c’est très banal, jusque-là, dirait-on. C’est cependant assez pour se sentir différent. Surtout quand, à l’âge de 20 ans, un autochtone vous explique que vos parents volent le travail des gens du cru.

Ma mère et mon beau-père, en l’occurrence, artisans-commerçants, employaient alors 16 personnes… Parmi lesquelles le fils de ce monsieur. Brassens chantait « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». En voici un bel exemple. Imaginez la teneur du discours, si au lieu d’entrepreneurs, il s’était simplement agi de salariés, de gens moins blancs ou avec un nom de famille à consonance étrangère.
J’ai vécu deux ans avec une jeune femme à la peau noire. Et j’ai pu constater à cette occasion, de vraies différences de traitement, en particulier lorsque nous sommes partis ensemble en Irlande. Je n’ai pas été contrôlé une seule fois par les douanes, ni à l’aller, ni au retour. Elle l’a été systématiquement, devant même remplir des documents normalement destinés aux ressortissants hors Union européenne, alors qu’elle avait une carte d’identité française. Le pire, c’est que cette situation était tellement banale pour elle, qu’elle ne s’en était pas rendu compte. Il faut le voir pour le croire.
À la lumière de ces deux anecdotes parmi tant d’autres, il est tentant de ne voir dans la loi Immigration votée cette semaine par le Sénat, la 22e en 30 ans, rien de plus qu’un avatar supplémentaire d’une xénophobie profondément ancrée. Mais qui n’est pas spécifiquement française. Les douaniers anglais ou irlandais n’entretiennent visiblement pas moins de préjugés que les nôtres.
« L’autre constitue assurément une richesse. Pourvu qu’on le laisse trouver sa place. »
Autrement, pourquoi, alors que la France est en train de perdre l’avantage compétitif (encore un !) de sa natalité, fermer ainsi la porte ? Pourquoi, alors que les chefs d’entreprise ne savent plus à quels saints se vouer pour recruter, supprimer l’article 3 sur la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension ? Pourquoi, si l’on craint à ce point-là que les étrangers puissent être dépendants du système d’aide sociale, avoir supprimé l’article 4 ? Celui-ci, en effet, devait permettre à certains demandeurs d’asile de travailler dès leur arrivée sur le territoire.
L’association Patrons solidaires, implantée à la Chapelle-du-Châtelard, avait témoigné dans notre édition du 13 avril dernier, de la surmotivation des jeunes immigrés. Et nous avions consacré en septembre, tout un dossier à la manne que représente pour les entreprises, la main-d’oeuvre étrangère.
« Ce qui est compliqué, c’est pas faire son trou. Ce qui est compliqué, c’est de trouver où le faire », chante le rappeur Deadi, dans l’un de ses tout derniers morceaux (“Bruce Wayne”). Non, les étrangers, qu’ils arrivent du département d’à-côté (puisque certains en sont là), d’un pays voisin ou d’un lointain continent, ne viennent rien voler à personne. L’autre constitue assurément une richesse. Pourvu qu’on le laisse trouver sa place.
Sébastien Jacquart
Crédit : photo de Markus Spiske sur Unsplash
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