Pharmacies : le désert avance…

par | 25 avril 2024

Les signaux économiques semblent pointer vers une désertification pharmaceutique à plus ou moins long terme. En France, 280 officines ont fermé leurs portes en 2023, dont 31 dans la région Aura.

Le nombre de pharmacies est tombé sous la barre des 20 000 en France en 2023, soit 19 966. Plus de 2 000 pharmacies ont disparu en dix ans sur le territoire national, la plupart dans les zones rurales.

L’Union régionale des professionnels de santé (URPS) tire la sonnette d’alarme sur ce phénomène dont l’ampleur semble s’accélérer, notamment en région Aura où 31 pharmacies ont disparu en 2023, contre une vingtaine ces dernières années : « Nous avons repéré, en Auvergne-Rhône-Alpes, les communes comptant une seule officine : il y en a 81. Parmi ces pharmacies “esseulées”, 53 pourraient disparaître dans les cinq prochaines années faute de repreneur. Cela représente une augmentation de 70 % de la population qui se trouve actuellement à plus de quinze minutes d’une officine. Ce n’est pas anodin », martèle Olivier Rozaire, président de l’URPS.

Pourtant, l’institut Gers (data­spécialiste du secteur de la santé) établit le chiffre d’affaires global des officines en France à 44 milliards d’euros en 2023 (+23 % sur les trois dernières années). Cette croissance (très inégale sur le territoire) est portée par l’augmentation des ventes de médicaments sur ordonnance (à hauteur de 80 %), mais aussi par les marchés de la cosmétique et des compléments alimentaires.

15 000 postes vacants

De son côté, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) dénombre un quart des pharmaciens susceptibles de prendre leur retraite dans un avenir très proche, tandis que la relève n’est pas assez nombreuse pour surmonter cette vague. D’autant que 15 000 postes de pharmaciens et de préparateurs sont actuellement vacants.

La Région Aura, dans le cadre de son plan “santé” de 100 M€, a inclus, en décembre 2023, des aides à la modernisation des officines rurales pour favoriser leur maintien et leur compétitivité. La région compte 2 447 officines, avec une densité inférieure à la moyenne nationale dans plusieurs départements, dont l’Ain avec 162 officines pour 674 000 habitants, contre 148 en Savoie pour 452 000 habitants et 223 en Haute-Savoie pour 820 000 habitants.

Des faillites inédites

Cependant, aucun territoire n’est totalement épargné. En Haute-Savoie, Isabelle Delyon, présidente du tribunal de commerce d’Annecy, exprime son étonnement d’avoir à instruire, pour la première fois, le cas d’une pharmacie en redressement judiciaire : « C’est excessivement rare en ville. Il y a eu un fâcheux concours de circonstances : la pharmacie a dû déménager après la fermeture du centre commercial où elle officiait. Le propriétaire a réalisé des travaux considérables dans ses nouveaux locaux mais la clientèle n’a pas suivi et il s’est retrouvé en cessation de paiements. »

De la même manière, en Savoie, Martine Berthet, sénatrice (LR) et ancienne gérante de pharmacie, s’émeut de la fermeture d’une officine à Bellentre : « Il y a un double effet : non seulement ils n’ont pas trouvé de repreneur, mais aussi, il n’y a plus de médecins dans leur commune. Tout est lié : sans prescripteur sur place, cette pharmacie n’était plus viable économiquement. »

La pénurie de personnel qualifié affecte également la marge des pharmacies, contraintes de réduire la voilure. Selon la FSPF, le rapport au travail a changé en termes d’amplitude horaire et de contraintes : pour remplacer un professionnel de santé aujourd’hui, il faut 2,5 équivalents temps plein.

Par ailleurs, le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine ou de pharmacie, est resté le même depuis 1970, alors que la France compte 15 millions d’habitants en plus.

Le député isérois Yannick Neuder, cardiologue de profession, défend : « Le rôle du pharmacien a énormément évolué, notamment depuis la pandémie de covid. Il interviendra davantage dans la prévention, les dépistages, les vaccinations, et même les diagnostics. D’autant que nous sommes confrontés à des défis, comme l’antibiorésistance, responsable de 12500 décès par an en France (10 millions de victimes en 2050). »

S’inspirer de l’Écosse

Pour anticiper sur le scénario des déserts pharmaceutiques, plusieurs mesures se profilent (voir aussi ci-contre), comme l’indique Olivier Rozaire : « Nous nous inspirons d’autres pays, notamment l’Écosse, où des “petites pharmacies essentielles” ont été identifiées et dont la pérennité est assurée par l’État moyennant un certain nombre de dispositifs. En France, la Cnam a mis en place un groupe de travail pour l’attribution d’une enveloppe aux officines en péril, dont le montant n’est pas encore connu. Le ministère de la Santé, via la DGES, prépare quant à lui, un texte pour cartographier les territoires fragiles. Nous demandons que tout ceci soit validé et applicable dès la fin 2024, avec une accélération des décisions. »

Officines : un modèle très réglementé

Matthieu Riberry, cogérant de Riberry Transactions, spécialisé dans l’acquisition et cession de pharmacies, possède une vingtaine d’officines en Haute-Savoie dans son portefeuille : « La pharmacie est une profession très réglementée, avec un ordre des pharmaciens et un numerus clausus. L’installation des officines est aussi contrôlée par l’agence régionale de santé. Du reste, il faut être titulaire d’un doctorat en pharmacie pour ouvrir une officine. »

Le cabinet Riberry à Lyon (5 salariés ; 1 M€ de CA) établit à près de 1,6 M€ le chiffre d’affaires moyen d’une pharmacie. Selon son gérant, pour vendre une pharmacie, « il faut compter entre six et huit mois : il y a les délais dus à la réglementation, les délais classiques d’obtention d’un financement, et enfin, les délais liés aux négociations de fonds : le personnel, le stock, les agencements… comme n’importe quelle autre entreprise. »

Vers des antennes rurales en complément des pharmacies

Martine Berthet, sénatrice de la Savoie, a géré une pharmacie à Ugine de 1991 à 2000, puis dans la galerie marchande Galion, à Bassens, de 2000 à 2019. En tant que parlementaire, elle veille au grain…

Martine Berthet, sénatrice de la Savoie, a été gérante de pharmacies, d’abord à Ugine puis à Bassens.

« Notre diplôme de pharmacie ne peut être associé qu’à une seule officine même si la loi rend possible des participations dans deux autres pharmacies. Personnellement, j’avais aidé deux de mes jeunes pharmaciens adjoints à s’installer en tant qu’associé financier », relate la sénatrice.

Consciente des menaces qui entourent le maillage des pharmacies, a fortiori en milieu rural, Martine Berthet évoque une expérimentation en cours, notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes qui s’est portée volontaire : « Actuellement, nous cherchons des solutions pour remédier au manque de pharmacies en milieu rural. L’idée consiste à permettre à une pharmacie urbaine d’ouvrir une antenne dans une zone touchée par la désertification. Cette antenne d’officine doit combler un territoire vierge, en remplacement d’une pharmacie qui n’aurait pas trouvé de repreneur. »

Cette expérimentation concerne les communes de moins de 2 500 habitants dont l’approvisionnement en médicaments s’avère compromis par l’absence de pharmacie. « Cette mesure peut être très efficace dans nos stations. Certaines ne peuvent pas avoir de pharmacie parce que la population résidente à l’année n’est pas suffisante. Le fait d’y installer l’antenne d’une pharmacie de plaine peut changer la donne. »

Martine Berthet détaille : « Le modèle économique d’une pharmacie comprend la vente de médicaments, très réglementée au niveau des marges, et la partie parapharmacie, sur laquelle le pharmacien peut se récupérer parfois, mais pas toujours, surtout en milieu rural. »

Les recettes liées aux médicaments sont des honoraires de dispensation, fixés à 1,02 € par boîte de médicament remboursable. Il s’agit de rémunérer l’expertise conseil des pharmaciens auprès des patients. Une rétribution sur les ordonnances est également en vigueur, selon leur nature, entre 0,51 € et 3,57 € l’unité.

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