À 46 ans, Fabrice Pannekoucke cumule différentes fonctions, dont celles de maire de Moûtiers et conseiller régional. Homme engagé, il se bat pour une montagne mieux préservée grâce, notamment, à l’hydrogène et aux ascenseurs valléens… Entretien.
Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours atypique et, surtout, un énorme handicap, que certains ne me pardonneront jamais : je ne suis pas né ici. En revanche, si certains y ont vu le jour malgré eux, j’ai fait le choix déterminé de m’y installer. À 10 ans, lorsque je venais en vacances au Villaret, j’ai fait un rêve de gosse, celui de travailler et de vivre ici. La vie m’a fait ce cadeau. Forestier de formation, j’ai travaillé, au début des années 1990, sur le développement de la friche en montagne et fait en sorte de faire mon stage à Saint-Jean-de-Belleville. À l’époque, Georges Cumin, un élu remarquable, m’avait commandé une étude. J’y suis allé pour six mois et n’en suis pas reparti, jusqu’à ce qu’Hervé Gaymard et Vincent Rolland me proposent d’être assistant parlementaire à Albertville.
Vous êtes élu maire à 25 ans…
J’ai été maire de Saint-Jean-de-Belleville dès 2001, car j’ai toujours eu à cœur de défendre ce territoire. Il y a tant de choses à faire autour de la montagne d’aujourd’hui et de demain. En 2010, j’ai pris la présidence de la communauté de communes Cœur de Tarentaise, avant de me présenter aux élections municipales à Moûtiers car j’avais la prétention d’avoir un projet pour cette ville, où j’ai été réélu en 2020. Vous connaissez la suite : conseiller régional délégué aux vallées de montagne, vice-président du comité de massif des Alpes… et président délégué aux relations institutionnelles du Cluster Montagne.
Comment vous organisez-vous pour être sur tous les fronts ?
Tout est question d’organisation, qui est la clé de voûte, et de travail. Je me déplace toujours à bon escient, quitte à multiplier les rendez-vous, et je vis comme dans des tunnels, en cloisonnant. Et j’ai la chance de pouvoir dormir peu. Le seul moment auquel je ne déroge pas, c’est le dîner avec ma famille, qui est devenu un vrai trésor. Sinon, je me lève tous les jours à 5 heures du matin et je prends une heure rien que pour moi, quoi qu’il arrive, pour aller promener mon chien et lire le journal, parce que c’est précieux et nécessaire à mon équilibre.
Le 18 octobre, vous êtes devenu président d’Aura Tourisme, pourquoi cette nouvelle fonction ? Et pourquoi un Savoyard à ce poste ? Est-ce un parti pris de la Région pour la montagne ?
J’ai été élu parce que j’en ai exprimé la volonté. J’ai la conviction profonde que le travail finit toujours par payer et que je suis légitime sur tous ces sujets. Quant au fait d’être montagnard plaidant pour la (seule) montagne, je m’en défends, car mon rôle consiste justement à intervenir à l’échelle de toute une région. Je connais bien ce périmètre en étant délégué aux vallées de montagne avec la charge des espaces valléens, que j’ai d’ailleurs audités dernièrement, d’où ma vision globale des territoires alpins et auvergnats dans toute leur diversité. Je le répète souvent, il n’y a pas un tourisme mais des tourismes : itinérance, gastronomie, thermalisme et bien-être, montagne, viticulture, pleine nature… Il faut arrêter de penser qu’il existe un seul modèle. Il peut varier dès lors qu’on change de vallée. Nous avons un territoire d’une grande richesse, avec des cultures diverses. On doit l’appréhender comme un énorme terrain de jeu et de différentes manières.
Quelle est votre feuille de route ?
Selon moi, il y a les sujets de fond et les sujets de forme. Dans la forme, comme expliqué précédemment, c’est pouvoir faire avec tous et sur l’ensemble du territoire, en tenant compte des particularités de chacun. S’agissant des sujets de fond, il y a deux temporalités : l’urgence de la prochaine saison, avec la dimension de l’emploi et la sortie de crise, et, à plus longue échéance, l’exemplarité de notre territoire en termes de durabilité et de responsabilité… Des sujets dont on ne peut plus se départir aujourd’hui. Il y a aussi ceux autour de la valeur des séjours, au sens économique, pour faire vivre les gens sur les territoires, mais aussi du sens que l’on donne au séjour et au tourisme, dans une logique durable. S’y ajoute la question des emplois et des formations, car Aura Tourisme, c’est aussi toute une ingénierie du tourisme qu’il faut faire évoluer. Enfin, la gouvernance, puisque l’agence régionale a la particularité de réunir public et privé, avec un travail à poursuivre dans ce sens-là.
Aura Tourisme vient de lancer la web-app Partir-ici, quels sont les enjeux ?
Avec Partir-ici, qui se veut un guide de voyage pour les Auvergnats-Rhônalpins (et tous les publics), nous apportons une vraie réponse au tourisme de proximité, une tendance sociétale majeure qui s’est accentuée avec la crise. Les chiffres l’attestent : la population régionale, qui représente d’ordinaire 26 % du volume touristique, est montée à 48 % l’été 2020 et à 37 % l’été dernier. Le premier enjeu est de créer de la valeur en donnant à voir et à consommer, dans un rayon de deux heures autour de chez soi. Le second vise un tourisme respectueux et bienveillant, par le biais d’acteurs engagés – ils sont plus de 400 proposant 2 000 offres triées sur le volet – en faveur d’un tourisme durable et local (sur la base d’un questionnaire de 45 critères économiques, sociaux et environnementaux établi avec l’Association pour le tourisme équitable et solidaire). Pour faire vivre cette plateforme digitale, des ambassadeurs de la destination produiront des contenus éclairés – expériences, coups de cœur… – et des stories. Et les résultats sont déjà probants. Trois semaines après le lancement, nous comptons déjà 20 000 visiteurs uniques, avec l’objectif d’atteindre les 100 000 d’ici la fin de l’année.
Vous êtes un fervent défenseur du plan régional Montagne 2, qui vient d’être adopté. Que répondez-vous à vos détracteurs qui dénoncent 30 millions d’euros investis dans les enneigeurs alors que vous prônez une montagne durable ?
Ce plan est fait pour servir et être utile ; il est aussi un bras de levier pour mettre en œuvre des projets et les financer. Nous avons la responsabilité d’accompagner les secteurs qui font notre économie – par définition le ski, qui rapporte à notre territoire 9 milliards d’euros – et aussi d’accompagner la montagne pour qu’elle soit plus durable.
« On ne peut pas résumer le plan Montagne à la seule question de la neige de culture. »
D’autres volets seront financés à hauteur de 70 millions d’euros, à commencer par la diversification des stations et leur transition, les jeunes, mais aussi les ascenseurs valléens et l’hydrogène, pour répondre aux mobilités de demain. Un vrai chemin a été parcouru. Exemple dans les Bauges, où il n’y a pas un développement déraisonné de la neige de culture. Et quand on va dans le Cantal, on investit dans la neige, mais pas que. Alors, à mes détracteurs, je leur dis que je suis prêt à débattre. Nous prônons une montagne vivante et habitée, avec la nécessité de faire vivre tout un territoire et de maintenir les emplois. De plus, ce plan de 100 millions n’est qu’un aperçu de ce que fait la Région pour la montagne.
Vous évoquiez l’hydrogène. Quid de la filière ? Et quelles sont vos ambitions en la matière ?
L’hydrogène est un sujet génial à porter, et qui me porte ! On n’a pas trouvé mieux pour servir la mobilité. Quant à la filière, en devenir, la Région a candidaté dans le cadre du projet européen Zero Emission Valley (ZEV), un plan à 70 millions d’euros dont 15 millions apportés par la Région, auquel sont associés Michelin et Engie. Ils ont été rejoints par le Crédit Agricole et la Banque des Territoires pour créer Hympulsion, société commerciale publique-privée, qui va impulser 20 stations en Auvergne-Rhône-Alpes et financer 1 200 véhicules. Sur ce sujet, nous avons fait le choix de tout déployer en même temps. De fait, nous travaillons sur une offre pour les véhicules lourds (bennes, collecte d’ordures ménagères, bus…) – 150 sont identifiés – pour atteindre un équilibre économique. D’autres niches sont concernées : les dameuses, les groupes électrogènes, les vélos (avec une première station à Brides-les-Bains), pour qu’ils fonctionnent à l’hydrogène. Nous devons massifier pour démocratiser ce vecteur d’énergie propre, et qu’il soit, à terme, accessible à tous. Nous investissons aussi dans l’innovation avec Technopolis, pour développer des voitures à hydrogène.
Avec, concrètement, quels bénéfices pour Savoie Mont Blanc ?
La Savoie comptera bientôt deux stations à hydrogène. Après la première installée à Chambéry, une deuxième plus puissante va voir le jour à Moûtiers. Elle sera opérationnelle au printemps 2022 et pourra distribuer, à terme, jusqu’à 200 kg/jour. Le coût, à hauteur de 2 millions d’euros, est financé par Hympulsion à 100 %, et la Région versera une subvention pour l’achat de véhicules.
Les ascenseurs valléens sont aussi votre cheval de bataille. Que préconisez-vous ?
Nous sommes dans le même état d’esprit. À savoir, comment on prépare la montagne de demain et la mobilité. Ce mode de transport – et, là encore, on n’a rien inventé – permet de laisser les voitures dans la vallée et de faire monter les personnes (dont les skieurs) dans un transport câblé sûr et propre. Il faut aussi penser au public empêché. Cela nous amène à pousser la réflexion autour des services pour apporter des usages nouveaux. Exemple : l’ascenseur valléen Orelle-Val Thorens, qui offre aussi la possibilité de découvrir la montagne. Nous devons préparer l’acte de consommation de la montagne de demain, en repensant globalement l’accès et le séjour. Reste qu’entre l’idée et la réalisation, il se passe des années. L’idée de la Région est de mettre un booster en accordant des financements.
Quels sont vos projets à venir ? Vos ambitions politiques ?
Aux yeux de quelques-uns, j’ai un (autre) énorme défaut : je n’ai pas d’ambition politique, si ce n’est celle de servir les personnes qui m’ont élu, en répondant à leurs aspirations. J’aime mon territoire et j’ai une ambition très forte pour la montagne.
« Je suis un écologue convaincu, qui met tout en œuvre pour faire avancer les choses durablement. »
C’est l’exécutif qui m’a caractérisé, et pas le législatif, qui m’empêcherait d’être dans l’action. À mon niveau, j’ai le droit d’avoir une idée et d’aller chercher des financements pour qu’elle se réalise. C’est formidable d’être dans la concrétisation, et cela me convient parfaitement, parce qu’au fond je suis un faiseur. Mais si je n’ai pas de plan de carrière préétabli, je sais où je vais et je suis très heureux ainsi. Bien sûr, j’ai d’autres projets, comme celui de faire venir le gaz (40 % d’émissions de carbone en moins par rapport aux autres énergies fossiles) en Tarentaise, j’y travaille depuis presque deux ans.
Enfin, prenez-vous le temps de vivre vos passions ?
Je les vis au quotidien. Dans un monde parfait, je passerais plus de temps avec mes enfants, à lire, à écouter de la musique… Je suis un contemplatif, car j’aime les choses belles, et je suis aussi croyant. J’ai besoin d’avoir une vie intérieure.
BIO EXPRESS
1975
Naissance à Malo-Les-Bains (Hauts de France)
2001
Maire de Saint-Jean-de-Belleville (2 mandats)
2003
Assistant parlementaire d’Hervé Gaymard
2010
Président de la communauté de communes Cœur de Tarentaise
2014
Maire de Moûtiers (réélu en 2020)
2015
Conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes
2020
Président délégué aux relations institutionnelles du cluster Montagne
2021
Président de l’agence Auvergne Rhône-Alpes Tourisme
A la Une, Fabrice Pannekoucke, conseiller régional en Auvergne Rhône-Alpes – crédit photo Michel Peres.
Propos recueillis par Patricia Rey
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