À Peisey-Nancroix, où elle a grandi, Camille Étienne a vu les effets du réchauffement climatique sur le Mont Pourri. Rencontre avec cette activiste pour le climat et autrice qui milite pour un soulèvement écologique.
Avez-vous conservé des liens avec la Savoie, où vous avez passé votre enfance ?
Oui, bien sûr. J’ai grandi à Peisey-Nancroix, où vit encore une bonne partie de ma famille et où je reviens aussi souvent que possible. Ma mère a fait partie des équipes de France de snowboard et d’escalade, avant qu’un accident ne mette fin à sa carrière. Mon père est guide de montagne et mon frère est en train de le devenir. Petite, j’ai fait du biathlon en compétition. Alors que je travaillais l’été au bureau des guides, j’ai vu changer le mont Pourri (le premier sommet que j’ai grimpé, à l’âge de 18 ans) sous l’effet du réchauffement climatique. Ma prise de conscience écologique remonte sans doute à ce constat.
Quel regard portez-vous sur l’aménagement de la montagne ?
Avec un collectif de citoyens, athlètes, scientifiques et Protect Our Winters, nous avons lancé La Voix des glaciers. Ces projections, libres et citoyennes, de films mis à disposition rassemblent autour de la table des gens qui ont en commun de vivre de la montagne ou en montagne. Je suis aujourd’hui davantage en retrait sur ces sujets, car je ne vis plus là, mais je suis admirative et soutiens les initiatives comme celle du collectif qui s’est mobilisé contre la retenue collinaire de La Clusaz visant à s’approprier de l’eau pour faire de la neige artificielle.
« L’impératif climatique est total. Six des neuf limites planétaires ont déjà été dépassées. Nous sommes sortis de la zone de sûreté pour l’humanité. Nous devons absolument définir nos priorités et les ressources que nous voulons leur allouer. »
Que préconisez-vous ?
La vraie question, c’est comment on continue à vivre dans ces territoires de montagne qu’on adore mais que le modèle actuel de ponctions, d’accaparement est en train de détruire. Je ne pense pas qu’il faille les sanctuariser mais les pratiques peuvent changer. Le ski de fond constitue une bonne alternative car il ne nécessite pas de remontées mécaniques et peu de neige de culture. Dans le domaine des transports – principale source de pollution en station –, Les Arcs, avec le funiculaire, est un bon exemple de ce qu’il est possible de faire. Je crois juste qu’il faut rendre la montagne à ceux qui y vivent, alors que le modèle actuel ne permet plus à ses acteurs d’y habiter. Les hôtels de luxe, ce n’est pas l’avenir que je veux pour ma montagne.
« La vraie question, c’est comment on continue à vivre dans ces territoires de montagne qu’on adore mais que le modèle actuel de ponctions, d’accaparement est en train de détruire. Je ne pense pas qu’il faille les sanctuariser mais les pratiques peuvent changer. »
Autre sujet aux répercussions locales : les PFAS. Vous vous êtes mobilisée lors de l’adoption du projet de loi en avril dernier à l’Assemblée nationale. Comment réagissez-vous au retrait de l’alinéa relatif aux outils culinaires ?
Dire que le téflon utilisé aujourd’hui n’est pas dangereux, c’est vraiment ignorer tous les arguments scientifiques. Nous sommes tous contaminés par les polluants éternels rejetés dans l’eau, l’air et les sols. On sait que Tefal est une entreprise importante dans la région, mais elle produit déjà des poêles en inox et céramique. C’est vraiment dommage qu’un acteur de cette taille, qui pourrait devenir leader sur ce marché, ne soit pas en capacité de prendre le virage. Qu’il se dise incapable de faire évoluer ses lignes de production.
Alors que le projet de loi était en discussion à l’Assemblée nationale, des salariés ont manifesté leur soutien au groupe Seb, évoquant la possible destruction de 3 000 emplois à Rumilly et Tournus…
J’ai parlé avec certains d’entre eux. Outre l’envoi de mails internes, la direction est venue dans l’usine pour annoncer que des bus seraient affrétés et que les manifestants seraient rémunérés. Il est cynique d’envoyer les employés en première ligne alors qu’ils sont les plus menacés par les PFAS. La direction du groupe a eu le culot de dire sur France Inter qu’elle était simplement là pour soutenir ses salariés. La rigueur scientifique est de notre côté. Ce qui menace vraiment l’emploi, ce n’est pas l’interdiction des PFAS mais Seb estimant que deux années ne lui suffisent pas pour se mettre à la page des obligations environnementales. D’un point de vue managérial, cette incapacité est inquiétante.
« Ce qui menace vraiment l’emploi, ce n’est pas l’interdiction des PFAS mais Seb estimant que deux années ne lui suffisent pas pour se mettre à la page des obligations environnementales. D’un point de vue managérial, cette incapacité est inquiétante. »
Quelles relations avez-vous plus globalement avec le monde des entreprises ?
Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, à l’échelle globale, elles font plus partie du problème que de la solution. Les plus grandes participent à la destruction de la planète. Nous avons besoin des entreprises qui peuvent être un pilier de la bifurcation écologique. Je pense que la France doit se réindustrialiser et produire, par exemple, les rails dont on a besoin pour relancer le fret ferroviaire. La même analyse peut être faite pour beaucoup d’autres productions qui pourraient être relocalisées et créer des emplois. D’autres, en revanche, doivent être abandonnées. Je ne peux me satisfaire du green washing car il ne remet pas en question le fonctionnement économique actuel.
Pensez-vous pouvoir faire bouger les lignes ?
L’impératif climatique est total. Six des neuf limites planétaires ont déjà été dépassées. Nous sommes sortis de la zone de sûreté pour l’humanité. Nous devons absolument définir nos priorités et les ressources que nous voulons leur allouer. Les forces contre nous sont très grandes et s’organisent. Il faut faire le deuil du “grand soir”. Nous ne sommes pas en train de changer le monde. Mais pour citer l’autrice Rebecca Solnit : « L’espérance, c’est la croyance que ce que nous faisons peut avoir une importance. »
Bio express
1998 : Naissance à Grenoble
2018 : Devient porte-parole du collectif « On est prêt »
2020 : Création du collectif “Avant l’orage” Coréalisation* de Réveillons nous
2021 : Coréalisation* de Génération
2022 : Coréalisation* de Glacier et Désobéir
2023 : Coréalisation* de Pourquoi on se bat, Publication de Pour un soulèvement écologique : dépasser notre impuissance collective (éd. du Seuil).
2024 : Coréalisation* de PFAS : comment les industriels nous empoisonnent
* Avec Solal Moisan
Propos recueillis par Sophie Boutrelle
Crédit photo : Géraldine Aresteanu
0 commentaires