Les fromages des Savoie cultivent leur caractère à travers un savoir-faire ancestral et un terroir typé qui en font des bonnes pâtes, à déguster crues ou cuites. Depuis vingt ans, la Route des fromages propose une constellation de rendez-vous : 72 points de rencontre et de dégustation sur l’édition 2024.
Les fromages savoyards façonnent l’art de vivre et la gastronomie locale. Ils jouent un rôle majeur dans la culture et l’économie de la région. De tout temps, les fêtes et les marchés célèbrent ces produits. Les fermes et les fromageries se transforment en destinations touristiques populaires tandis que les Savoie s’exportent, principalement aux USA et en Chine, à travers leurs fromages, incontournables dans les paniers du terroir.
Parmi ces spécialités, huit fromages labellisés AOP (appellation d’origine protégée) ou IGP (indication géographique protégée) incarnent particulièrement le labeur des hommes, l’amour de l’élevage et le lien séculaire entretenu sur les pentes grasses des pâturages alpins.
Illustration parfaite de cet héritage, la Route des fromages est une lucarne ouverte, chaque année, sur des dizaines d’exploitations agricoles, levant ainsi le voile sur la filière fromagère des Savoie.
Pour marquer la 20e édition, l’Association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes (Aftalp) a prévu quelques nouveautés autour de ses cinq AOP (sur 46 en France) – abondance, beaufort, reblochon, chevrotin et tome des Bauges – et trois IGP (sur 9 en France) – emmental, raclette et tomme de Savoie.
« Les huit fromages AOP et IGP sont des produits sous signe de qualité. Toutes celles et ceux qui en fabriquent s’engagent à respecter des règles strictes et sont soumis à des contrôles réguliers, en interne de la part de l’Aftalp, et aussi des organismes externes, qui garantissent encore davantage l’impartialité et la transparence », rappelle Anne-Lise Francoz, chargée de communication à l’Aftalp.
La qualité et la diversité de ces fromages puisent leurs origines dans la grande histoire de la civilisation alpine. Les premières traces de production de fromage en Savoie remontent à l’époque romaine, avec l’introduction de certaines techniques de fabrication fromagère dans la région. Il faut dire que la montagne se prête particulièrement à l’affinage des fromages, dans des caves naturelles où les températures et l’humidité restent stables.
Des saveurs et des textures
En outre, le climat et le terroir unique des Alpes ont nourri les spécificités de l’industrie des fromages savoyards. Les pâturages, riches et variés, ont permis de produire des fromages avec des saveurs et des textures distinctes.
« Dans nos cahiers des charges, il convient de respecter un nombre de jours de pâturage. Avec le changement climatique, certaines pratiques évoluent. Par exemple, pour l’abondance et le reblochon, il faut 150 jours de pâturage par an. Il y a plus de cinq ans, il était possible de les respecter en un seul tenant, et de les dépasser même. Avec les sécheresses, le pâturage s’organise plus tôt, au printemps, voire en deux fois », précise Anne-Lise Francoz.
De son côté Nathalie Desuzinge, responsable du pôle culturel à la Maison du fromage abondance, à Abondance, note aussi : « Les montées en alpage font la singularité de nos fromages de Savoie, mais il y a aussi le côté “tradition familiale”, le fait d’avoir des exploitations agricoles qui restent à taille humaine. Et bien sûr, il y a le terroir, avec sa géologie marquée par la formation des Alpes : ses sols calcaires sont propices à une végétation et une flore vraiment particulières et riches ».
L’exception du chevrotin
Doit-on craindre une altération de ce patrimoine culinaire savoyard provoquée par le dérèglement climatique ? Pour Nathalie Desuzinge : « Au niveau gustatif, cela changera très certainement. Mais seule la science permettrait de l’affirmer. Cela dit, la question reste ouverte. »
« Il n’y a pas vraiment d’études qui nous permettent de l’attester. C’est difficile de comparer avant et après parce qu’il n’existe pas de marqueurs. Par contre, le dérèglement climatique va davantage se ressentir dans l’alternance des années atypiques : entre 2023 et 2024, il n’y a rien de comparable », suggère Anne-Lise Francoz.
Parmi les huit fromages labellisés des Savoie, un seul appartient à la filière caprine : le chevrotin. Peut-être l’exception qui confirme la règle du goût ? « Il n’y a pas chez nous de collectif aussi fort autour de la chèvre qu’autour des vaches. Même si, historiquement, les éleveurs de bovins possédaient aussi un troupeau de caprins pour l’entretien des montagnes. Le lait de chèvre continue d’être transformé à la ferme, souvent en parallèle du reblochon, faute de filière dédiée », explique Anne-Lise Francoz… Et d’ajouter : « Le fromage de chèvre est très apprécié. Je pense que si la production de chevrotin doublait, elle se vendrait sans souci. »
Nouveaux modes de consommation
Les acteurs de la filière laitière nourrissent des ambitions assumées : occuper une place toujours plus importante sur les plateaux de fromages et sur les tables des consommateurs. Aussi la Route des fromages fait-elle la part belle à l’accueil, la pédagogie… et les partitions gourmandes.
L’Aftalp a prévu plusieurs escales avec son food-truck garni des spécialités AOP et IGP, notamment le vendredi 2 août à la Maison du fromage abondance, où, toute l’année, déjà, le public apprend à marier les goûts et les couleurs autour d’une table de dégustation. « Nous mettons en valeur les accords avec des vins, des bières, des confitures, des épices… En France, nous avons tendance à placer le fromage entre le plat principal et le dessert. Mais il a sa place en apéritif, au goûter ou sous toutes ses formes en tant que pièce maîtresse », plaide Nathalie Desuzinge.
« Espuma » de beaufort
Le restaurateur Sébastien Desplat ne contredira pas cette thèse. Pour lui, le fromage est un ingrédient majeur qui occupe le premier rôle dans ses assiettes. L’homme de l’art sera l’attraction d’un rendez-vous à la coopérative de Moûtiers (60 producteurs ; 18 000 meules de beaufort), le 6 août prochain.
Non seulement le chef savoyard assurera le déjeuner (ouvert à tous, sans réservation), mais il animera un atelier de cuisine l’après-midi : « Le programme n’est pas totalement défini, mais nous réaliserons une petite mousse de beaufort, à partir d’une base de crème fondue au fromage, émulsionnée à grande vitesse dans un mixeur. Nous obtenons un espuma, qui peut être servi sur un carpaccio de veau, par exemple. »
Un mets « à la portée de tous » que le chef propose dans son établissement Le Mont de La Chambre (1 M€ de CA ; 18 salariés), entre Les Menuires et Méribel, en hiver, et, en été, via son activité Seb Traiteur (400 000 € de CA avec 3 permanents et jusqu’à 15 salariés).
Quant à savoir quel est le fromage qui remporte ses faveurs, Sébastien Desplat n’a pas une seconde d’hésitation : « Le beaufort d’alpage, de préférence un peu vieux – histoire de retrouver les cristaux de sel à l’intérieur –, ce n’est pas mal du tout ! Je collabore avec un affineur de Rognaix qui travaille en tunnels : les notes olfactives qui ressortent sont différentes et très intéressantes. Tout est question de temps de séchage et d’hygrométrie de la cave. »
Un marché de 37 720 tonnes
Les volumes commercialisés en AOP en 2023 indiquent pour l’abondance : 3 387 tonnes ; le beaufort : 5 272 t ; le reblochon : 15 895 t ; le chevrotin : 55 t ; et la tome des Bauges : 949 t. Pour les fromages IGP, les chiffres se montent pour l’emmental de Savoie à 2 461 tonnes ; la raclette de Savoie : 3 602 t et la tomme de Savoie : 6 099 t, soit un total de 37 720 tonnes.
En tonnage, le reblochon est la deuxième AOP française, et la tomme de Savoie la première IGP.
Le chiffre d’affaires 2023 pour les AOP et IGP des Savoie s’élevait à 336 M€, avec 1 350 exploitations, 48 ateliers de transformation collectifs et plus de 300 ateliers fermiers ou en alpage. Les Savoie produisent 13 % des fromages AOP et IGP de France (Source : Conseil national des appellations d’origine laitières – Cnaol).
Selon l’Association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes (Aftalp), la filière des fromages des Savoie emploie 4 600 emplois directs, soit 1,2 ETP (équivalent temps plein)pour 100 000 litres de lait produits.
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