Jean-Baptiste Bosson : « La croissance infinie dans un monde de ressources finies est impossible »

par | 22 novembre 2023

Jean-Baptiste Bosson est glaciologue au Conservatoire d’espaces naturels de Haute- Savoie (ASTERS), membre du conseil national pour la protection de la nature et du conseil national de la montagne. Interview.

Votre article paru dans la revue Nature sur le devenir des zones englacées sur Terre, semble avoir fait date ?

Menée avec des glaciologues et écologues, cette étude traite du futur des régions froides. D’ici 2100, la surface des glaciers diminuera de 20-50 %, soit une superficie allant de celle du Népal à celle de la Finlande. Nous montrons que les écosystèmes terrestres, marins et d’eau douce qui se développent à la suite de la fonte des glaciers, seront essentiels en termes de résilience, face au réchauffement climatique et à l’effondrement du vivant. Ces conclusions font échos à la déclaration de l’année 2025 comme celle de la préservation des glaciers par l’Onu.

Fort de cette conclusion, quelle action prônez-vous ?

Rien ne remplacera les glaciers et leur influence sur le cycle de l’eau et le climat. Et ils fondent plus vite que nous le pensions. C’est inquiétant pour notre avenir mais il est encore possible de sauver un tiers du volume des glaciers alpins en respectant les engagements des accords de Paris. Nous montrons aussi l’intérêt de laisser des zones post-glaciaires avec une nature intacte, sans les considérer sous l’angle des opportunités économiques. Elles pourraient alors être sources d’eau douce, refuges pour la biodiversité, puits de carbone en devenir.

« Quand nous artificialisons – c’est encore le cas dans les Alpes aujourd’hui -, nous nous rendons vulnérables aux aléas climatiques. En réponse, nous cherchons à encore plus artificialiser le cycle de l’eau. »

Les stations ne doivent-elles pas favoriser le business pour investir dans un développement durable ?

La croissance infinie dans un monde de ressources finies est impossible. Nous vivons déjà à crédit sur les ressources des générations futures. Et on ne sait pas vivre sans une nature en bonne santé dans les territoires ; la transition vers un modèle plus respectueux de cette dernière devient urgente. Il faut absolument penser avec des échelles de temps et d’espaces plus grandes, pour mieux saisir les enjeux et prendre les décisions.

Des infrastructures et équipements seront-ils nécessaires pour combattre le dérèglement climatique ?

C’est le discours ambiant, qui s’inscrit dans un cercle vicieux. En montagne, il y a naturellement beaucoup d’eau : lacs, zones humides, tourbières, marécages… Les sols stocks l’eau, la purifient, puis la redistribuent. Mais quand nous artificialisons – c’est encore le cas dans les Alpes aujourd’hui -, nous nous rendons vulnérables aux aléas climatiques. En réponse, nous cherchons à encore plus artificialiser le cycle de l’eau. Pour passer les canicules, il faut des forêts, des sols qui retiennent l’eau, des pelouses, des glaciers… Ces éléments proposent les solutions les moins onéreuses et les plus durables.

Votre discours est-il entendu ?

Oui et non. Des citoyens, élus, entreprises sont à l’écoute des scientifiques et prêts à coconstruire la suite de l’histoire face aux défis. D’autres se cramponnent sur l’existant sans se soucier des alertes et données objectives. La technologie ne va pas changer grand-chose sans une mutation en profondeur. La transition devient indispensable et on ne pourra pas vivre de la même manière à l’avenir. C’est un défi colossal mais aussi une opportunité de repenser collectivement les territoires avec créativité, les liens qui unissent les acteurs, qui rattachent à la nature.

Les tenants du business se rangeront à ces arguments dans le futur selon vous ?

Oui, car sans glacier, l’énergie et l’eau coûteront beaucoup plus cher, la production hydroélectrique ou l’irrigation des terres agricoles ne seront plus envisageable, sans compter la montée rapide des océans aux conséquences sociales et migratoires sans précédent. Des activités économiques actuelles paraitrons bien dérisoires. L’autre facteur de changement pourrait venir des assurances, susceptibles justement de refuser d’assurer des stations si chahutées par les aléas climatiques, signant la fin du « business as usual ». Il est encore temps de sauver une partie des glaciers sur Terre mais la fenêtre se referme. Ces glaciers sont des étendards. Ainsi, en Suisse, on a voté une loi climat ambitieuse grâce à « l’initiative pour les glaciers ». À nous d’inventer la suite de notre côté des Alpes.

Bio express

1986
Naissance à Annemasse (nationalité française et suisse)

2016
Fin du doctorat à l’Université de Lausanne sur l’évolution des petits glaciers alpins

2021
Lancement du projet Ice&Life pour mieux connaitre et protéger les glaciers et les écosystèmes post-glaciaires à Asters-CEN74

2022
Nomination au Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) et au Conseil National de la Montagne (CNM)

2023
Jean-Baptiste Bosson cosigne dans la revue Nature l’article « Nature Future emergence of new ecosystems caused by glacial retreat », publié le 16 août 2023. À lire sur : nature.com/articles/s41586-023-06302-2 .


Propos recueillis par Julien Tarby.
Photo à la une : une partie du Massif du Mont Blanc, début été 2023.


Cet article est issu de notre Panorama économique des domaines skiables 2023-2024, disponible au format liseuse en ligne ou au format papier.


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