Le président de la Chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain dresse le bilan de cette année particulière où les services de proximité, qu’ils aient été fermés ou considérés comme essentiels, ont été mis en lumière. Il livre aussi ses inquiétudes sur le moral des chefs d’entreprise.
Parce que la crise sanitaire a mis en avant un besoin de proximité, cette année 2020 a été, d’une certaine manière, celle de l’artisanat. Qu’en pense le président de la Chambre de métiers de l’Ain ?
Les grandes entreprises et les entreprises artisanales ont eu une approche très différente de la crise. Selon moi, les premières en ont fait une gestion financière. À l’annonce du confinement, elles ont ouvert le parapluie, ont tout fermé et mis leur personnel au chômage partiel. En tant qu’artisan, moi, j’ai continué à travailler tous les jours. Si mes équipes ont été arrêtées, c’est seulement le temps de s’organiser et de passer le cap de la peur. Le Président avait parlé de «guerre». On s’est retrouvé dans un climat particulier où les clients ne voulaient plus nous recevoir et où nos ouvriers avaient peur de se rendre sur les chantiers. Alors, on a établi des protocoles et on s’est remis au travail progressivement. Il était important, notamment, que nous continuions à assurer les astreintes, à rendre service aux gens. De nombreuses entreprises artisanales ont fait de même.
Je dirais même que les grandes entreprises ont ralenti la reprise, par l’engorgement des livraisons, des contrôles de qualité et contrôles de mise en service, ce qui a bloqué des chantiers. Alors que les artisans se sont montrés agiles.
Comment la Chambre les a accompagnés ?
À partir du moment où les artisans étaient au travail, nous avons agi pour leur faciliter la vie. Nous nous sommes notamment battus pour la réouverture de déchetteries. La préfecture était consciente du risque de dépôts sauvages et nous a aidés. Nous avons contacté toutes les intercommunalités, mais celles-ci étaient confrontées à des difficultés de disponibilité des personnels, en particulier, encore une fois, quand la gestion des équipements était confiée à de grandes entreprises, en délégation de service public.
Quel bilan vous tirez de cette crise ?
Dans le bâtiment, les artisans sans salariés n’ont jamais cessé le travail. Ceux qui avaient du personnel ont subi des arrêts à cause de la peur. Mais globalement, tous ont été présents et ont joué le jeu de bout en bout, notamment dans les métiers de bouches. Des rapprochements se sont opérés entre ces derniers et les agriculteurs pour proposer des circuits courts. Et cela a permis de remettre l’église au centre du village.
Malheureusement, les grands gagnants de cette crise restent la grande distribution et le e-commerce. Cela dit, en opposant le petit commerce, les grandes surfaces et Amazon, on s’est souvent trompé de débat. L’enjeu n’était pas de fermer les rayons “non-essentiels”, mais que tout le monde puisse travailler. Pour le reste, si l’on veut inciter le consommateur à acheter local et prendre les bons produits, il faut le responsabiliser. C’est davantage une question d’éducation.
La communication politique a été cacophonique pendant cette crise. Chaque collectivité a voulu y aller de son plan d’aide. Rien n’était rationnel. C’est pourquoi je suis très inquiet pour le moral des artisans. Je ressens chez eux beaucoup de lassitude, une impression de naviguer dans le brouillard, que je partage d’ailleurs. Aujourd’hui, on n’observe pas de difficultés économiques grâce à une prise en charge des salaires à un niveau jamais atteint et aux prêts garantis par l’État (PGE). En cette fin d’année, on a même moins d’entreprises au Tribunal de commerce que l’an dernier. Mais, c’est quand tous ces mécanismes vont prendre fin, quand il faudra payer les reports de charges et rembourser les PGE, que l’on pourra vraiment mesurer l’ampleur de la casse. Au redémarrage de l’activité, il va falloir faire face à la fois aux arriérés et aux nouvelles charges. Les affaires ont intérêt d’être bonnes ! Sans compter que les PGE alourdissent les bilans et diminuent les capacités d’investissement des entreprises. Tout cela contribue à réduire la visibilité des dirigeants.
Quelles conséquences pour l’apprentissage ?
Les campagnes de communication de l’État ont bien marché et la rentrée de septembre a été bonne. Mais, les fermetures administratives n’incitent pas les jeunes à rester dans les filières concernées. C’était déjà compliqué avant, de les encourager à rejoindre la restauration, par exemple. Alors aujourd’hui…
C’est quand il faudra payer les reports de charges et rembourser les PGE, que l’on pourra vraiment mesurer l’ampleur de la casse.
Vincent Gaud
Le qualificatif “non-essentiel” est en cela un très mauvais signal, non ?
Les restaurateurs, les artisans coiffeurs… Tous participent à faire vivre un territoire, une économie. Ils ont très mal perçu cette expression. Le Président l’a d’ailleurs reconnu à demi-mot, dans son discours du 24 novembre. Et oui, c’est un mauvais signal envoyé aux jeunes. Je ne sais pas si on peut parler de génération sacrifiée, mais entre lacunes scolaires et diplômes déconsidérés, cet épisode laissera certainement des traces.
Quelle forme prend l’accompagnement de la Chambre, aujourd’hui ?
Les deux confinements n’ont été ni gérés ni perçus de la même manière. Lors du premier, nous recevions 100 à 150 appels par jour, essentiellement pour demander une aide pratico-pratique. Aujourd’hui, on enregistre moins de demandes, mais davantage de détresse, d’inquiétudes, des retours sur des difficultés relationnelles avec les banques. Cela me tracasse beaucoup. Aujourd’hui, clairement, l’économie est administrée. Et je ne voudrais pas que le monde de l’entreprise vive la situation du monde agricole. Les artisans ont le sentiment d’avoir perdu la conduite de leur entreprise, d’être assis sur le fauteuil du passager et de ne plus voir la route. Ils n’ont plus les clés du camion.
Avec la régionalisation, la Chambre de métier aura-t-elle la même capacité à épauler les artisans ?
Nous serons en effet régionalisés à 100 % au 1er janvier. La Chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain n’existera plus comme entité juridique, mais ses locaux et ses équipes sont conservés. L’objectif est que tout artisan d’Auvergne Rhône-Alpes trouve un point d’accroche physique avec la CMA à moins de 30 minutes. Nous allons déconcentrer. Nos techniciens seront beaucoup plus présents sur les territoires. Nous pourrons donc mieux accompagner les entreprises, d’autant que le réseau régional des chambres est sain, en termes de trésorerie. C’est une vraie opportunité. Si nous gérons bien, si nous prenons les bonnes options, nous devrions être encore plus performants.
Nous réfléchissons à des accords avec les intercommunalités pour disposer de locaux en différents points du département. Nous avons déjà en vue des permanences sur le Pays de Gex, avec un partenaire privé, et en Dombes, avec une communauté de communes. Et puis, nous aurons d’ici à deux ans, après les élections de novembre 2021, un plan d’investissement de la Chambre de métiers régionale.
Il y a deux ans, je n’étais pas pleinement convaincu. J’avais peur d’une concentration des services. Au final, c’est l’inverse qui se produit. Les douze présidents des Chambres départementales ont été concertés. Si la régionalisation nous a été imposée, nous avons pu la bâtir à notre idée. Aujourd’hui, j’ai entièrement confiance en notre président régional, le président de la Chambre de métiers de la Haute-Loire, Serge Vidal.
Bio express
- Vincent Gaud dirige depuis 2004, l’entreprise de plomberie-chauffage fondée par son père, il y a une quarantaine d’années. Il a par ailleurs racheté en 2012, Charvin Plomberie- Chauffage à Vonnas.
- Élu président de la Chambre de métiers et de l’artisanat de l’Ain en 2016, il a auparavant exercé deux mandats, l’un comme membre du bureau, l’autre comme premier vice-président, aux côtés de son prédécesseur, Pierre Cormorèche.
- Âgé de 45 ans, il est marié et père de quatre enfants.
Propos recueillis par Sébastien Jacquart
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