Montée des taux, crise obligataire, crise de solvabilité, SVB, Crédit Suisse, Deutsche Bank, inflation, flambée des prix de l’énergie, remboursement des PGE (prêts garantis par l’État) arrivés à échéance, investissements nécessaires à la transition écologique… : les éléments susceptibles d’influencer, à la hausse comme à la baisse, l’offre et la demande de crédits ne manquent pas.
Malgré les remous que connaît la finance mondiale, avec la faillite de la banque américaine SVB ou les difficultés du Crédit suisse, la Banque centrale européenne a décidé d’augmenter, comme annoncé, ses taux directeurs de 50 points de base à 3, 3,5 et 3,75 %. Les prêts s’enchérissent donc encore. « Le but n’est pas de créer une récession, mais de casser l’inflation, de ralentir le crédit bancaire de façon douce », affirmait le directeur de la Banque de France (BdF) à Bourg-en-Bresse, Philippe Kiehl, lors d’une conférence sur la conjoncture 2023 organisée le 23 février avec la CCI de l’Ain.
Et le spécialiste de faire valoir qu’en 2022, les encours de crédits à l’économie (pour TPE, PME, groupes et immobilier d’entreprise) avaient encore progressé de 8 % en terres aindinoises (2 % en Savoie et 7 % en Haute-Savoie). « Les taux ne font que revenir à la norme par rapport à la moyenne historique longue. Leur impact sur le crédit aux entreprises n’est encore pas très visible », ajoute-t-il à présent. Cette analyse semble partagée par les différentes banques régionales. « L’enchérissement du coût du crédit n’est pas ce qui vient entraver les projets », estime ainsi Aurélie Laurent, directrice de centre d’affaires “entreprises” à la Banque populaire Bourgogne Franche-Comté et Pays de l’Ain (BPBFC).
« Si tassement de la demande de financement il y avait, cela viendrait davantage d’une forme d’attentisme, de la difficulté à établir des prévisions économiques fiables. Les anticipations de récession formulées fin 2022 ne se matérialisent pas, à ce stade. Certains jugent même que les carnets de commandes sont étonnamment élevés, malgré le contexte général. »
Des encours en hausse
Elsa Mignani, directrice “corporate” de la Caisse d’épargne Rhône-Alpes (Cera), confirme : « Sur la région, aujourd’hui, la conjoncture est meilleure qu’escomptée. La diversité sectorielle de l’économie du territoire favorise sa résilience. Et cette diversification du risque facilite notre intervention. Le niveau de production de crédits s’est révélé particulièrement élevé en 2022. Et 2023 s’inscrit dans la continuité. Malgré le contexte international, les programmes d’investissements se maintiennent. » Du côté du Crédit agricole des Savoie (CADS), François Larochette de Roeck, directeur commercial en charge du marché “entreprises”, annonce 700 M€ de crédits accordés à l’économie en 2022, sur les deux départements. Un record absolu pour la banque !
« Nos territoires se caractérisent par un tissu de PME familiales dynamiques dont la gestion est saine et qui ont su encaisser le choc de la période covid. En sortie de crise, nous avons connu une forte relance, en particulier dans des secteurs comme le tourisme. Les années 2021 et, plus encore, 2022 ont donc été toniques en termes de demandes de crédits. » Le banquier est cependant un peu plus mesuré pour 2023, après une année 2022 en deux temps. « Le contexte inflationniste engendre, pour beaucoup d’entreprises, une baisse de la rentabilité qui réduit leurs capacités de remboursement », explique-t-il.
Le trompe-l’œil des PGE
Ce constat paraît corroboré par un indicateur de la Banque de France : le sentiment des chefs d’entreprise concernant l’état de leur trésorerie, qui se situe à un niveau historiquement bas. « Cette donnée est difficile à analyser car les PGE (prêts garantis par l’État) sont comptés comme des lignes de crédit court terme, donc de trésorerie. Or, leur remboursement a commencé », commente Philippe Kiehl (BdF). « Ceci peut expliquer ce sentiment de baisse. D’autant que le besoin en fonds de roulement a augmenté avec la reprise et avec l’inflation. »
Et de tempérer : « Les trésoreries s’amoindrissent, mais elles ne sont pas négatives pour autant. Nous sortons d’une période où elles étaient équivalentes aux encours de crédits, ce qui rendait l’endettement très neutre, pour finir. À présent, cet endettement net progresse légèrement, mais il n’y a pas péril en la demeure. » D’ailleurs, la comparaison des niveaux de trésorerie en décembre 2021 et décembre 2022 indique plutôt une stabilité, aussi bien dans l’Ain, qu’en Savoie et en Haute-Savoie.
« La baisse des trésoreries correspond en grande partie à la consommation des PGE », estime Elsa Mignani (Cera). « Mais, les capacités d’investissement restent correctes, alimentées par des résultats 2022 honorables pour bon nombre d’entreprises et des marges de manoeuvre pour aller chercher des financements extérieurs. Les entreprises ont globalement les reins solides. »
Peu de prêts “résilience” ou “relance”
Aurélie Laurent (BPBFC), elle, observe « un peu de tension dans les lignes court terme, mais pas, pour autant, de demandes de prêts en renforcement des trésoreries. Nous ne recevons d’ailleurs que peu voire pas de sollicitations de prêts “Résilience” et prêts participatifs “Relance”, les deux derniers dispositifs d’État post-covid ». L’essentiel des PGE a été octroyé au printemps 2020. Leur nombre a été divisé par dix en 2021. Et les entreprises n’en ont pratiquement plus souscrit en 2022.
Dans l’Ain, il en a été accordé un peu moins de sept mille, pour un montant total d’un milliard d’euros (Md€). Depuis, ils ont été remboursés à hauteur de 14 % en nombre et de 30 % en montant. En Savoie (1 Md€ également), ils ont été amortis à hauteur de 15 % en nombre et 17 % en montant. Même chose en nombre en Haute-Savoie (pour 1,7 Md€ accordé), mais 19 % en montant. « Dans nos départements où le tourisme est fort, les demandes de PGE (PGE “Saison”, notamment) ont pu être plus fortes qu’ailleurs », observe François Larochette de Roeck (CADS).
Les Savoyards et Haut-Savoyards, prudents, ont également saisi l’opportunité de les rembourser à moyen terme, profitant d’une ressource finalement peu onéreuse, sans garantie de la part du souscripteur. S’il existe un certain nombre de freins, il est en revanche un domaine qui booste la demande de crédits : la transition écologique et, plus particulièrement, énergétique. La flambée des prix n’y est pas étrangère, mais elle n’est pas le seul moteur : pour l’ensemble des banques, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) devient de plus en plus un critère.
La transition demande des moyens
Le Crédit agricole des Savoie a embauché des chargés d’affaires qui établissent des diagnostics en la matière. « Nous avons réalisé 700 éclairages ESG (environnement, social et gouvernance) en 2022. Cette démarche a concerné 100 % des clients professionnels qui nous ont demandé un crédit, et deux tiers des clients qui nous confient plus de 3 M€ de flux dans l’année. Cela nous donne une grille d’analyse pour déterminer où en est le client sur ces sujets. Et c’est un élément d’appréciation des projets sur lesquels nous sommes sollicités », explique François Larochette de Roeck.
La BPBFC, elle, a créé, en 2022, un département dédié, dirigé par Olivier Poiseau. Ses conseillers apportent à leurs collègues généralistes une expertise supplémentaire pour analyser et financer les besoins de leurs clients. « Nous avons développé toute une gamme de prêts “green”, avec des adaptations en termes de durée et de profil d’amortissement, pour accompagner des projets de rénovation énergétique, production d’énergie renouvelable ou encore de transition d’activité. Car nous avons conscience que certains modèles économiques sont mis à mal par la hausse des prix de l’énergie et qu’il va être nécessaire d’adopter de nouvelles façons de produire et de travailler », explique le directeur.
« Et nous lançons de nouveaux prêts à impact, qui prennent en compte la performance sociale et environnementale. Des objectifs sont définis à la souscription avec, à la clé, des remises d’intérêts s’ils sont atteints. Jusqu’alors destinée aux grandes entreprises, cette offre est désormais étendue aux PME. »
La RSE, un atout
Pour Olivier Poiseau, le secteur financier dans son ensemble a conscience que les entreprises en avance sur la RSE ont un atout supplémentaire pour se distinguer. François Larochette de Roeck et Elsa Mignani confirment : « La transition énergétique est un relais de croissance et d’opportunité pour les banquiers », lance le premier. « C’est un élément stratégique fort. On ne peut pas se permettre de passer à côté », ajoute la deuxième.
« Là où nous étions des banquiers prêteurs, nous devenons des banquiers conseils. Nous devons nous assurer que les financements sont fléchés vers des investisseurs qui vont créer de la valeur à long terme – de la valeur économique, mais aussi sociale et environnementale. » Aussi, la Cera aborde-t-elle régulièrement trois sujets devenus incontournables pour ses clients : la mobilité “verte”, l’efficacité énergétique et les modes de production. Des sujets sur lesquels, ses chargés d’affaires se font accompagner par des experts du groupe BPCE.
L’environnement, nouvel indicateur
Consciente qu’un mouvement de fond (et non pas de fonds) est en train de s’opérer, la Banque de France normalise actuellement un indicateur climatique. Promis pour 2024, il doit permettre aux banquiers d’analyser la croissance “verte” des entreprises. « Le changement climatique peut impacter les prix alimentaires, les assurances – à travers une hausse du risque de catastrophes –, l’évolution des marchés, l’image et l’attractivité des entreprises… Tout cela peut influencer la stabilité monétaire », justifie Philippe Kiehl. Il serait donc logique que les entreprises inscrites dans une trajectoire “verte” bénéficient de taux plus avantageux.
SVB : « Pas de risque de contagion » ?
Vendredi 10 mars, le California Department of Financial Protection & Innovation (DFPI), équivalent local de notre Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), a gelé les actifs de la Silicon Valley Bank (SVB), dès lors officiellement en faillite. Cette banque, apparemment réputée pour financer les acteurs du numérique, a dû faire face à de nombreux retraits qui l’ont acculée à vendre ses obligations d’État. Mais ces obligations anciennes, à faible taux, ne valent plus grand-chose quand les nouvelles dettes émises rapportent davantage d’intérêts. Leur vente ne lui a donc pas permis de se refinancer.
Toutefois, pour Elsa Mignani, directrice “corporate” de la Caisse d’épargne Rhône-Alpes, c’est clair : « Pas de risque à l’horizon pour les banques françaises ! Elles ne sont pas exposées à SVB. Cet événement n’aura donc aucune incidence sur le financement des entreprises. » Et François Larochette de Roeck, directeur commercial en charge du marché “entreprises” du Crédit agricole des Savoie, d’ajouter : « Les banques européennes sont davantage suivies par le régulateur, à partir de 30 milliards de total bilan contre 250 Outre-Atlantique. Leurs ratios de solvabilité, d’importance de fonds propres en regard de leur activité de prêt, sont plus élevés. Elles sont finalement beaucoup plus solides car leur financement ne repose pas sur la valeur des actifs des emprunteurs, mais sur leurs capacités de remboursement. »
En outre, la Fed (réserve fédérale américaine) a annoncé que tous les dépôts seraient garantis, contre 250 000 $ en théorie (pour mémoire, en France, avec le FGDR, les dépôts ne sont en principe garantis qu’à hauteur de 100 000 €). Et elle a aussi assuré qu’elle allait racheter toutes les obligations à leur valeur nominale, plutôt qu’à leur valeur de marché. Mais à peine la frayeur SVB passée qu’un nouveau coup de tonnerre bancaire retentissait, avec le rachat de Crédit suisse par UBS : plus proche des banques européennes, il pourrait avoir des répercussions sur certains marchés des dettes obligataires. A suivre.
Une année 2022 en deux temps ?
Si les encours de crédits ont progressé en 2022, plusieurs banquiers ont le sentiment d’une année en deux temps, marquée par un tassement progressif au deuxième semestre. C’est notamment l’opinion du directeur commercial en charge du marché “entreprises” du Crédit agricole des Savoie, François Larochette de Roeck, qui en attribue l’origine – outre la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l’énergie, la nécessité de rembourser les PGE, la hausse des taux et le climat d’incertitude en général ! – à une baisse de la rentabilité qui réduit les capacités de remboursement des entreprises.
Aurélie Laurent, directrice de centre d’affaires “entreprises” à la Banque populaire Bourgogne Franche-Comté et Pays de l’Ain, a, elle aussi, l’impression qu’après des mois de septembre et octobre où la flambée des prix de l’énergie avait généré de nombreux projets de transition, les demandes de financements se sont mises sur pause face à l’instabilité des prix. Son collègue Olivier Poiseau, directeur du département “transition énergétique”, explique : « Les dossiers autour de la production d’énergie sont longs à traiter. Pour injecter de l’électricité sur le réseau, par exemple, il faut le feu vert d’Enedis. » Les projets ne seraient donc pas moins nombreux, les besoins de financement non plus. Simplement, les phases de simulation et d’analyse, les démarches diverses, sont en cours.
Elsa Mignani, directrice “corporate” de la Caisse d’épargne Rhône-Alpes, est plus nuancée. Elle a vu globalement progresser les encours sur toute l’année, dynamisés par des carnets de commandes pleins et les investissements autour de l’énergie, sujet devenu omniprésent. « Le propre de cette crise, c’est une hétérogénéité importante, non seulement d’un secteur à l’autre, mais également – et ça, c’est du jamais vu ! – au sein d’un même secteur », analyse-t-elle pour sa part.
« Ce contexte renforce l’utilité des business angels »
Dans quelle mesure les business angels peuvent voir leur demande impactée par la hausse des taux, l’inflation, la flambée des prix de l’énergie, etc. ? Savoie Mont-Blanc Angels (Samba) est une société d’investissement qui accompagne des startups et des entreprises en développement, dans leur tour de table, sur tout l’arc alpin. « Elle compte 150 membres sur la Savoie et la Haute-Savoie, qui peuvent apporter du cash, leur compétence (notamment pour l’analyse des dossiers) ou leur carnet d’adresses », décrit son président, Édouard Tivoly. « En 2022, nous avons financé, avec un effet levier de 5 à 7, une dizaine de dossiers, à hauteur de 350 000 euros sur le fonds “startups” et de 450 000 euros sur Capit’Alpes Développement, en capital transmission. »
Le besoin de financement peut évoluer en fonction de nombreux paramètres. « La hausse des prix de l’énergie est consommatrice d’argent », observe Édouard Tivoly. « Le besoin de cash se tend, entre le remboursement des PGE, l’augmentation du prix des matières premières et de l’énergie, la baisse des marges et les conditions d’octroi des crédits bancaires un peu plus regardantes. Ce contexte renforce notre utilité. Les demande de financements en fonds propres, notamment, trouvent un intérêt supplémentaire. Mais dans la mesure où l’argent coûte plus cher, ceux qui ont du cash en attendent des rendements plus élevés. Et cela peut être gênant pour nous. L’appétence pour le risque est moindre et peut conduire à se détourner de l’investissement en capital, au profit d’investissements monétaires réputés plus sûrs, aujourd’hui davantage rémunérateurs. Mais le mouvement est encore trop frais pour en mesurer véritablement l’impact. »
Aussi, le président de Samba continue-t-il d’observer, sur son territoire, une belle dynamique d’accompagnement des entreprises : « Nous avons retrouvé les niveaux d’avant covid ! » Quant à la transition écologique, c’est simple : « Il n’existe aucun projet de startup, aujourd’hui, qui n’intègre pas le paramètre. C’est devenu systémique. »
Sébastien Jacquart
Crédit photo à la une : DepositPhotos
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