Commerces et artisanat : les cessions grippées mais pas en soins intensifs

par | 23 novembre 2020

Forcément, le marché des transactions de commerces et d’entreprises artisanales est touché de plein fouet par la crise sanitaire. Pourtant, la situation n’est pas comparable à celle de 2008-2009 lors de la crise financière. Cette fois, les acquéreurs potentiels sont légion ! Besoin de se reconvertir, envie de changement… les dossiers de candidatures affluent. Les vendeurs, eux, préfèrent ne pas vendre maintenant, du moins quand ils le peuvent. Plutôt qu’un marché en berne, il faut donc parler d’un marché dans l’attente… que l’impact du deuxième confinement pourrait toutefois accélérer en 2021, quand, au pied du mur, certains seront contraints à la vente.

«On ne va pas vendre maintenant ! Nous sommes des entrepreneurs : nous ne renonçons pas facilement ! » C’est Karine Zerbola, présidente des cafetiers d’Annecy au sein du Groupement national des indépendants (GNI) et référente commerce à la CPME 74 qui s’exprime ainsi, avec colère et détermination. Celle qui tient d’ordinaire la Buvette du marché, l’un des plus anciens bistrots de la vieille ville (créé en 1883 et… fermé, comme tous les bars, depuis fin octobre), assure que chez ses confrères, même si les temps sont durs, « l’esprit n’est pas à la vente ». « J’en connais qui sont allés prendre un CDD à l’usine, parce que, quand on est indépendant ou patron, on n’a pas droit au chômage et que fermeture administrative veut dire zéro revenu. L’idée, c’est bien de tenir jusqu’à des jours meilleurs. »

Les panneaux « À vendre » fleurissent

Mais c’est quoi, alors, tous ces panneaux rouges “À vendre” qui fleurissent sur les vitrines annéciennes ? Sans doute l’une des opérations de “com’” les plus réussies des commerçants face au baisser de rideau imposé par le gouvernement pour cause de Covid. Avec une poignée de confrères du GNI, Karine Zerbola a lancé l’idée d’afficher le traditionnel panneau accompagné… du numéro de l’Élysée !

La crise du coronavirus pourrait entraîner la fermeture de deux établissements sur trois dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants en France.

L’union commerciale locale (les Vitrines d’Annecy) s’est jointe à la mobilisation et les affichettes se sont multipliées, au-delà des seuls cafés, hôtels et restaurants (CHR). Reprise de l’initiative dans d’autres villes, relais sur les réseaux sociaux, avalanches de coups de fil de journalistes… « De ce qu’on m’a dit, le standard de l’Élysée a été saturé ! », sourit encore la bistrotière, qui souligne le côté responsable (pas de rassemblement, pas d’incitation à la violence…) de cette mobilisation destinée « à faire comprendre à nos concitoyens à quoi allaient ressembler nos centres-villes si la situation perdurait ».

Car, selon une enquête menée par quatre organisations représentatives (CNC, GNI, Umih, SNRTC), la crise du coronavirus pourrait entraîner, pour de vrai cette fois, la fermeture de deux établissements sur trois dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants en France. Et il y a fort à parier que les autres secteurs soumis à fermeture administrative actuellement ne soient pas dans une meilleure situation.

Attentisme en 2020, dynamisme en 2021 ?

Chaque faillite – ou vente précipitée destinée à l’éviter – sera un drame personnel et, souvent, familial. Chez nombre de petits indépendants, le coronavirus va mettre à mal des années ou des décennies de labeur, obliger à vendre des murs prévus pour assurer un complément de retraite aux vieux jours… Mais – les affaires sont les affaires – ce sera aussi… une opportunité potentielle. Les candidats à l’acquisition ne s’y trompent d’ailleurs pas. « Nous avons été surpris par la hausse du nombre de demandes », reconnaît Michel Glorie, dirigeant du cabinet haut-savoyard du groupe Michel Simond, numéro un des transactions de commerces (50 cabinets en France ; siège social à Saint-Pierre-en-Faucigny, dans la vallée de l’Arve).

Après le coup d’arrêt du premier confinement, les transactions de commerces enregistrées par le cabinet ont connu un vrai rattrapage en fin d’été : +77 % en septembre, comparé à 2019 ! « Nous n’avons perdu que très très peu de dossiers par retrait de l’acquéreur, et il n’y a pas de blocage des financements du côté des banques », constate Michel Glorie. Un point qui pourrait toutefois évoluer avec le deuxième confinement « en raison du manque de visibilité, notamment pour les CHR, ou si les établissements de crédit se mettent à trop craindre le défaut de conseil » [ndlr : avec la crise, des assureurs ont déjà été poursuivis sous cet angle par leurs clients].

Cadres en reconversion, patrons en ambition

« Il y a eu une baisse de près de 50 % des annonces en mars-avril, et nous n’avons pas encore retrouvé le niveau d’avant », relève de son côté Nathalie Montesinos, qui supervise le réseau Transentreprise, commun aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) et aux chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) de 78 départements, dont les 12 d’Auvergne-Rhône-Alpes (le réseau est d’ailleurs né en Auvergne).

« Mais si, en 2008, nous avions constaté une diminution à la fois des offres et des demandes – les salariés hésitant alors à se lancer à leur compte –, cette fois, nous observons une hausse des projets de reprise. Elles émanent principalement de deux types de profils, guidés par l’envie de faire une “bonne affaire”, voire reprendre une entreprise en difficulté : d’un côté des salariés (cadres) en reconversion, de l’autre des dirigeants de structures qui cherchent à grandir sur un autre territoire ou par acquisition de compétences. »

« Le vivier des acquéreurs potentiels est à la fois de qualité au niveau des profils et de l’apport personnel, et important en volume », complète Mélanie Alaoui- Allamand, directrice opérationnelle, du groupe Michel Simond. C’est vrai en Rhône-Alpes, mais pas seulement. « Les cabinets de villes moyennes comme Rouen, Le Puy, Figeac, la Guadeloupe… connaissent une forte hausse de demandes. Il y a clairement une recherche vers plus de qualité de vie émanant de résidents des grandes métropoles. Le phénomène n’est pas nouveau mais le confinement l’a accéléré. »

La Covid, amplificatrice de tendance ? Visiblement, oui. « Le marché des transmissions d’entreprises artisanales est ultra-calme en ce moment, mais ce n’est pas uniquement en raison de la crise : les artisans sont confrontés depuis longtemps à la difficulté de trouver un repreneur, que ce soit dans les services à la personne ou même les métiers de bouche » [ndlr : pourtant ouverts pendant le confinement], note le service transmission de la CMA 73. « La rentabilité de l’activité n’est pas nécessairement en cause : investissement important pour se lancer, nécessité d’avoir les compétences techniques, contraintes du métier et volume de travail requis sont des freins importants, au-delà du contexte actuel. »

Un long processus

« La transmission est un temps long » et « reprendre une entreprise en difficulté et/ou dans un contexte difficile n’est pas donné à tout le monde », ajoute Nathalie Montesinos, de Transentreprise. Sans parler de l’attentisme des vendeurs (quand ils ne sont pas acculés), aisément compréhensible. « Ils préfèrent temporiser jusqu’à ce que l’activité reprenne et qu’il soit plus facile d’estimer leur entreprise à sa juste valeur ».

Dès lors, pas très étonnant qu’en plein deuxième confinement, et alors que les modalités de déconfinement ne sont même pas connues, le marché des transactions soit plutôt atone, malgré une forte demande. Nathalie Montesinos analyse : « Dans beaucoup de secteurs, il n’y a pas de visibilité, et puis il n’est tout simplement pas possible de visiter l’entreprise en fonctionnement : normal qu’il n’y ait pas de vente ! Il ne faut pas pour autant en tirer des conclusions catastrophistes pour le long terme. »

Baux commerciaux : pas de baisse de loyers observée

Les baux commerciaux sont un bon indicateur de la santé du commerce. Comme on pouvait s’y attendre, nombre de projets d’installation sont aujourd’hui gelés. « On n’enregistre plus aucune demande pour certaines activités comme la restauration rapide ou l’habillement. Les enseignes, en revanche, continuent à prospecter pour l’ouverture de boutiques, en zones commerciales, notamment dans les métiers de bouche », constate Jean-François Trably, dirigeant de Trably Business, une agence de quatre personnes en gestion, syndic et commercialisation de biens tertiaires et commerciaux qui intervient sur l’ensemble du département de l’Ain.

Par contre, ce spécialiste n’observe pas de baisse faciale des loyers. « Nous ne relevons pas de négociations excessives. Personne n’imagine une crise qui durerait le temps du bail, à savoir neuf ans. Si négociations il y a, c’est sur les conditions d’entrée, des demandes de franchises de loyers à l’installation ou de différé de paiement du dépôt de garantie, les mesures sanitaires générant des difficultés de trésorerie. Nous avons des interrogations sur les annonces du gouvernement concernant les crédits d’impôts accordées aux bailleurs. Mais nous n’avons pas de réponse à apporter pour le moment. Il ne s’agit que d’une annonce concernant une Loi de finances qui n’est pas encore votée. Pour un bailleur imposé à 60 ou 70 % sur ses revenus fonciers, un crédit d’impôt de 30 % pour renoncement au loyer représenterait effectivement une opération transparente. Mais, il faut qu’il soit imposé à 60 ou 70 %. Et puis, cela pose la question de la rémunération des administrateurs de biens. Comment maintenir nos honoraires, si nous n’encaissons pas de loyers ? » Jean-François Trably estime avoir, avec son agence, une politique de contact qui rassure les commerçants.

« Nous sommes conscients de leurs difficultés. La plupart d’entre eux avaient seulement commencé à rattraper leur retard. » Et le gestionnaire de biens de citer ce centre sportif, à jour au 30 octobre, mais à nouveau contraint à la fermeture.

Franchises : Kunz Pressing entretient la proximité

Spécialisé depuis 1925 dans l’entretien des textiles, Kunz Pressing recrute de nouveaux franchisés pour treize boutiques existantes dans l’Allier, le Doubs, la Drôme, le Jura, le Puy-de-Dôme et l’Ain. À Bourg-en-Bresse, ce sont ses points de vente implantés à Alimentec et au centre commercial de Brou qui sont concernés. Cette vente s’adresse à des adhérents actuels ou futurs du réseau disposant d’un apport personnel oscillant entre 20 000 et 70 000 euros.

« Nous garantissons un projet clé en main, avec des boutiques soignées, un outil de gestion performant, un système de communication et de marketing percutant, des formations continues, un référentiel métier pour réduire les coûts de fonctionnement », souligne Sylvain Dizerens, le président. Cette recherche de franchisés s’inscrit dans un recentrage stratégique du groupe sur des magasins situés à moins d’une heure de son siège de La Roche-sur- Foron.

« La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point la proximité est importante pour rester réactif et répondre au mieux aux attentes de la clientèle », poursuit Sylvain Dizerens. Présente sur le territoire national avec 48 boutiques, l’enseigne a réalisé, en 2019, un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros, avec environ 190 salariés. Elle prévoit une dizaine d’ouvertures de magasins tout en misant sur le numérique pour étoffer son offre de services.

Plusieurs fois distinguée pour ses pratiques environnementales (aquanettoyage, réduction des coûts de production et d’énergie), elle a lancé une application permettant à ses clients d’accéder à un service 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’offre est associée à une Box Pressing installée à proximité immédiate d’un magasin ou dans un lieu de fort passage. Elle devrait déboucher, à terme, sur une refonte plus complète de l’activité. Celle-ci pourrait s’organiser autour d’un point central dédié au traitement du linge, tandis que les boutiques se consacreraient à l’accueil clients et aux opérations spécifiques de nettoyage.


Dossier réalisé par Éric Renevier avec Sophie Boutrelle et Sébastien Jacquart

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