De la création à la transmission, la vie des entreprises n’a pas de secret pour eux. Pour introduire notre édition 2017 du TOP 500, trois banquiers, Loïc Pajot (BNP Paribas), Bernard Nicaise (Bpifrance) et Martial Schouller (Crédit Agricole des Savoie) échangent et exposent leur vision de notre tissu économique.
Que vous inspire le classement des 500 premières entreprises de Savoie Mont Blanc ?
Loïc Pajot. Ce qui frappe d’abord c’est la richesse et la diversité du tissu. Quand on évoque nos départements, on pense immédiatement montagne ou vallée de l’Arve, mais ce palmarès montre que l’on va bien au-delà avec des entreprises dans de multiples secteurs. C’est une grande force de notre territoire avec un tissu très dense composé de quelques ETI et de beaucoup de PME et TPE.
Bernard Nicaise. Les entreprises liées à la montagne ne sont pas forcément les plus grosses, mais elles ont un poids considérable parce qu’elles irriguent tout le territoire en entraînant de nombreuses activités dans le BTP, ou le montage des remontées mécaniques. Il y a aussi un secteur énorme lié à l’activité industrielle historique qui s’est développée dans les vallées autour de l’énergie hydroélectrique. Des entreprises très capitalistiques avec des usines dans les premières du monde dans leurs spécialités.
Martial Schouller. Nous avons un territoire extrêmement dynamique avec un tissu très diversifié et quelques belles entreprises emblématiques. Et, si l’on regarde ce qu’a été l’activité économique en 2016, les indicateurs ont été au vert avec une croissance de 10 % des embauches et une baisse de 20 % des défaillances d’entreprises. Mais nous bénéficions en Haute- Savoie de facteurs très particuliers avec le poids de la Suisse et des frontaliers qui représentent 20 % de l’emploi total. Et 75 % des encours bancaires sont constitués d’immobilier. Ces deux facteurs permettent à notre territoire de se distinguer de la moyenne française.
« AVEC UNE IDENTITÉ CULTURELLE FORTE, ET UN ESPRIT DE RÉSISTANCE MONTAGNARD, NOUS AVONS DES BASES SOLIDES POUR L’AVENIR. »
Loïc Pajot

De gauche à droite : Martial Schouller (Crédit Agricole des Savoie), Bernard Nicaise (Bpifrance), Loïc Pajot (BNP Parisbas).
Retrouve-t-on ce dynamisme dans l’investissement des entreprises ?
MS. Il est assez vigoureux, mais il est surtout tiré par les opérations de rachat et de LBO, et l’immobilier. Alors que les entreprises ont, pour la plupart, reconstitué marges et trésoreries et disposent d’excellentes capacités d’autofinancement, l’investissement industriel pourrait être un peu plus dynamique. Au Crédit agricole nous avons d’ailleurs eu une bonne année de collecte dans les entreprises et nous avons paradoxalement une croissance forte des placements alors que les crédits sont à des taux historiquement bas.
LP. C’est vrai que l’investissement immobilier et les LBO tirent les encours d’investissement dans les banques avec beaucoup d’opérations patrimoniales. Il y a aussi une question de taille parce que les grandes sociétés sont naturellement tournées vers l’international ou la digitalisation. Mais pour toutes les PME entre 2 et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’est différent. Ce sont souvent des sociétés familiales avec des problématiques de transmission, d’investissement productif ou de prise de risque. Et celles-ci sont moins confiantes, plus défensives. C’est là que nous, banquiers, avons un rôle très important à jouer pour les accompagner notamment à l’international.
BN. L’investissement a changé de nature. Il y a une vingtaine d’années, on construisait des bâtiments et les industriels s’équipaient en machines outils. Aujourd’hui, on finance avant tout, de l’immatériel (pour acquérir des compétences, monter un atelier relais en Turquie ou encore étoffer son réseau commercial) et de l’incorporel (pour financer de la croissance externe en France ou à l’international). Les chiffres sont parlants : à Bpifrance, notre production de crédits en Savoie Mont Blanc atteint aujourd’hui 60 millions d’euros sur l’immatériel et c’est supérieur au montant global de tous nos crédits en 2010.
« NOTRE RÔLE DE BANQUIER DU TERRITOIRE C’EST DE CULTIVER LA DIVERSITÉ DU TISSU ÉCONOMIQUE EN ACCOMPAGNANT LES START-UP COMME LES ETI ET PME. »
Martial Schouller
Quels sont les facteurs déterminants pour l’avenir ?
BN. Il y a deux choses essentielles : l’international et les hommes. L’international parce qu’aujourd’hui aucune entreprise, y compris une start-up, ne peut faire l’impasse sur le marché mondial. Et les hommes parce que la création de valeur se fait par eux, qu’ils soient propriétaires ou non de leur entreprise. Ces dirigeants doivent s’adapter à un monde économique de plus en plus complexe et nous les accompagnons avec du crédit, certes, mais de plus en plus du conseil.
LP. À BNP Paribas, nous revisitons tous nos parcours clients, l’intermédiation classique, c’est fini. Aujourd’hui nous proposons un accompagnement basé à la fois sur la proximité physique et notre réseau d’agences et des palettes d’expertise que nous allons chercher dans le monde entier. C’est ce que j’appelle le “phygital”, l’alliance du physique et du digital. Cela passe aussi par une présence dans les incubateurs pour être aux côtés des start-up et construire l’avenir avec les jeunes pousses.
MS. Il faut s’adapter à la diversité du tissu. À côté des ETI et de quelques gros investissements, il y a énormément de petites sociétés entre un et dix salariés qui investissent et se développent. Il faut les soutenir comme il faut accompagner les start-up. On espère tous avoir un nouveau Google en Savoie Mont Blanc. Mais notre rôle de banquier du territoire, c’est de cultiver tout ça en même temps.
« CONSERVER LES CENTRES DE DÉCISION DE NOS ENTREPRISES EN SAVOIE MONT BLANC EST UN DÉFI IMPORTANT À RELEVER POUR NOTRE ÉCONOMIE. »
Bernard Nicaise
Comme un jardinier du territoire ?
BN. Je prendrais l’image d’une équipe de foot. La tête du top 500 ce sont les vedettes qui marquent des buts, et qui font la une de l’actualité. Mais, dans une équipe, il faut aussi des distributeurs de jeu, et des joueurs en défensif. Et puis, il y a un centre de formation et là je pense aux start-up. Comme les joueurs, certaines perceront, d’autres seront en équipe deux, mais tout le monde a sa place.
LP. Nous avons la chance d’avoir un territoire attractif, même si nous n’avons pas de grand pôle comme Lyon ou Grenoble. L’important c’est d’irriguer financièrement aussi toutes ces micro-entreprises essentielles pour le tissu local et d’encourager les créations de start-up qui vont faire évoluer notre territoire dans les prochaines décennies.
MS. Nous sommes optimistes pour notre avenir parce que notre économie est équilibrée. À condition toutefois de relever de grands défis. En particulier les prix immobiliers trop élevés qui pénalisent les entreprises qui veulent attirer des talents, la difficulté croissante des déplacements urbains et de la mobilité. Et la problématique environnementale avec la dégradation de la qualité de l’air. Sans oublier le réchauffement climatique et l’avenir de notre modèle de sports d’hiver notamment dans les stations de moyenne altitude.
Comment évolue l’écosystème savoyard ?
LP. Il y a des choses très positives comme la création du Grand Annecy qui va permettre de générer des fonds pour développer le territoire. Avec une identité culturelle forte, et un esprit montagnard de résistance, nous avons des bases solides pour l’avenir, sachant que cet avenir il faudra le dessiner avec d’autres canaux de développement que ceux qui ont fait notre force dans le passé. Nous pouvons aussi nous appuyer sur de beaux partenariats comme, par exemple, le Club des entreprises de l’université qui permet de travailler ensemble en aidant les jeunes à s’ouvrir au monde et à leur territoire.
MS. L’impact de la loi NOTRe, qui a certes bousculé les habitudes, devrait permettre des choses très positives. L’intercommunalité va mutualiser des moyens. En Savoie, regardez les regroupements en cours des parcs d’activité de Savoie Technolac et de Savoie Hexapole et demain peut-être Alpespace ! Mais la régionalisation pose une question de fond qui est celle de l’attractivité lyonnaise. Il faut voir comment collectivement nous allons penser l’avenir des Savoie. À cet égard, le lancement d’une fondation par l’Université de Savoie Mont Blanc est une excellente initiative pour mobiliser les entreprises à ses côtés.
BN. Il ne faut pas craindre, a priori, l’internationalisation, mais il y a un défi important à relever et qui est de conserver les centres de décision de nos entreprises. Cela ne concerne pas que les rachats par des capitaux étrangers. Lorsque le centre de décision est dans une autre région, la pérennité d’un site peut être remise en cause plus facilement quand on compare les prix de l’immobilier ou le niveau élevé des salaires à cause de la proximité de la Suisse. Rester maître de son destin sera essentiel pour l’avenir de l’économie de Savoie Mont Blanc.
Propos recueillis par Sophie Guillaud
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