Compagnie des Alpes: « Dans dix ans, l’été représentera 30 % de notre chiffre d’affaires »

par | 10 novembre 2021

Dominique Thillaud, nommé directeur général le 1er juin, est le nouvel homme fort de la Compagnie des Alpes. Il nous livre ses priorités et ses ambitions pour renouer avec la croissance rentable et pérenne, et aussi comment il veut faire des stations de ski des domaines de montagne à l’année. Entretien.

En pleine crise sanitaire, la Compagnie des Alpes a revu sa gouvernance, qu’en est-il ?

Le conseil d’administration ayant souhaité une dissociation des fonctions, j’assume la direction exécutive du groupe, épaulé par Loïc Bonhoure, directeur général délégué, et Dominique Marcel (ex-pdg) devient président du conseil d’administration. Parallèlement, j’ai créé des business units : David Ponson est désormais le patron de la montagne et de l’outdoor et Yariv Abehsera (cofondateur de Travelfactory), celui de la distribution et de l’hébergement à la montagne.

Quel est votre parcours ?

Je suis diplômé de l’École supérieure de commerce (ISC) et de l’école de management de Lyon. J’ai débuté ma carrière à Bruxelles au sein du département fusions et acquisitions de Banexi, la banque d’affaires du Groupe BNP Paribas, puis occupé différents postes dans le conseil et la banque d’affaires. En 2002, j’ai quitté la banque pour rejoindre la SNCF comme directeur des opérations, de la stratégie, avant de prendre la direction générale de SNCF Participations. En 2012, je deviens patron du groupe Aéroports de la Côte d’Azur, aventure qui a duré huit ans, jusqu’à ce que je rejoigne la Compagnie des Alpes. 

« Il faut se venger de la Covid et aller au ski  ! « 

Après une année sans remontées mécaniques et parcs de loisirs, quel bilan faites-vous ?

Première réaction : plus jamais cela ! La CDA est dans les starting-blocks et a investi massivement pour anticiper la relance et offrir un service et une expérience plus qualitatifs à la montagne. Alors que nous étions sévèrement touchés, nous avons maintenu tous nos saisonniers, même si cela a eu un coût puisqu’il a fallu assumer le reste à charge. Investir dans l’humain est indispensable parce que la fidélisation finit toujours par payer. Car, notre métier, c’est la vraie vie avec de vrais gens qui veulent vivre des moments tous ensemble, loin de la distanciation sociale, que ce soit dans les stations de ski ou dans nos parcs d’attractions.

À combien évaluez-vous vos pertes ?

Au global, la Covid nous aura coûté 800 millions d’euros. Le chiffre d’affaires annuel du groupe s’élève à 240,60 millions d’euros (-61 %) à fin septembre 2021, contre 800 à 850 millions en temps normal. Pour limiter les dégâts, nous avons économisé plus de 30 % des pertes et contracté deux PGE : le premier, d’un montant de 200 millions, prorogé sur quatre ans, et le second de 269 millions, que nous devrions commencer à rembourser d’ici la fin de l’année. L’État nous a également versé 165 millions d’indemnisations au titre des remontées mécaniques. Notre dette est de 800 millions à fin mars, et nous avons procédé à une augmentation de capital de 231 millions d’euros en juin pour financer la relance et nous positionner en investisseur.

Comment se profile la prochaine saison hivernale ? À quand un retour à la normale ?

Le cabinet G2A prévoit une baisse de 7 % cet hiver, et nous voulons être optimistes. Les récentes mesures annoncées par Jean Castex – port du masque dans les télécabines et les files d’attente des remontées mécaniques – vont créer un halo de réassurance pour les clients, qui vont pouvoir réserver. On va s’adapter, on sait faire. Pour un retour à la normale, il faudra attendre un peu. Les skieurs internationaux (40 % des clients) ne vont pas revenir demain et une inconnue plane sur le Royaume-Uni. C’est pourquoi j’ai relancé la ligne ferroviaire entre Londres et Bourg-Saint-Maurice (Travelski Express) pour refaciliter l’accès.

On vous dit fin stratège, rompu aux gestions de crise… Quelle est votre stratégie ?

On évoque souvent la concurrence de l’Autriche et de la Suisse, mais il y a aussi le billet d’avion à 29 euros pour aller passer une semaine à Rome entre copains. On doit se réinventer, innover, parce qu’on ne peut plus compter sur nos vieilles recettes. Cela passe par le développement des activités sur l’été, en y dédiant des fonds pour capter de nouvelles clientèles qui ne sont pas spécialistes de la montagne. Nous créons aussi des offres packagées incluant le transport pour doper l’expérience client, qui commencera dès l’entrée dans le train avec des animations.

« Il faut relancer l’activité et accélérer pour gagner en attractivité. « 

Les investissements sur les domaines skiables ont-ils été maintenus ?

La CDA a investi cette année plus de 70 millions d’euros dans les remontées mécaniques, un peu moins que d’ordinaire (environ 100 millions) en raison de reports techniques. De gros travaux ont été réalisés : La Lovatière à La Plagne, Le Vercland à Samoëns, la fin de l’aménagement de l’aiguille Rouge aux Arcs… Et aussi celui de la Masse, aux Menuires, qui va changer la vie des skieurs en reliant le sommet en 8 minutes contre 25 auparavant. Notre engagement est au-delà de celui d’un acteur économique privé ordinaire. Et ce qui n’a pas été fait l’an dernier sera fait cette année.

Autre enjeu, la création de lits chauds… Avez-vous des projets ?

Nous allons, à l’avenir, mettre un gros coup de booster dans des projets immobiliers pour maintenir et créer des lits chauds, tout en favorisant la rénovation dans les stations où la CDA est présente. Nous investirons dans des hébergements de type appartements et des concepts – qui sont le cœur de la machine – en direct, et pas par le biais de foncière, avec la volonté d’en maîtriser la distribution. Comme nous venons de le faire en lançant Yoonly pour les millénials.

À l’heure du réchauffement climatique, comment comptez-vous agir ?

La CDA se donne jusqu’à 2030 pour atteindre le zéro émission nette. Pour décarboner, nous agirons sur nos émissions directes et nos alimentations en ciblant l’optimisation énergétique et surtout le damage, qui pèse 90 % des émissions. Nous avons cofinancé le développement d’une dameuse 100 % électrique, fabriquée dans les Alpes avec CM Dupon. La première circulera cet hiver, avec prolongateur d’autonomie électrique ou hydrogène vert. On choisira la solution idoine pour équiper tous nos sites, l’équivalent de 150 dameuses. Nous nous intéresserons ensuite aux émissions indirectes, avec notamment le transport, comme avec le Travelski Express, pour faire venir les skieurs en train plutôt qu’en avion.

Selon vous, l’été représentera 30 % de votre chiffre d’affaires d’ici dix ans. N’est‑ce pas ambitieux ?

La CDA veut créer de l’attractivité sans dénaturer la montagne, en favorisant la rencontre et non la virtualisation. On va miser sur le mountain kart, le VTT électrique, les tyroliennes (celle des Arcs ouvrira cet hiver), les activités nautiques, comme on l’envisage au col de Forcle, à La Plagne… afin que chaque membre de la famille ait un intérêt à venir à la montagne, hors du tout-ski et toute l’année. C’est dans ce cadre-là que nous avons racheté Evolution 2, pour avoir les compétences, proposer plus d’activités outdoor et indoor et accompagner nos clients.

« Nos investissements seront conséquents sur le moyen terme (environ 50 M€) pour que l’été monte en puissance. »

Le Grand Massif sert d’ailleurs de station pilote…

Nous mettons en place, depuis un an, un produit clé en main toute-saison sur Flaine, Samoëns et Morillon, sous la forme de camps de base dédiés (enfants, ado et bien‑être), en concertation avec les collectivités locales. On doit gagner en expérience sur ces sujets pour pouvoir dupliquer. En 2022, deux autres stations seront lancées.

Certains, pourtant, craignent de voir les stations transformées en Disneyland pour touristes…

Notre intention n’est pas de créer des parcs d’attractions dans les stations.

La CDA propose des idées, le maire dispose. En fonction, on investira pour rendre les choses possibles. Rassurez-vous, aucun maire ne veut de Disneyland à la montagne.

« Encore une fois, le patron d’une station, c’est le maire qui décide de ce qui sera fait ou pas. »

CV EXPRESS
24 décembre 1968
Naît à Paris
1992
Intègre Banexi, au département “fusions et acquisitions”
2002
Rejoint la SNCF comme directeur des opérations du groupe et membre du Comité de direction, puis directeur Général de SNCF Participations et directeur de la stratégie du groupe.
Septembre 2012
Entre dans le groupe Aéroports de la Côte d’Azur comme président du directoire, et en accompagne le transformation et le développement en France et à l’international
25 mars 2021
Devient directeur général délégué de la Compagnie des Alpes, avant de prendre la direction générale le 1er juin

Propos recueillis par Patricia Rey

2 Commentaires

  1. Daniel D.

    Il faudra un jour que les dirigeants comprennent qu’en 2021 (presque 2022), on ne peut plus affirmer haut et fort que « dans dix ans, l’été pèsera 30% de notre chiffre ». À moins que vous ne raisonniez toutes choses égales par ailleurs Monsieur Thillaud, comment pouvez-vous lancer cette affirmation alors qu’en réalité, vous n’en savez rien. Quid d’une éventuelle pandémie Covid-30 ? Quid d’une raréfaction extrême des ressources (y compris la neige et l’eau) ? Quid d’un crash bancaire dans les mois ou années à venir ? En tant qu’investisseur, je préfère entendre de la part d’un dirigeant qu’il reste humble face aux défis qui viennent et qu’il accepte de dire « en réalité nous ne savons pas ». Vous qui aimez « la vraie vie avec des vrais gens », ne serait-il pas temps d’accepter la « vraie » réalité telle qu’elle est et non telle que vous voudriez qu’elle soit ?

    Réponse
  2. Meynet

    Philippe M
    Il serait grand temps qu’il il ait un forfait semaine pour l’ensemble des remontées mécaniques de la tarentaise !

    Réponse

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