Limitation de la libre circulation : la Suisse joue à se faire peur

par | 17 septembre 2020

Le 27 septembre, les suisses devront se prononcer sur l’initiative de l’UDC « pour une immigration modérée ». Son adoption remettrait en cause tous les accords bilatéraux en vigueur avec l’Union Européenne. Va-t-on vers un Brexit suisse (Swexit) ?

Par votation, les Suisses résisterontils à la tentation de la volvation, ce mouvement par lequel certains animaux se roulent en boule sur euxmêmes lorsqu’ils se sentent menacés ? Ils sont en tout cas invités à se prononcer – à nouveau – sur une initiative de l’Union démocratique du centre (UDC, parti populiste) voulant redonner à la Suisse sa pleine souveraineté en matière d’immigration, lors de la votation fédérale qui se tiendra le 27 septembre prochain.

« CE SERAIT UN BREXIT SUISSE. »

Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale

« Clause Guillotine »

Cette initiative « Pour une immigration modérée », dite « de limitation », fait suite au « scandale », selon l’UDC, de la mise en application de son initiative « Contre l’immigration de masse », approuvée à la surprise générale par le peuple en février 2014.

Celle-ci réclamait notamment le retour des contingents. Prenant acte qu’une telle mesure violerait le droit européen qui garantit la libre circulation des personnes, le parlement a laborieusement bricolé une solution plus “eurocompatible” : la « préférence indigène light », qui favorise l’embauche de la main-d’oeuvre résidant en Suisse dans certains secteurs d’activité. Las, ce n’était pas assez pour l’UDC qui a donc remis le couvert, en veillant cette fois à ce que la rédaction de son initiative soit plus contraignante. En cas d’adoption, le Conseil fédéral disposerait d’un an pour renégocier l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes (ALCP), signé en 1999 avec l’Union européenne (UE).

En cas d’échec, le Conseil fédéral devrait le résilier dans un délai de trente jours. Mais ce n’est pas tout. La résiliation de l’ALCP mettrait automatiquement un terme à six autres accords bilatéraux, en vertu de la « clause guillotine » qu’une UE – pour une fois prévoyante – avait eu la précaution d’imposer à l’époque. Ceux-ci encadrent les obstacles techniques concernant le commerce, la recherche, les marchés publics, les transports terrestres et aériens, et l’agriculture.

Vers un Swexit ?

« Ce serait un Brexit suisse », a prévenu la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, cheffe du Département fédéral de justice et police. Même si l’image peut faire sourire s’agissant d’un pays qui ne fait pas partie de l’Union, elle souligne à quel point il pourrait s’agir d’un séisme institutionnel. Et économique, puisque l’UE est le principal partenaire de la Suisse qui y écoule 52 % de ses exportations.

Du monde universitaire aux milieux d’affaires, toute l’intelligentsia helvète, ou presque, fait campagne contre l’initiative de l’UDC, seulement soutenue dans sa croisade contre l’immigration par l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) et quelques francs-tireurs. De quoi assurer la victoire du non ? Les sondages semblent l’attester (seuls 37 % des Suisses seraient en faveur de l’initiative de l’UDC, selon un sondage Tamedia publié le 2 septembre), mais…. c’était aussi le cas il y a six ans, sans parler du Brexit.

D’ailleurs, les initiants regardent avec un oeil gourmand les gesticulations du premier ministre britannique Boris Johnson et attendent avec impatience de voir ce que l’impétrant arrivera à soutirer à leur adversaire commun. Ce vote constituera en tout cas un tournant pour l’avenir des relations bilatérales helvético-européennes. L’adoption de cette initiative de limitation y mettrait un coup d’arrêt.

Son refus pourrait a contrario dégager plus ou moins – en fonction de l’ampleur du non – la route menant à la conclusion d’un accord institutionnel chapeautant les quelque 120 accords bilatéraux signés avec l’UE. Pour mémoire, un projet d’accord attend sur la table des négociations depuis décembre 2018, mais le Conseil fédéral a jusqu’ici préféré différer sa signature…


Par Matthieu Challier

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