Fin de saison brutale en montagne

par | 20 mars 2020

Les stations qui ont dû gérer le départ des vacanciers finalisent l’arrêt de leurs installations et la mise au chômage technique des équipes.

«Nous avons appris samedi à 20 heures que nous devions fermer quatre heures plus tard. Et qu’il nous fallait organiser le retour de vacanciers qui venaient tout juste d’arriver, de récupérer les clés de leur appartement, de louer leur matériel, d’acheter des forfaits de ski, etc. »

Le récit d’un arrêt brutal et inattendu de la saison est partout le même dans les stations de ski. Samedi 14 mars, la fermeture de tous les lieux recevant du public, et non indispensables à la vie du pays, est annoncée dans la soirée. « Les circulaires et les informations n’ont été diffusées que le dimanche après-midi, alors, oui, forcément, cela a posé des problèmes d’organisation. On est aux antipodes du travail réalisé toute l’année pour améliorer l’expérience client… », observe Laurent Reynaud, le délégué général de Domaines skiables de France (DSF).

Les professionnels du tourisme ne cachent pas qu’ils auraient préféré davantage d’anticipation, à l’instar de ce qui s’est passé en Autriche où les stations ont été averties le 12 mars pour une mise en application le 15, laissant le temps aux hébergeurs de prévenir leurs clients. « C’était le pire moment, car la plupart des séjours se déroulent du samedi au samedi. Par chance, nous avons réussi à déprogrammer, avant qu’il ne décolle, un tour opérateur britannique dont l’arrivée était attendue dimanche matin avec 400 personnes », raconte Alexis Bongard, directeur de l’office du tourisme des Gets.

BRUSQUE MISE À L’ARRÊT

Malgré ce contexte et des conditions qui s’annonçaient idéales pour les amoureux des sports d’hiver – belle hauteur de neige et soleil radieux –, les stations ont fait face avec philosophie. « Nous avons pensé avant tout à la sécurité de nos clients, en veillant, entre autres, à ce qu’ils aient un moyen de transport pour rentrer chez eux ou, à défaut, une solution d’hébergement. Les remontées mécaniques ont remboursé les forfaits qui avaient été vendus », poursuit Alexis Bongard. Idem à Valmeinier, où l’office a accompagné les clients « en s’adaptant, au fur et à mesure, aux informations délivrées ».

INQUIÉTUDES FINANCIÈRES

En parallèle, les stations ont dû arrêter leurs installations, sécuriser et fermer leurs domaines skiables. Cet arrêt anticipé touche l’ensemble de l’économie de montagne. À commencer par les saisonniers. « Certains se sont vus opposer des fins de contrat sans suite, d’autres la mise en oeuvre de chômage à 70 %. Les mesures annoncées par l’État et confirmées par le préfet pour une prise en charge à 100 % doivent être mises en oeuvre », martèle Antoine Fatiga, responsable de la CGT Transports, en réclamant qu’une directive soit envoyée en ce sens aux Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.)

« C’est un marasme et une vraie mise en danger des entreprises de l’hôtellerie et de la restauration. Beaucoup d’établissements disposent d’assurances pour pertes d’exploitation, mais on n’entend pas beaucoup les assureurs. J’espère qu’ils vont jouer le jeu », souligne Paul Duverger, le président du syndicat professionnel GNI-Fagith. France Montagnes, qui fédère les professionnels de montagne, exprime les mêmes inquiétudes quant à la situation financière des commerces.

« Au-delà de la catastrophe sanitaire, qui doit évidement être mise au premier plan, les conséquences économiques seront lourdes et sans doute longues, car tous les chantiers et projets de construction vont prendre du retard », prévient Jean-Luc Boch, son président. « Sans parler du coup d’arrêt mis à notre politique en faveur du ski de printemps qui commençait à porter ses fruits. »

Malgré les inquiétudes, l’Association nationale des maires de stations de montagne se félicite du report au 1er septembre des mesures de réforme de l’assurance chômage qui devaient entrer en vigueur au 1er avril. Les acteurs du tourisme en montagne reconnaissent aussi qu’ils ont échappé au pire. Si un tel scénario s’était produit en novembre ou décembre, la saison touristique n’aurait tout simplement pas commencé.

MMV FREINÉ DANS SON ÉLAN

Deuxième opérateur en France sur le marché des vacances clubs à la montagne, le groupe MMV (Mer Montagne Vacances) ferme ses établissements. Les stocks de nourriture sont donnés aux salariés et à des associations caritatives. « Le chiffre d’affaires que nous ne réaliserons pas cet hiver en raison de la fermeture des stations s’élève à 15 millions d’euros. Nos partenaires financiers sont heureusement à nos côtés et nous soutiennent dans cette période de forte croissance de notre groupe », précise Jean-Marc Filippini, son président. MMV s’est engagé dans une politique d’expansion en montagne marquée par l’ouverture de 2 800 lits supplémentaires et une progression de 25 % de son chiffre d’affaires qui atteindrait les 80 millions d’euros d’ici 2022.

UNE PERTE DE 5 MILLIONS POUR LABELLEMONTAGNE

Gestionnaire de neuf domaines skiables, dont cinq en Pays de Savoie (Manigod, Saint-François-Longchamp, Flumet, Crest-Voland, Notre-Damede- Bellecombe) et un en Italie (Bardonecchia), le groupe Labellemontagne a perdu 5 millions d’euros de ventes de forfaits (hors taxes) sur un chiffre d’affaires annuel total de 85 millions d’euros. « L’impact financier diffère d’une station à l’autre, avec une perte d’activité qui oscille entre deux et cinq semaines selon les sites. Il est trop tôt encore pour mesurer tous les effets induits, mais on sait que, dans notre métier, le poids des charges fixes est important », note Jean-Yves Remy, son pdg. Comme beaucoup d’acteurs de la montagne, le dirigeant insiste par ailleurs sur l’implication et le travail effectué par ses équipes pour passer le cap, dans un secteur où le télétravail n’est guère possible.

CURE DE REPOS POUR LES STATIONS THERMALES

Rhône-Alpes accueille près de 80 000 curistes par an générant 1,7 million de nuitées, 9 000 emplois directs et indirects et un chiffre d’affaires annuel de 57 millions d’euros. Près de 80 % de l’activité se déroule en Savoie-Mont-Blanc.

Sous le coup d’une recommandation nationale de fermeture notifiée le 14 mars, les stations thermales retardent l’accueil de leurs premiers curistes. En Pays de Savoie, sont concernées Thonon, Challes-les-Eaux, La Léchère et Brides, dont la réouverture était prévue le 30 mars. La station dédiée à la perte de poids a injecté 3,5 millions pour sécuriser l’acheminement et le stockage de l’eau thermale suite à une pollution bactérienne qui a perturbé la saison 2019.

Ouverts depuis quelques semaines, les sites de Saint-Gervais, Évian et Aix-les-Bains (Marlioz et Chevalley) ont dû suspendre leurs activités. « Dès le vendredi 13 mars, nous avons appelé tous les curistes pour leur demander de reporter leur venue », raconte Bernard Riac, PDG de Valvital, gestionnaire de onze établissements (dont Chevalley, Thonon et Divonne) et vice-président du Conseil national des établissements thermaux (Cneth). Une dérogation a été obtenue pour que les cures interrompues soient remboursées au prorata des jours effectués. Une deuxième dérogation est en cours de discussion pour que les curistes puissent reprendre leur cure en 2020, ou refaire un cycle complet pour les cures tout juste commencées.

Valvital, qui a interrompu 1 100 cures et en annulé 3 918 à Aix-les-Bains, a pris des mesures (congés maladie pour garde d’enfants, télétravail, chômage partiel) pour les 200 salariés touchés par la suspension de son activité. Il table sur une réouverture des thermes Chevalley au 11 mai, avec un retour des équipes sur site quinze jours plus tôt.


Par Sophie Boutrelle


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