L’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen met en lumière les risques liés à la présence d’activités industrielles. Avec 12 établissements Seveso, la Savoie est bien plus concernée que sa voisine haut-savoyarde qui recense seulement deux sites.
Le 26 septembre dernier à Rouen, près de 10 000 tonnes de produits chimiques partaient en fumée dans l’incendie de l’usine Lubrizol et de l’entrepôt logistique voisin. La catastrophe qui continue de soulever interrogations et inquiétudes conduit le gouvernement à demander des contrôles supplémentaires sur les sites industriels classés.
« Nous avons reçu en fin de semaine dernière une lettre du préfet de région nous demandant de tenir à jour et à la disposition des autorités, les stocks de matières dangereuses, en temps réel. Nous répondons aisément à cette demande car nous effectuons déjà ces mises à jour », explique Paul-Olivier Léon, directeur des ressources humaines de MSSA (294 salariés pour un chiffre d’affaires 2018 de 74 millions d’euros).
Installé à Saint-Marcel, le dernier fabricant européen de sodium qui a fêté en 2018 son 120e anniversaire est l’un des huit sites classés Seveso seuil haut en Savoie. Le département compte par ailleurs quatre établissements Seveso seuil bas.
Héritage historique
La carte de ces sites est très largement calquée sur l’histoire de la houille blanche, avec une forte représentation de la Maurienne qui concentre la moitié des industries classées. Certaines communes sont particulièrement concernées, comme Saint-Jean-de- Maurienne et La Chambre, avec deux sites Seveso chacune. Ugine en compte trois à elle-seule avec Ugitech (seuil haut), Areva NP et Messer (seuil bas).
La carte est nettement moins fournie en Haute-Savoie : le département ne compte aucun site Seveso seuil bas, et deux établissements Seveso seuil haut. Il s’agit du dépôt pétrolier de Haute- Savoie (DPHS), implanté depuis 1967 sur la zone industrielle de Vovray à Annecy, et de l’entreprise de logistique Safram (Éteaux), classée depuis septembre 2019 pour laquelle un plan particulier d’intervention (PPI) doit être rédigé dans les deux ans.
Batterie d’obligation
L’arsenal des obligations qui s’imposent aux industriels classés Seveso pour prévenir et gérer les accidents, mais aussi informer et protéger les riverains et les salariés est touffu. À commencer par les innovations susceptibles de réduire les risques.
« Cette année, nous avons par exemple investi 100 000 euros pour faire évoluer nos process et utiliser, pour décaper nos aciers, un produit plus dilué, rétrécissant le périmètre de la zone dangereuse à l’intérieur de l’usine », souligne Bruno Henriet, directeur technique d’Ugitech. Le fabricant de produits en acier qui a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires de 660 millions d’euros avec 1 900 salariés, dont 1 300 à Ugine.
« Depuis le début des années 2000 et notre certification Iso 14 001, nous sommes engagés dans une démarche d’investissements continus. Les audits très réguliers réalisés par des organismes extérieurs nous aident à progresser », ajoute Pascale Haudrechy, responsable sécurité, incendie, environnement du groupe uginois.
Accidentologie
À Saint-Marcel, MSSA a réalisé en 2018 une trentaine d’exercices de sécurité, sur la base de “scénarios surprises”, dont quatre avec les pompiers. L’industriel dispose également d’un automate capable d’appeler, en cas de problème, environ 2 500 personnes en 15 minutes. « Lorsque nous l’avons expérimenté, nombre de personnes raccrochaient sans écouter les consignes de sécurité car elles pensaient avoir affaire à des démarcheurs publicitaires. Ce constat nous a conduit à de nouveau informer sur l’importance des messages de sécurité », indique Paul-Olivier Léon.
En parallèle, le fabricant de sodium est soumis aux obligations du plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Il est propriétaire de douze logements dont les locataires ont été relogés en raison de leur proximité avec l’usine. L’investissement de l’ordre de 30 000 euros s’ajoute aux 170 000 euros prévus pour le cofinancement (25 %) des travaux de confortement de 80 autres logements à proximité. Les 75 % restant font l’objet d’une clé de répartition entre les collectivités, l’État et les propriétaires.
Malgré cette forte présence de sites industriels Seveso en Savoie, la préfecture observe qu’aucun accident grave n’est survenu dans un passé récent. Idem en Haute-Savoie, où les derniers incidents significatifs survenus au DPHS remontent à 1980 (fuite dans des tuyauteries enterrées) et 1984 (débordement d’un bac de stockage dans une cuvette de rétention).
« Des mesures de protection et de surveillance ont depuis été mises en oeuvre », précise la préfecture. Selon l’inventaire des accidents technologiques, 2018 a pourtant été émaillée, en France, par 1 112 incidents dans les installations classées (978 en 2017, 827 en 2016). Au sein de cet ensemble, les établissements classés Seveso ont vu augmenter de 25 % le nombre d’accidents après une hausse de 22 % en 2017 et 15 % en 2016. Les secteurs les plus touchés sont les déchets, mais aussi le raffinage, le transport et l’entreposage.
Urbanisation, le “Risques” sans le péril
La loi Risques a été adoptée après l’explosion d’AZF qui avait fait 31 morts à Toulouse en septembre 2001. Elle a notamment mis l’accent sur l’urbanisme existant via les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui prévoit la définition de périmètres autour des établissements avec des niveaux de danger graduels pouvant déboucher sur des interdictions de construire.
Pour l’existant, les obligations vont du rachat, par voie d’expropriation si nécessaire, des bâtiments en vue d’une démolition à la réalisation de travaux de confortement ou la réalisation d’une pièce de confinement (dont les aérations peuvent être bouchées). « Nous avons racheté, à l’amiable, 4 à 5 maisons qui vont être démolies. La facture s’est élevée à 1,3 million d’euros, dont 300 000 euros pour la commune », précise Jean Bouvier, le maire d’Épierre.
« LES PROPRIÉTAIRES CONTRAINTS DE QUITTER LEUR MAISON SONT DÉDOMMAGÉS GRÂCE À UN FINANCEMENT TRIPARTITE ASSOCIANT EXPLOITANTS INDUSTRIELS, COLLECTIVITÉS LOCALES ET ÉTAT. »
Lanxess, le site industriel présent sur la commune a de son côté démoli les maisons utilisées autrefois par les cadres de l’usine. « L’aléa le plus grave identifié est celui d’une fuite de phosphore. Or celui-ci brûle au contact avec l’air, provoquant une fumée non toxique. Tous ceux qui connaissent l’usine le savent », poursuit l’élu. La Chambre qui compte deux établissements Seveso seuil haut sur son territoire (Arkema et PSM) a approuvé son PPRT en août 2018.
« Il est évident que les contraintes sont fortes car les constructions se sont développées autour de l’usine qui a plus de 90 ans. Il est très difficile de procéder à des expropriations quand les propriétés voisines sont épargnées parce qu’elles sont situées de l’autre côté du périmètre », reconnaît Gérald Durieux, son maire.
Deux maisons et une entreprise ont ainsi été expropriées en vue d’une démolition. Du foncier non bâti a aussi été racheté. Pour la commune, la facture des expropriations s’est élevée à 400 000 euros. Des prescriptions et recommandations de travaux seront par ailleurs faites pour renforcer des bâtiments.
Par Sophie Boutrelle
Merci pour ces détails sur les implantations seveso et les limites territoriales qui peuvent s’appliquer.