Interview / Alain Coulombel : « La transition écologique ne se fera pas sans les entreprises »

par | 10 janvier 2020

Le chablaisien Alain Coulombel est, depuis décembre 2019, le nouveau porte-parole national d’Europe Écologie Les Verts (EELV). L’occasion pour ECO d’interroger cet agrégé en économie et gestion, également auteur de deux ouvrages de réflexion, sur sa vision de la politique et de l’économie… et sur l’actualité locale. Voici son interview.

Quel est votre parcours ?

Je suis originaire de Paris, où j’ai grandi et fait mes études : j’ai passé ce qu’on appelle aujourd’hui un master en économie appliquée à l’université Paris Dauphine, qui est réputée dans cette discipline, et je suis devenu enseignant, plus par hasard que par vocation.

Que voulez-vous dire ?

Je n’étais pas fixé sur un métier. Beaucoup de mes copains avaient plutôt choisi le monde de l’entreprise. Mais à la fin de mes études, un ami m’a proposé un remplacement comme prof. Ça m’a bien plu et j’y suis resté. Par amour pour la montagne, nous sommes venus nous installer en Haute-Savoie et j’ai passé l’agrégation, en candidat libre. J’ai enseigné en lycée jusqu’en 2018, à Thonon, puis à La Roche-sur- Foron en classes préparatoires. Je suis à présent à la retraite.

Et la politique ?

J’ai toujours été attiré par l’engagement, peut-être parce qu’avec un grand-père communiste j’ai baigné dans la politique dès mon enfance. J’ai rejoint Les Verts dans les années 1990. Et j’ai rapidement eu des responsabilités. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de notre mouvement : ceux qui veulent s’investir trouvent vite des opportunités pour prendre des responsabilités, que ce soit au niveau interne ou dans un mandat électif. Je suis ainsi devenu conseiller municipal à Thonon en 2001 (jusqu’en 2003) et conseiller régional en 1998 (jusqu’en 2015).

Élections municipales (2020), départementales et régionales (2021), puis législatives (2022) : les scrutins vont s’enchaîner. Vous serez de nouveau candidat ?

Non. Je regrette que trop d’élus s’accrochent à leur siège et se coupent ainsi de la réalité. Je milite pour le non cumul : un mandat à la fois et pas trop de répétitions. Et puis, il y a la question de l’âge : j’ai 63 ans. Sans parler du fait que je ne manque pas de centres d’intérêt ni de voies pour m’engager autrement : je milite aussi à Attac, j’aime lire et écrire…

Pourquoi être devenu porte-parole d’EELV ?

En juin 2016, j’ai été élu secrétaire national adjoint, en charge de piloter la rédaction du projet politique d’EELV. Lors du congrès de décembre 2019, j’ai conduit une motion qui a rassemblé au premier tour 23 % des voix des militants. Les différentes motions se sont ensuite rassemblées pour maintenir la cohésion du mouvement et on m’a proposé d’être coporte- parole, avec Eva Sas. Après avoir été élu de terrain puis avoir beaucoup travaillé dans l’ombre sur le projet, prendre un poste plus exposé constituait une nouvelle expérience qui m’allait bien.

Vous êtes partisan d’un rassemblement de la gauche avec les écologistes, mais vous êtes mitigé sur le bilan de la gauche plurielle à la Région (2004-2015). Contradictoire, non ?

Non. Nous avons quand même fait des choses avec cette majorité plurielle à la Région et, surtout, le contexte politique et social n’est pas le même. Le Parti socialiste n’est plus une force politique centrale et il ne le redeviendra pas : c’est à EELV qu’incombe maintenant le rôle de construction du rassemblement. De plus, la prise de conscience environnementale a nettement progressé depuis 2010 [ndlr : date de sa dernière élection à la Région] chez certaines organisations de gauche. C’est avec ces forces que nous devons nous rassembler, autour d’un projet de société écologiste. Sans rassemblement, nous ne gagnerons pas, ni aux élections régionales, ni aux élections nationales.

C’est aussi vrai localement ?

Oui, avec un défi supplémentaire : les écologistes réalisent de très bons scores dans le département [ndlr : plus de 18 % aux Européennes 2019], mais nous ne sommes jamais parvenus à instaurer une écologie municipale ou départementale. Il y a très peu d’élus écologistes et nous manquons aussi de militants. En outre, si des rapprochements peuvent avoir lieu – comme à Annecy pour les prochaines municipales –, il y a aussi parfois de vraies différences d’approche.

Vous pensez au désenclavement du Chablais ?

Par exemple, même si je réfute le terme d’enclavement pour le Chablais : allez faire un tour dans le Queyras, vous comprendrez ! En dehors des écologistes, pas un seul élu de gauche ne s’est opposé à ce projet du siècle dernier. Il va très certainement y avoir des recours contre la déclaration d’utilité publique signée par le Premier ministre fin décembre et EELV les soutiendra.

Vous êtes aussi critique sur les questions d’aménagement de la montagne…

Oui et c’est un peu le même problème : les élus locaux n’ont pas compris qu’il fallait passer à autre chose, que les modèles du XXe siècle ne sont plus les bons. Face au réchauffement climatique et au manque de neige, la bonne réponse n’est pas de multiplier les canons, on le voit bien ces jours-ci ! Il faut réfléchir à un nouveau modèle. C’est très compliqué à expliquer car ce nouveau modèle ne générera pas autant de retombées financières, mais de toute façon nous n’allons pas pouvoir faire autrement qu’opter pour un modèle plus sobre en énergie, en eau, en espace et en paysage.

Vous êtes un “collapsologue”, convaincu que l’écroulement de la civilisation industrielle est proche ?

Sans être un extrémiste, je suis assez sensible à ce courant de pensée. Je suis convaincu qu’il ne reste que peu de temps, disons une dizaine ou une quinzaine d’années, pour construire un autre modèle avant que celui-ci ne s’écroule. Regardez ce qui se passe en Australie. Pourtant, les élus, en France et encore plus en Haute-Savoie, n’ont visiblement pas compris l’urgence et la gravité de la situation. On parle beaucoup du Léman Express [NDLR : RER transfrontalier inauguré mi-décembre], mais il a fallu près de vingt ans pour qu’il voit enfin le jour ! Pour faire la transition, il faut changer de vitesse.

Quelle place l’économiste que vous êtes attribue-t-il aux entreprises dans ce grand virage ?

Il y a deux niveaux d’analyse. Au niveau systémique, il est impossible de mettre en oeuvre un projet véritablement écologiste sans remettre en cause le capitalisme financier qui s’est imposé aujourd’hui, supplantant le capitalisme industriel. Néanmoins, au niveau des entreprises, il y a dans la transition écologique un gisement considérable de richesses et d’emplois, dans la mobilité, les énergies, le bâtiment, l’agriculture…

« LES ÉLUS LOCAUX N’ONT PAS COMPRIS QUE LES MODÈLES DU XXe SIÈCLE NE SONT PLUS LES BONS. »

Les entreprises sont prêtes à s’engager selon vous ?

Je suis convaincu que la plupart le sont, notamment les PME. Parce que la prise de conscience a gagné du terrain et parce qu’il y a ce gisement de richesses et d’emplois. C’est vrai également pour le monde agricole : les agriculteurs ne souffrent pas de trop d’écologie, mais au contraire d’un modèle productiviste dépassé. Pour que cette transition puisse avoir lieu, il faut aussi un engagement fort de la puissance publique, avec a minima 30 milliards d’euros d’investissements annuels, dans une vision de long terme, pas à coup de mesures opportunistes.

Vous avez écrit L’entreprise et le temps en 2011. Près de dix ans après, vous maintenez vos critiques sur l’« hypercapitalisme » ?

Hélas, oui. Si beaucoup d’entreprises sont prêtes à s’engager dans la transition, bien peu le sont déjà. Et, d’un point de vue global, l’entreprise a acquis, dans le système actuel, une forme de souveraineté absolue tandis que les conditions de travail n’ont cessé de se dégrader. Prenez 2019 : d’un côté, il y a un record historique à la Bourse [ndlr : +26,4 % en un an] ; de l’autre, le chômage reste très élevé, la précarité aussi et la société française – des Gilets jaunes aux grèves sur les retraites – est en souffrance.

Cette souffrance au travail, c’est aussi l’un des thèmes de De nouveaux défis pour l’écologie politique, votre deuxième ouvrage…

Oui. Je me suis interrogé sur les enjeux peu abordés par les politiques, y compris les écologistes : le corps, la ville, mais aussi la crise de la démocratie ou, effectivement, l’entreprise. Je suis convaincu que nous ne pourrons pas aller vers une société écologiste sans l’apport volontaire des entreprises, qui sont des acteurs centraux de la vie économique et sociale, pour le pire comme pour le meilleur. Nous avons besoin collectivement de construire un autre rapport au travail, de favoriser la collaboration, le partage plutôt que la compétition. C’est ce que nous demandent, entre autres, les jeunes générations.


Propos recueillis par Éric Renevier


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