Philippe Bourdeau est professeur à l’Institut de Géographie alpine de l’université Grenoble-Alpes, laboratoire Pacte, il a notamment écrit sur les dilemmes de transition. Interview.
Pourquoi assisterait-on à la fin d’un modèle ?

La neige de culture est une belle réponse de court terme, mais nous grevons les capacités d’adaptation de long terme. Nous produisons à trois euros un mètre cube de neige qui était gratuit par le passé. La surface à enneiger est vouée à augmenter (15 % des domaines skiables français en 2007, 30 % en 2018, 70 à 80 % visés pour 2030) et le coût énergétique explosera. Le ski devient donc cher et élitiste, seulement 8 % des Français le pratiquent et les stations doivent solliciter des clientèles internationales éloignées. La crise sanitaire a mis à jour une revanche des stations-villages et une trop forte dépendance des grandes entités monospécialisées aux flux de touristes lointains. Celles-ci réalisent tous les quatre ans une bonne année qui reconstitue leur trésorerie et les dissuade de changer de modèle. Et le lobby du secteur a engagé le politique à subventionner les canons à neige et à abandonner la démarche prospective « La montagne en 2040 » de la précédente majorité.
« Nous produisons à 3€ un mètre cube de neige qui était gratuit par le passé. La surface à enneiger est vouée à augmenter et le coût énergétique explosera. »
Mais le ski n’est-il pas encore roi ?
La visibilité des grands évènements sportifs et les rentes entretenues autour des sports d’hiver sont encore hautes. Le monde de la montagne est encore symboliquement très attaché au ski, c’est même identitaire. Beaucoup pensent donc qu’il faut s’en tenir au verdissement visible des stations, avec dameuses à hydrogène, panneaux solaires pour alimenter les remontées, tri des déchets plus soutenu… Mais cela revient à faire semblant de tout changer pour que rien ne change. Le ski n’est plus aussi central que par le passé et il devra accompagner la transition sur les 30 prochaines années. Les aides ne devront plus être aiguillées d’emblée sur les infrastructures mais réorientées vers le soin des gens, de leur santé, de leurs conditions de vie au sens large.
« Beaucoup pensent donc qu’il faut s’en tenir au verdissement visible des stations, avec dameuses à hydrogène, panneaux solaires pour alimenter les remontées, tri des déchets plus soutenu… »
Ne parle-t-on pas dans un premier temps de diversification touristique ?
Les opérateurs de filières touristiques proposent de l’« agir créatif » (vélo, raquettes, randonnée, snowkite, ski nordique, de randonnée…) plus flexible selon l’enneigement. Des territoires, parfois en dehors des stations, deviennent des « laboratoires récréatifs » avec un foisonnement d’initiatives innovantes et éthiques par des guides, moniteurs, gardiens de refuges, hébergeurs… Et puis la saison estivale monte en puissance, dépassant l’hiver pour la proportion des nuitées en hébergements marchands (45 % contre 39 %) et pour la durée des séjours (7.2 jours contre 5.3) (Atout France, 2017). Dans les stations de moyenne montagne, de nouveaux imaginaires sans la neige devront être inventés, basés sur le patrimoine culturel, les traditions, l’art de vivre et la santé.
« Le changement de modèle se réalise à bas bruit, et il y aura des crises. »
La transition aurait déjà commencé dans les stations selon vous ?
Les diagnostics socioéconomiques localisé manquent pour mettre en exergue la part de transition qui est déjà là. Mais il existe de nombreux endroits où des emplois hors-tourisme sont créés et ne font pas les titres de la presse. Les lignes bougent doucement, il s’agissait de sortir du tout ski dans les années 1990, du tout neige dans les 2000, du tout tourisme dans les 2010.
La constatez-vous sur les terrains que vous étudiez ?
J’observe le Vercors et les Aravis, liés aux sports d’hiver mais où l’économie se diversifie discrètement. Les maires fonctionnent encore sur l’ancien logiciel de l’attractivité. Évitons le terrain de jeu disneylandisé ou le refuge climatique gentrifié. La notion d’habilité du territoire, pour l’approvisionnement, l’eau, l’énergie, l’emploi, les usages de la montagne… doit grandir. Un décalage se crée entre la vision d’un tourisme prédominant par les opérateurs et élus, et la réalité. L’agriculture, l’industrie, de nouveaux services prendront de plus en plus le relais. Le changement de modèle se réalise à bas bruit, et il y aura des crises.
Propos recueillis par Julien Tarby
Cet article est issu de notre Panorama économique des domaines skiables 2023-2024, disponible au format liseuse en ligne ou au format papier.

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