Labellemontagne : « Nous visons les 100 millions d’euros en 2027 »

par | 08 décembre 2021

Le PDG de Labellemontagne, Jean-Yves Remy, fête les 60 ans de l’entreprise familiale. L’opportunité pour ce dirigeant visionnaire, très investi, de retracer les grandes étapes et les choix stratégiques qui ont façonné le groupe. Sur fond d’enjeux et de Covid, avec ses hauts et ses bas. Interview.

Votre parcours ?

Sachant que je reprendrai, le jour venu, les rênes de l’entreprise, je me suis formé à l’École des dirigeants d’entreprises de Paris (Edep). Mon diplôme en poche, j’ai travaillé pendant deux ans au Crédit hôtelier CEPME (aujourd’hui Bpifrance), au service touristique. Cette expérience m’a permis de circuler dans les stations françaises, de voir ce qu’il s’y faisait. L’opportunité d’intégrer le groupe s’est présentée plus vite que prévu avec le rachat du Grand Hôtel Bragard à Gérardmer, qui a conduit à la restructuration de la société Remy et Fils, devenue leader de l’hôtellerie de montagne dans les Vosges.

À 25 ans, vous rejoignez l’entreprise familiale…

En 1985, je prends la direction de l’Hôtel des Vallées à la Bresse. Après avoir vécu pendant quinze ans de mon enfance dans une chambre d’hôtel, j’étais à bonne école et en contact permanent avec le client, ce qui m’a permis d’avoir une vision à 360° de ses besoins et m’a influencé, plus tard, dans ma réflexion et mes choix. Cela a duré quatre avant, avant que je gère les finances du groupe au côté de mon père. En 1990, je deviens directeur des remontées mécaniques et lui succède à la direction générale en 1996.

Labellemontagne fête 60 ans d’existence. Quelles ont été les évolutions majeures ?

La société Remy et Fils – devenue Remy Loisirs, puis Labellemontagne – a été créée, en octobre 1961, par mon père Jean-Marie et ses deux frères à La Bresse. Mon père qui avait fait l’école hôtelière de Thonon reprend l’hôtel familial Les Vallées après-guerre. En 1960, ils imaginent la première station de ski de la Bresse, Super Vallée, qu’ils déplaceront à La Bresse-Hohneck. En 1970, le premier self-service de montagne en France, Le Slalom, voit le jour, suivi de la première luge d’été (une seule, à l’époque, existait en Allemagne). En 1974-1975, mon père décide d’investir dans la neige de culture, qui n’était pas une pratique courante. 1988 marque une grosse année d’investissements dans les enneigeurs et les remontées mécaniques, l’équivalent de deux années de chiffre d’affaires, mais l’absence de neige l’hiver 1989 met en péril l’entreprise et remet en cause notre business model. Le plan que j’élabore nous sauve du dépôt de bilan. À partir de là, je n’ai eu de cesse de vouloir sécuriser cette entreprise qui détient un savoir-faire.

Au final, une success story due à votre stratégie de croissance et de diversification ?

Présents uniquement dans les Vosges et en moyenne altitude, nous étions trop tributaires des aléas climatiques, alors j’ai choisi de nous déployer sur des massifs alpins. Une gestation qui a pris du temps, huit ans exactement, avec la reprise, en 1996, de Saint François Longchamp (Savoie), et, en 1999, du Val d’Allos (Alpes-de-Haute-Provence). Le début d’une « longue » série puisque nous avons exploité jusqu’à onze domaines skiables.  Après les années 2000, nous avons mis en place une offre de service pour intéresser les collectivités et construit un groupe autour d’une vraie stratégies. La sécurité financière était atteinte puisque l’entreprise n’a plus jamais été déficitaire, malgré les crises et les aléas climatiques que nous avons traversés.

« En l‘espace de 60 ans, nous sommes passés d’hôtelier à exploitant de remontées mécaniques et de loisirs en en nous diversifiant sur d’autres massifs, notamment via la gestion d’hébergements au service des remontées mécaniques pour créer des lits chauds. »

Labellemontagne, c’est 10 stations familiales, 7 domaines skiables : La Bresse, La Schlucht, Manigod, le Val d’Arly (Notre-Dame-de-Bellecombe, Flumet et Praz-sur-Arly), Saint François Longchamp, Orcières Merlette et Risoul en Savoie Mont Blanc, dans les Vosges et les Hautes-Alpes, et aussi Bardonecchia en Italie. Crédit photo Labellemontagne

Après la fermeture des remontées mécaniques l’hiver dernier, comment se porte le groupe ?

Deux mots pour caractériser le Covid : soudain et violent… une crise économique, sanitaire et psychologique pour un dirigeant et ses salariés. J’avais un seul mot d’ordre, laisser de côté l’affect pour sauvegarder l’entreprise. J’ai aujourd’hui le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait avec le soutien de mes équipes. Résultat des courses – et nous ne sommes pas encore en bout de piste –, nous avons préservé la trésorerie et sommes en état pour rebondir. Le groupe peut imaginer être à l’équilibre en 2021, après deux bonnes saisons estivales.

La crise a déstructuré le marché de l’emploi et créé un tel déséquilibre qu’il nous faut gérer les situations d’excès, avec parfois des saisonniers réfractaires au vaccin qui préfèrent quitter les stations. Fort heureusement, il y a une vraie appétence des clients pour la montagne, et c’est très positif. L’agence Labellemontagne, notre centrale de réservation, affiche une hausse de 15 % et les préventes de forfaits suivent la même tendance.

Dernièrement, vous avez perdu la DSP de Crest-Voland/Cohennoz, pour quelles raisons ?

La fin du contrat de la DSP de onze ans arrivait à son terme le 30 août 2020 et avait été reportée d’un an en raison du Covid. Après vingt ans d’exploitation par Labellemontagne, les deux collectivités ont fait le choix de gérer en direct les remontées mécaniques. Une décision politique qui ne remet pas en cause nos compétences.

« On vit aujourd’hui la deuxième partie de la crise, avec le passe sanitaire. Le gouvernement nous a transféré une responsabilité de vérification des clients et de nos collaborateurs. »

S’en est suivi le Snowhall d’Amnéville, piste de ski indoor, que vous aviez repris en 2018 mais dont vous venez de vous séparer… que s’est-il passé ?

« Avec du recul, cela fait un challenge en moins par les temps qui courent. Se pose aussi la question de faire du ski dans une caisse, véritable gouffre énergétique, à l’heure du réchauffement climatique. »

Gérer un projet de ski urbain dans le Grand Est aurait pu être intéressant. Pour rappel, le site de 86 000 mètres carrés, basé à Amnéville en Moselle, était dans un état déplorable et perdait un million d’euros par an. Je crois pouvoir dire que Labellemontagne a une addiction à la complexité (sourires). La première année d’exploitation a été conforme au plan de charges avec un redressement sensible, mais avec le Covid nous obligeant à fermer quinze mois, et sans aucune aide de l’État, la situation a dégénéré. Les coûts d’énergie s’élevaient à 50 000 euros par mois pour maintenir le froid et la neige. Au final, d’un commun accord, nous avons dénoncé le bail commercial qui s’achevait fin octobre pour imaginer un autre véhicule juridique dans lequel elle serait plus interventionniste. Au dernier moment, la collectivité a changé son fusil d’épaule et choisi un autre exploitant (Ndlr, SnowWorld, leader du ski indoor), en remettant également en cause le projet de parc de la glisse que nous avions engagé. Dommage, on avait fait le plus dur, mais toute expérience – même si on peut déplorer un manque d’honnêteté intellectuelle – porte ses enseignements. Avec du recul, cela fait un challenge en moins par les temps qui courent. Se pose aussi la question de faire du ski dans une caisse, véritable gouffre énergétique, à l’heure du réchauffement climatique.

En parallèle, le concept de Wam Park se développe. Qu’en est-il ?

Avec mon associé Romain Llobet, qui a imaginé ce concept de plan d’eau de loisirs à Albertville (qu’il détient en propre), nous avons signé notre 6 e Wam Park à Montauban, après ceux de Thaon-les-Vosges, Fontainebleau, Lyon Condrieu, Orange, Toulouse, et répondons à un appel d’offres à Manosque.

Nous en avons d’autres dans le viseur mais sommes limités, car ces plans d’eau, pour être exploitables, doivent s’étendre sur cinq à dix hectares avec une zone de chalandise de 200 000 à 300 000 personnes. Chaque projet nécessite un investissement de 700 000 à 1,2 million d’euros, le socle comprenant un petit et un grand téléski, des jeux gonflables et une zone de détente. S’y ajoutent, le plus souvent, un water jump et un water slide [ndlr : types de toboggans aquatiques]. C’est un nouvel exercice que de se développer hors zone de montagne. De plus, il s’agit d’une activité estivale qui a été peu touchée par la crise. À l’instar du téléphérique de Namur, en Belgique, que nous avons ouvert avec Poma en mai 2021 et dont le résultat est concluant.

« Nous ciblons une à deux ouverture(s) par an, soit dix sites d’ici à cinq ans et le double dans dix ans. »

Vous avez aussi lancé, au printemps, une place de marché. À quelle fin ?

Cette place de marché est une autre voie de développement, en complément des tyroliennes, luges d’été… pour répondre au volet loisirs des stations. Nous nous sommes rapprochés de Monsejourenmontagne – la plateforme de l’École du ski français – et travaillons en marque blanche. Nous avons des ambitions clairement affichées, comme celle de mettre en ligne notre offre d’hébergements et de séjours, de loisirs et de ski, à laquelle on agrège toute l’offre des stations (location de skis, cours esf, activités de loisirs et hébergements) où nous sommes présents. Cinquante contrats ont été signés et sont en cours de déploiement.

Que représente aujourd’hui le groupe Labellemontagne ?

Labellemontagne, c’est dix sites dans sept domaines skiables à taille humaine en gestion ainsi qu’un hôtel et une résidence de tourisme (ceux des Vallées) détenus en propre à La Bresse et quatre résidences de tourisme à bail ou en mandat de gestion… excepté à Manigod et à Risoul où nous avons signé un accord de commercialisation avec les opérateurs locaux. Notre périmètre n’est pas figé, à condition d’être autonome dans les stations qu’on opère. Le groupe possède aussi son agence de voyages proposant des offres packagées aux familles (du forfait de ski et le matériel aux courses livrées dans l’appartement) et un call center.

En 2018-2019, année de référence, notre chiffre d’affaires s’établissait à 85 millions d’euros, dont 70 % dans les domaines skiables avec 3 millions de journées skieurs, avec 250 salariés à l’année et jusqu’à 1 200 en haute saison. Covid oblige, l’activité a fléchi à 50 millions, si l’on inclut les aides de l’État.

Enfin, quels sont vos investissements et innovations cet hiver pour relancer la machine ?

Outre la digitalisation, nous allons expérimenter une aire de repos La Terrasse à Saint François Longchamp proposant un prêt à cuire sur les pistes, avec la mise à disposition de braseros et barbecues pour les clients qui préfèrent pique-niquer. L’objectif n’est pas de concurrencer les restaurants d’altitude mais d’apporter un service, une expérience. Si le concept fonctionne, il sera déployé sur les autres sites du groupe.

Ils portent sur de nouveaux enneigeurs et la création de deux retenues collinaires. Des appels d’offres de DSP vont être lancés à la Bresse et à Orcières Merlette qui auront leur propre programme. Au global, plus de 40 millions d’euros seront investis en fonds propres et dettes bancaires pour moderniser et développer les loisirs. Notre volonté est d’augmenter le chiffre d’affaires dans le périmètre existant à 100 millions d’euros d’ici 2027.

« Quant aux investissements, nous les avons clairement mis en stand-by pendant la crise pour mieux rebondir dans les cinq ans à venir. »

BIO EXPRESS
– 1960 : Naît à Cornimont (Vosges)
– 1982 : Est diplômé de l’Edep, école de gestion et de management à Paris
– 1983 : Entre comme chargé d’étude au CEPME pendant deux ans
– 1985 : Intègre l‘entreprise familiale comme directeur de l’hôtel Les Vallées à la Bresse
– 1989 : Devient directeur général de Remy Loisirs
– 1996 : Est nommé président du directoire du groupe
– 2001 : Entre à Domaines skiables de France (DSF), comme président de la commission social, puis devient président délégué (2003-2018) et de la section massif des Vosges (depuis 2004). Il est trésorier depuis 2018
– 2003 : Déménage le siège social à Alpespace (Savoie) et rebaptise le groupe Labellemontagne en 2005.
– 2009 : Accède au poste de PDG de Labellemontagne


Patricia Rey


4 Commentaires

  1. La Vosgienne

    Félicitations à Jean Yves REMY pour cette belle réussite avec un parcours hors norme qui doit ravir M. Jean-Marie REMY, père.
    Ayant des racines à La Bresse, j’ai eu le privilège de bénéficier des premières infrastructures et suivantes au Slalom où je skiais.
    Belle continuité à vous.
    Une Vosgienne

    Réponse
  2. Patrick

    La direction ferait bien de reserver un parking ferméa proximité de la station pour ses employés. Cela évitera bien des désagréments genres PV,distance,tracas, matériel au personnel . A réfléchir sérieusement
    On ne parle pratiquement pas des travailleurs de l’ombre. Un peu de social ferait du bien !!
    À bons entendeurs…..

    Réponse
  3. Risoulien

    À part utiliser les stations comme des vaches à lait en les laissant crever, qu’a fait ce monsieur ?

    Pralognan, Crest-Voland, etc… quelle est la prochaine ? Risoul où les projets ne sont jamais respectés. Et ce publi-reportage encensant ce chef d’entreprise peu scrupuleux.

    Un scandale.

    Réponse
    • Nicolas

      Un requin formé dans une école de gestion.. aucun scrupule. Pas de sentiment. Rentabilité maximale au détriment des sites de ses esclaves et des clients. Bravo monsieur. Belle réussite personnelle.a l heure du macron vous êtes dans les meilleurs

      Réponse

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