Depuis le milieu des années 1980, l’enneigement à basse et moyenne altitude tend à diminuer alors que les températures hivernales fluctuent davantage. Après deux hivers difficiles, les exploitants renforcent leurs investissements dans la neige de culture. Mais les pistes explorées pour gérer les éventuels déficits d’enneigement restent timides.
Des températures très douces et une neige tardive. Les deux dernières saisons hivernales ont permis de toucher du doigt les effets du changement climatique. Au niveau financier, les enseignements tirés sont plutôt positifs. « Les baisses de chiffre d’affaires ont été contenues. Par rapport aux années 1988 et 1989 où la fréquentation avait reculé de 30 %, les exploitations ont été sécurisées. Elles bénéficient d’un meilleur équilibre financier et peuvent mieux gérer ce type de situation », note Pierre Lestas, le président de Domaines skiables de France (DSF).
Les États-Unis, qui ont bénéficié l’hiver dernier de meilleures conditions d’enneigement, ont repris la première place du classement mondial des domaines skiables avec 53,9 millions de journées skieurs (+ 0,6 %). La France est reléguée au deuxième rang (52 millions de journées skieurs, – 3 %), l’Autriche troisième (49,9 millions, – 4 %). La Savoie et la Haute-Savoie sont les deux départements qui tirent le mieux leur épingle du jeu avec une progression respective de 1 et 0,1 %.
Des initiatives isolées
Si les saisons se suivent, sans forcément se ressembler, le changement climatique est une donnée avec laquelle les stations doivent composer. Mais les initiatives explorées ici et là pour palier au manque de neige restent isolées. À Noël dernier, la commune Les Belleville, support des stations de Saint-Martin, Les Ménuires et Val Thorens, a ainsi fait la une de l’actualité lorsque son maire, André Plaisance, a demandé aux locaux de ne pas skier de manière à limiter la fréquentation du domaine. « Cette recommandation a été bien comprise des habitants et appréciée des vacanciers », estime l’élu.
Aux Gets, où le domaine skiable était partiellement ouvert, les porte-vélos ont été réinstallés sur la télécabine du Mont Chéry de manière à ce que les vététistes puissent dévaler le versant Sud. En parallèle, les loueurs avaient été sollicités pour mettre en location leur matériel de vélo. « La moitié des commerçants a joué le jeu et a d’ailleurs plutôt bien travaillé durant cette période sur le VTT ; les autres n’ont pu répondre favorablement à cause des contraintes logistiques et de place », explique Chrystelle Felisaz, responsable de la communication à l’office du tourisme.
En parallèle, le programme d’animations a été renforcé et adapté avec des randonnées, séances de cinéma supplémentaires, concerts, de la poterie etc. « Alors que les attentes des clientèles évoluent, la problématique d’un décalage de saison se pose de plus en plus », poursuit Chrystelle Felisaz.
Rattraper le retard français en matière de neige de culture
Pour Laurent Reynaud, ces mesures restent anecdotiques : « la gestion des aléas climatiques repose sur le triptyque “neige de culture-travaux de piste-damage” », martèle le directeur général de DSF. Largement relayé par les professionnels de la montagne, le message a débouché sur l’adoption, le 23 juin dernier, par la Région, d’un plan de soutien aux investissements en neige de culture (création de réserves d’eau et installation d’enneigeurs, notamment sur le bas des pistes, fronts de neige, retours station, zones d’interconnexion). Une première tranche de 10 millions d’euros est inscrite au budget 2016 dans le cadre d’un appel à projet qui s’adresse en priorité aux stations les plus vulnérables de ce point de vue, mais l’enveloppe devrait atteindre les 50 millions d’euros sur la durée du mandat.
» L’utilisation d’un hélicoptère pour transporter cette neige était la solution la plus économique et écologique » Jean-Sébastien Dorel, directeur de la Sacmac Les Karellis.
Une réponse partielle, et à moyen terme, au dérèglement climatique, mais les logiques économiques et scientifiques sont loin de s’inscrire dans le même calendrier. Les images d’hélicoptères transportant de la neige l’hiver dernier sur certaines pistes ont été largement commentées. « Comment imaginer de tels procédés si peu de temps après la Cop 21 ? », s’indignait, par exemple, la Frapna Savoie en demandant l’interdiction de ce mode de transport. Face à cette levée de bois vert qui s’est largement exprimée sur les réseaux sociaux, la station des Karellis, pour qui c’était une première, reconnaît la nécessité d’une communication plus maîtrisée et plus factuelle. « Il est évidemment impensable d’enneiger un domaine en hélicoptère. Ce n’est d’ailleurs pas ce que nous avons fait à noël dernier où nous bénéficions d’un enneigement naturel de plus de 40 % », souligne Jean-Sébastien Dorel, le directeur de la Sacmac Karellis, la coopérative gestionnaire des commerces et services en replaçant les faits dans leur contexte : « au bout d’une semaine d’utilisation, une piste de liaison était devenue dangereuse du fait du manque de neige sur environ 200 mètres linéaires. L’utilisation d’un hélicoptère pour transporter les réserves de neige faites avec des enneigeurs, en novembre, 1 km plus haut, était la solution la plus économique et la plus écologique ».
Selon les calculs de la Sacmac, l’intervention, qui a duré 2h30, a consommé environ 250 litres de kérosène et coûté 1 600 euros alors qu’il aurait fallu une semaine de travail avec des dameuses, sans garantie du résultat compte tenu des risques de perte de neige durant le trajet. « Ainsi, nous avons pu, avec un faible impact écologique, garantir un ski plus que correct à nos clients. Et les 500 saisonniers qui travaillent aux Karellis en hiver ont été embauchés dès le début de saison, sans aucune mesure de chômage technique et sans report de contrats », poursuit Jean-Sébastien Dorel. La station indique par ailleurs que l’hélicoptère est souvent le moyen de transport le plus adapté en montagne pour du sauvetage, du ravitaillement de refuges ou de l’acheminement de matériel.
Une gestion de plus en plus fine du manteau neigeux
Sécuriser le début de saison. C’est le leitmotiv des stations qui ont fortement progressé dans la gestion du manteau neigeux grâce à des investissements matériels et des équipes de mieux en mieux formées. « Le digital contribue à l’amélioration de nos process et du service apporté à la clientèle. Il y a 10 ou 15 ans, les nivoculteurs devaient savoir tout faire. C’est toujours le cas mais, en plus, ils ont des compétences en informatique », explique Benjamin Blanc, le président de l’Association nationale des directeurs de pistes et de la sécurité des stations de sport d’hiver, (ADSP).
Des outils statistiques permettent, par exemple, de déterminer la quantité de neige à produire en fonction de l’enneigement et de la fréquentation de la piste. Ces techniques, qui permettent de travailler la neige de manière plus globale, viennent renforcer des savoir-faire traditionnels et des expérimentations. Aux Saisies, une couche de 20 à 30 cm de sciure a conservé 2 000 m3 de neige depuis la fin de l’hiver jusqu’au passage du tour de France, le 22 juillet dernier. Ce procédé de stockage sera remis cet hiver en œuvre sur le domaine nordique. Une expérience similaire avait été conduite avec succès en 2009 à Prémanon, dans le Jura et en 2011 par la station suédoise d’Ostersund qui avait stocké 50 000 m3 de neige pour l’organisation d’une coupe du monde de biathlon.
« La montagne a beaucoup plus à offrir que le ski, à condition que les stations sachent faire preuve de créativité et travaillent à l’élaboration de plans B. » Armelle Solelhac.
S’il est mondial lorsqu’il survient, le déficit d’enneigement est géré diversement par les opérateurs touristiques. « En Scandinavie, tous les clients sont contactés avant leur venue de manière à ce qu’ils puissent annuler, reporter ou maintenir leur séjour avec une réduction tarifaire ou des avantages. L’expérience montre que moins de 5 % des vacanciers renoncent à venir », raconte Armelle Solelhac, la présidente de Switch Consulting. Spécialisée dans le tourisme et les sports de plein air, cette agence basée à Annecy avec un bureau aux États-Unis a étudié 274 stations dans 27 pays sur 5 continents.
Une stratégie proactive
Extrêmement appréciée par la clientèle qui vient en connaissance de cause, cette stratégie proactive implique de disposer d’une véritable base de données clients. Elle suppose aussi une gouvernance efficace avec un opérateur unique ou des acteurs économiques habitués à se retrouver autour d’une même table pour travailler ensemble. Et sortir des sentiers battus, en s’intéressant davantage aux dimensions naturelles, culturelles, historiques et sociales de la montagne. « Or, pour réussir une diversification, il faut cesser de la réduire à un domaine skiable, prévient Bruno Tamaillon, le directeur de Tams Consultant.
On peut aussi s’interroger sur les besoins réels des gens, essentiellement des urbains, durant leurs vacances : est-ce de se concentrer sur le ski et la dépense physique ou de se ressourcer, de se faire du bien, de renouer des liens ? ». Fort de cette conviction, le cabinet isérois, spécialisé dans la création d’expériences touristiques sensorielles, interactives et décalées plaide pour la mise en œuvre de propositions axées sur des activités comme le yoga en pleine nature, des cheminements avec des surprises, des jeux… à l’opposé des pratiques élitistes réservées aux plus sportifs. « La montagne n’est pas qu’un stade de sport ou une discothèque à ciel ouvert. Elle peut apporter beaucoup plus car elle offre un accès à la beauté, à la connaissance, à l’émotion, voire à la spiritualité », estime Bruno Tamaillon, en rappelant que les itinéraires spirituels comme le chemin de Saint-Jacques- de-Compostelle ont le vent en poupe.
Neige de culture : une production de plus en plus affûtée
Née dans les années 1960 aux États-Unis, la production de neige s’est déployée en Europe et en France une dizaine d’années plus tard. Flaine est la première grande station européenne à s’être équipée en 1973. Le marché mondial se partage entre deux technologies : la haute pression, moins chère et plutôt destinée aux grands linéaires de pistes ; la basse pression qui permet une plus grosse production de neige sur des espaces plus localisés.
« Nos travaux de recherche et développement visent à gagner des degrés pour travailler à des températures de plus en plus proches de zéro de manière à accroître la production sur de très courtes périodes. Ils ont aussi pour objectif de réduire la consommation énergétique », explique Roland Didier, le directeur général de MND, seul fabricant français d’enneigeurs. Si elles ont accéléré leurs investissements, les stations françaises insistent sur leur retard face aux pays voisins. Selon RMS (Remontées mécaniques suisses), la France se classe à la troisième place avec 29 % de ses pistes couvertes par la neige de culture, juste devant l’Allemagne (23 %) mais loin derrière la Suisse (48 %) et l’Autriche (60 %).
Une vision prospective qui ne dépasse pas les 30 ans
Dans une motion adoptée fin 2015, la Fédération internationale des domaines skiables (Fianet) reconnaît que le changement climatique est indiscutable mais assure qu’il a de faibles répercussions sur l’enneigement naturel et la production de neige des domaines skiables européens. « Le nombre de jours pendant lesquels il est possible de produire de la neige est plus que suffisant pour les besoins du ski à l’avenir, à basse comme à plus haute altitude », ajoute-t-elle tout en soulignant que les professionnels de la montagne raisonnent sur des périodes de 10 à 30 ans, à l’échelle de temps du monde économique.
Interview de Christophe Clivaz, Professeur à l’institut de géographie et de durabilité de l’Université de Lausanne et auteur de ‘‘Tourisme d’hiver, le défi climatique’’
Comment les stations suisses gèrent-elles la question du réchauffement climatique ?
En Suisse, les stations sont principalement gérées par de petits opérateurs qui peinent à conserver un équilibre économique en raison de la baisse du nombre de journées skieurs et du coût économique de la neige de culture. Les difficultés rencontrées ne les aident pas à prendre du recul pour réfléchir à une stratégie à long terme. Néanmoins, quelques-unes explorent de nouvelles voies.
Par exemple ?
A défaut d’être physiquement reliés par les pistes, certains domaines se sont, par exemple, rapprochés pour proposer un forfait commun répondant à l’envie de diversité des clients. Nous avons aussi quelques cas de sociétés de remontées mécaniques qui ont repris un hôtel pour éviter sa fermeture. L’hébergement et les lits marchands sont un enjeu majeur pour l’équilibre économique des stations.
Selon vous, que faudrait-il faire ?
Le réchauffement climatique est une réalité à laquelle les stations doivent s’adapter. La diversification des sources de revenus passe par le développement du tourisme estival. S’ils sont de moins en moins nombreux à skier, les gens aiment venir en montagne. Et cet attrait se renforcera certainement quand les températures grimperont en plaine. L’affluence que l’on constate l’été sur certains sites comme Chamonix, montre l’intérêt d’activités comme la luge d’été, la via ferata ou la randonnée. Pourquoi ne pas utiliser d’avantage les remontées mécaniques pour aider, par exemple, les randonneurs à franchir les 1 000 premiers mètres de dénivelée ?
Par Sophie Boutrelle
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