Alors que l’emploi se modifie en profondeur, la formation continue est vitale pour assurer la compétitivité des entreprises. Pour autant, entre l’idée et la mise en place de plans de formation, le parcours est long, compliqué, et le choix extrêmement vaste. Quant au salarié, il manque parfois d’informations pour savoir quel chemin prendre. Une jungle dans laquelle internet crée une nouvelle piste, qui s’adapte aux besoins d’une génération de plus en plus avide de contenus numériques courts et immédiats.
L’ère de la formation de masse sur-mesure est arrivée. Avec la toile, de nouvelles perspectives s’ouvrent vers davantage d’autonomie pour le salarié et de souplesse pour le chef d’entreprise. Les plateformes pour mettre en relation organismes, encadrants et salariés se multiplient. Et les outils offrent des possibilités de démocratiser l’accès à la formation. Universités et organismes veulent tous avoir leurs modules d’e-learning ou de Mooc.
De prime abord, ces outils de formations collent aux besoins du salarié d’aujourd’hui. Les parcours professionnels sont plus variés, avec des expériences dans diverses entreprises, divers postes et métiers ; et des périodes de chômage. Une discontinuité professionnelle qui laisse de la place à la formation. Ce sont d’abord les universités américaines qui se sont intéressées aux nouvelles technologies pour transmettre leurs contenus dans les années 2000. Des années de recherches et d’essais ont permis d’arriver aux modèles actuels comme les Mooc. Un drôle d’acronyme à prononcer à l’anglaise (“Mouk”) qui signifie “cours en ligne ouverts à tous” (Massive Open Online Course).
Des outils complémentaires
Professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) à Paris, Cécile Dejoux lance en février son quatrième Mooc, dédié aux pratiques managériales. Depuis, quatre ans elle explore ce nouveau mode de transmission de l’enseignement. «Un Mooc est une vidéo accessible sur une plateforme institutionnelle», décrit-elle. Le choix de la date et du support pour visionner le contenu est libre ; l’internaute suit un plan de cours établit par avance.
Certains Mooc se concrétisent par un diplôme. Pour autant, l’attrait de ces nouveaux outils ne doit pas faire oublier l’essentiel : «Le contenu passe avant l’outil. Le savoir doit avoir un objectif, pour créer un système d’identication». Cécile Dejoux, qui se qualifie elle-même de professeur d’innovation managériale, souligne que de concevoir un Mooc prend du temps. Contrairement aux e-learnings qui proposent des modules plus longs, le principe du Mooc s’appuie sur des modules courts, de petits épisodes très anglés.
C’est un travail d’équipe qui demande une grande préparation en amont et qui pousse à envisager d’autres modes d’enseignement, sans pour autant négliger la base. «Le Mooc n’est qu’un outil supplémentaire, le présentiel est fondamental. Je mise tout sur le contenu et la force du présentiel.» Cécile Dejoux a même organisé un Mooc Tour en 2016, à travers huit villes et reste en lien avec les besoins du terrain à travers un laboratoire de recherche, “Learning lab human change”, dont les membres fondateurs sont issus des mondes de l’enseignement et de l’entreprise.
L’ambition du laboratoire est de s’appuyer sur le numérique pour développer l’humain, et de modifier le rapport entre le salarié, son patron et la formation. «Mon objectif est de tester et transmettre des pratiques managériales. Avant le manager donnait le “la”, aujourd’hui, il doit donner le tempo», appuie Cécile Dejoux, qui approuve la mise en place du Compte personnel d’activité (CPA) depuis le 12 janvier dernier. «Il oblige tout le monde à se former, c’est un élément fort ! Pour rester en phase, la formation est de la responsabilité de l’individu, pas que de l’entreprise.»
« LE MOOC N’EST QU’UN OUTIL SUPPLÉMENTAIRE, LE PRÉSENTIEL EST FONDAMENTAL. JE MISE TOUT SUR LE CONTENU ET LA FORCE DU PRÉSENTIEL. »
Cécile Dejoux, professeur au Cnam à Paris
Des cordes à son arc
Les profils de postes accroissent le champ de leurs compétences, quel que soit le secteur d’activité. Les salariés les moins qualifiés sont à la traîne, ils peinent à ne pas sortir de l’emploi et ne sont pas les premiers bénéficiaires des formations. Chaque année, au niveau national plus de 30 milliards sont déboursés pour la formation continue. Un montant colossal dilué dans de trop nombreux dispositifs.
D’autre part, les études statistiques sont trop peu nombreuses : la dernière publiée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) en 2015, détaille des chiffres qui datent de 2012 ! Difficile d’évaluer la situation et surtout de mettre en place des politiques d’ajustement. Du coup, de nombreux rapports qui soulignent toujours les mêmes freins, sont rédigés, remis et encore d’actualité de nombreuses années après. «Complexité, cloisonnement et corporatisme», synthétisait le sénateur de Haute-Savoie, Jean-Claude Carle, dans un rapport de 2007 qui a alimenté certains points de la loi Wauquiez. Trois termes qui décrivent encore avec justesse la problématique de la formation professionnelle. «Nous avions noté à l’époque que la formation profitait avant tout à ceux ayant un certain niveau d’études», décrit le sénateur.
Or, à regarder de près, les nouveaux outils digitaux proposent certes de nouvelles façons d’apprendre, mais bien souvent avec des contenus destinés aux postes d’encadrants ; des emplois jugés à plus forte valeur ajoutée. Est-ce qu’internet pourra gommer ces inégalités d’accès ? Pas sûr, et encore moins pour les salariés les plus âgés, peu consommateurs d’écrans en tous genres. En revanche, les nouvelles générations, à partir des Y, sont avides de rapidité et de visuel : ces nouveaux modes d’apprentissage sont totalement adaptés à leur consommation nomade et ludique de contenus numériques.
Des outils qui vont dans le sens de la mutation profonde que subi l’emploi : une flexibilisation accrue et la naissance de nouvelles façons de travailler, où vies personnelle et professionnelle sont davantage imbriquées. Reste la difficulté de choisir la bonne formation au milieu d’offres en nombre conséquent, dont la multiplication est amplifiée par internet. Des organismes, de grandes écoles ont déjà fait leurs preuves et demeurent des références sérieuses pour la formation professionnelle.
Mais d’autres structures, tout aussi qualitatives, sont cachées au milieu d’une offre trop dense. Des sites comme le Savoyard Born to Learn géolocalise l’offre, ce qui «donne de la visibilité à de petits organismes», écrit Philippe Malbrunot. La loi Wauquiez de 2009 a déjà permis de décloisonner le système qui chapeaute la formation professionnelle en poussant les organismes paritaires collecteurs agréés, une centaine, à se regrouper. Le CPA, entré en vigueur le 12 janvier dernier, est une nouvelle étape qui donne au salarié la main en direct sur son évolution professionnelle.
Une enquête de l’IFOP – Pôle emploi, publiée le 17 janvier, souligne qu’internet, bien qu’utilisé par 9 demandeurs sur 10, s’avère moins efficace pour trouver un emploi que les moyens traditionnels. Seuls 18 % des demandeurs ont décroché un emploi grâce au web ; 37 % grâce à leur réseau personnel. Ce résultat démontre que le digital n’est pas l’Eldorado espéré, mais en outil supplémentaire pour répondre aux problématiques complexes de l’emploi.

Les outils numériques de formation sont pertinents
s’ils complètent des modes d’enseignement plus traditionnels.
Le Compte Personnel d’Activité (CPA) dope l’autonomie des salariés
Le Compte d’engagement citoyen est l’une des trois composantes du CPA. Bénévolat et services volontaires donnent droit à 20 heures de formation par an, cumulable avec les heures du Compte personnel de formation dans une limite de 60 heures par an.
Il est annoncé comme une révolution pour l’évolution professionnelle. Qualifiée de «réforme la plus importante du quinquennat» par François Hollande lui- même, le CPA vise à clarifier le parcours de formation auquel chaque actif a droit. «Une disposition qui va dans le bon sens», apprécie le sénateur Jean-Claude Carle qui avait préconisé la création d’une telle plateforme dans un rapport de 2007.
Au-delà du terreau philosophique du CPA qui est de gommer les inégalités d’accès aux droits à la formation, se pose la question des effets positifs d’une telle mesure sur l’emploi. L’objectif est de pousser les actifs à prendre en main leur parcours professionnel et à profiter de leurs droits acquis chaque année. Le CPA est donc d’abord un outil qui met à disposition de chaque actif un accès personnalisé à ses droits en matière de formation, tout au long de sa vie professionnelle.
Les travailleurs indépendants auront accès au portail du CPA dès le 1er janvier 2018. À chacun de se créer son parcours de formation pour avancer dans sa vie professionnelle et anticiper les périodes de transition, qu’elles soient subies ou choisies. «L’idée de base est de rendre la personne plus autonome dans sa réflexion de projet professionnel», décrit une conseillère Pôle emploi en Île-de-France, spécialisée dans l’insertion et l’évolution professionnelle.
Concrètement, chaque actif salarié dans le public ou le privé dès 16 ans (15 ans pour les apprentis) peut activer son espace personnel avec son numéro de Sécurité sociale sur le portail dédié et consulter son tableau de bord personnel qui détaille les droits du compte personnel de formation (CPF), du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et du compte d’engagement citoyen.
Ces droits peuvent être activés en ligne ; le site du gouvernement est doté de services complémentaires pour aider les salariés à choisir le parcours de formation pertinent. «Dans un premier temps, nous allons devoir expliquer, montrer que ça existe», estime encore la conseillère, persuadée que l’outil est une bonne chose, surtout s’il évolue en répondant parfaitement aux besoins du terrain. En attendant, le site à au moins l’avantage de concentrer sur une seule plateforme les droits à la formation de chaque actif. Et surtout, il préconise de rencontrer un conseiller pour compléter ses recherches. «C’est un outil d’accompagnement, résume la conseillère Pôle emploi. Il va nous aider à aiguiller les demandeurs.»
Un peu plus d’une personne sur deux suit une formation chaque année en France (Source Direction d’animation de la recherche, des études et des statistiques – chiffres 2013 publiés en novembre 2016). Un chiffre insuffisant surtout si la France souhaite rester compétitive et relever les défis technologiques à venir. Le CPA est un outil qui dit être consolidé par une politique volontariste en matière de formation continue.
Plus d’informations sur le CPA : https://www.moncompteactivite.gouv.fr
Cibler la bonne formation

Philippe Malbrunot, fondateur de Born to learn.
Faciliter l’accès aux offres de formation continue, c’est ce que propose la société Nothoriétic, basée à Savoie Technolac à Chambéry, avec son site Born to Learn. Ouverte depuis septembre dernier, cette plateforme web met en lien le salarié et l’entre- prise avec les organismes et les contenus des formations. «Je suis intéressé par l’expérience utilisateur», décrit Philippe Malbrunot, qui totalise 20 ans dans le digital et fait de la formation professionnelle depuis 2010. En créant Born to Learn, il est parti de deux constats : le retour sur investissement d’annonces en ligne est faible pour les organismes ; les demandeurs ont des difficultés à trouver la bonne formation. «Il existe déjà des annuaires sur internet, mais ils ne géolocalisent pas forcément», décrit le fondateur qui fait de la proximité entre offre et demande un axe central de la recherche. Totalisant déjà 170 organismes et près de 2 000 offres sur toute la France, «avec un objectif à 20 000 ou 30 000 dans les mois qui viennent», le site espère dépoussiérer le monde de la formation, en faisant du demandeur l’acteur de son développement professionnel.
Pour en savoir plus : https://born-to-learn.com/
La Savoie sur les traces de la formation nomade
Les outils numériques de la formation apportent certes des facilités d’apprentissage, mais demandent en amont une longue préparation pour concevoir des contenus à la fois courts et pertinents. «Un gros défi pour les formateurs qui doivent condenser un cours de quatre heures en une dizaine de minutes», résume Marie-Hélène Faure, responsable de la communication de l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables (Asder), qui a conçu un Mooc (Cours en ligne ouvert à tous) consacré à la rénovation performante et destiné aux professionnels du bâtiment, en synergie avec Arcanne, une association d’expertise et de formation.
Un projet qui a pu voir le jour grâce à la collaboration de plusieurs structures, dont l’Ademe et le Plan bâtiment durable qui ont lancé la plateforme numérique hébergeant ce Mooc le 17 janvier. «Le partenariat est très important. Une cinquantaine de personnes ont été mobilisées pour le concevoir», estime Marie-Hélène Faure. Ce deuxième module – Asder a lancé un premier Mooc voilà un an – totalisait déjà 5 000 inscrits le jour de son ouverture ; le premier avait réuni 1 500 personnes. Jusqu’à fin février, des cours d’une heure trente par semaine sont disponibles sur la plateforme 24 heures sur 24.
Des vidéos, mais aussi d’autres outils interactifs (quiz, forum d’échanges…) pour éviter de transformer l’apprenant en consommateur passif. «Une autre façon de se former, mais qui suppose aussi d’avoir un temps de concentration pour assimiler un contenu dense de quelques minutes», décrit Marie- Hélène Faure. Lauréate de l’appel à projets “Anticiper les métiers de demain”, Asder a, le jour du lancement, reçu d’Adecco un chèque de 5 000 euros (photo) pour soutenir ce projet de formation innovant, qui intéresse fortement les acteurs de l’emploi. Prochaine étape : relancer ce même Mooc à l’automne, enrichi des suggestions des utilisateurs. C’est tout l’intérêt des outils numériques : souples et évolutifs.
Dossier réalisé par Sandra Molloy.
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