C’est une incroyable saga. Celle d’un chalet de Courchevel datant de 1950 et inscrit aux Monuments historiques en 2012. Mais mis en pièces détachées un an plus tard. Entreposés dans un hangar de la vallée, les éléments viennent d’être rachetés par l’Etat, qui espère pouvoir remonter le chalet Lang sur une parcelle mise à disposition par la commune.
« Adjugé… vendu ! » Et hop, le chalet Lang, fleuron de l’architecture novatrice de montagne de l’après-guerre vient de changer de main, le 29 mars 2018. Pas le chalet sur pattes, non : depuis 2013 il n’est plus sur ses pilotis d’origine. Seulement les éléments issus de son démontage méticuleux. Démontage intervenu… près d’un an et demi après son inscription comme monument historique le 28 janvier 2012 !
Le dernier « chalet à pattes »
« L’inscription ou le classement est destiné à protéger le monument en raison de son caractère remarquable : son intérêt historique, architectural, technique ou sa valeur de témoignage, parce que c’est le dernier exemple d’un certain type de bâtiment, explique la Direction des affaires culturelle (Drac) d’Auvergne-Rhône-Alpes. Le classement permet une protection, un suivi sanitaire pour le maintien en état, éventuellement une aide à la restauration. En l’occurrence le chalet Lang est l’œuvre de l’architecte Denys Pradelles et certains éléments intérieurs sont de Charlotte Perriand. C’est le dernier exemple de ce que l’on appelait les « chalets à pattes », parce que, côté pente, ils reposaient sur des pilotis. »
Patrimoine contre patrimoine
Mais si ce chalet était unique et s’il a été classé monument historique, comment a t-il été possible de le démonter ? « Le propriétaire n’était pas demandeur de l’inscription (NDLR : selon Ouest France il s’y était même vigoureusement opposé dix ans plus tôt). La commission a quand même pris un arrêté d’inscription à titre conservatoire car le permis de construire [pour un nouveau chalet de luxe, lire ci-dessous] était déjà déposé. Or à Courchevel le foncier a une très grande valeur. Autoriser son démontage contre un engagement du propriétaire d’en assurer la conservation était une solution qui pouvait être acceptée par les deux parties », explique-t-on à la Drac. Ou comment concilier patrimoine historique et patrimoine financier…
Entrepôt impayé : le chalet est vendu aux enchères
Sauf que ça n’a pas marché. Le chalet a bien été démonté. Puis stocké à Tournon, près d’Albertville. Mais le loyer de l’entrepôt n’a pas été payé. Au bout d’un moment, le loueur a a saisi la justice et le chalet inscrit au monument historique a donc fini… sur le www.boncoin.fr !
Evidemment, le site n’était pas le seul canal de vente et l’attribution s’est bien faite dans le cadre d’une enchère judiciaire. Mais quand même : pour l’image, de Courchevel de l’Etat et des Monuments historiques, ça ne fait pas très propre…
In fine, l’Etat a été le seul enchérisseur et a raflé la mise pour 10 000 euros.
Que va devenir le chalet ?
« A présent, il faut trouver un financement et un terrain pour le remontage, sachant que la commune s’était engagée à mettre à disposition une parcelle », indique la Drac.
La commune, qui rappelle qu’elle n’y est absolument pour rien dans l’imbroglio de la vente aux enchères, confirme : en 2013, lors du démontage du chalet, elle « s’était engagée à trouver une nouvelle implantation pour le remontage du bâtiment sur un terrain communal, tout en prévoyant la constructibilité de la parcelle dans ses documents d’urbanisme. Les engagements de la mairie ont été scrupuleusement tenus avec le nouveau plan local d’urbanisme de la commune de Saint-Bon. » Ce n’est pas rien quand on se souvient du mal qu’a eu la commune à se doter d’un PLU validé par la justice.
Maintenant il reste à l’Etat, la commune et potentiellement la communauté de communes à trouver les financements pour le remontage. Et pour le projet de valorisation : musée sur la commune et son histoire ? Centre d’interprétation de l’architecture de montagne du XXe siècle ? Autre projet culturel ?
Ou tout simplement location saisonnière ? Là, il y aura de la concurrence… Le chalet Apopka, qui a été bâti sur l’emplacement de l’ex-chalet Lang est déjà sur le marché. Il est proposé entre 100 000 et 550 000 euros la semaine. Le luxe moderne n’est pas à la portée de n’importe quel… patrimoine.
Un imbroglio juridico-financier
La vente aux enchères du chalet en kit n’est que la partie émergée de la saga Apopka. Comme le rappelle plusieurs de nos confrères comme Le Point, Ouest-France ou La Tribune de Genève, dès le rachat du foncier cette histoire était pour le moins étonnante.
La société civile immobilière Apopka, qui a racheté le foncier (et le chalet) à la famille Lang, a en effet été créée par un Corse tenancier de boite de nuit bien connu dans la station, mais résident en Suisse. Juridiquement cette SCI était détenue à l’origine par une société luxembourgeoise qui a été trouver les financements nécessaires au rachat auprès d’une société basée à Chypre et, d’après la presse russe,potentiellement liée à un homme d’affaires moscovite habitué des séjours à Courchevel… Un montagne qui, en 2013 2014 avait plus qu’intrigué la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lyon. Sans qu’il ne soit rien ressorti des investigations à ce jour.
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