Denis Raynal, président de l’association Avocats conseils d’entreprises (ACE) décrypte le rapport Haeri, sur l’avenir de la profession d’avocat, pour l’élaboration duquel il a notamment été auditionné. Interview.
Denis Raynal : « La profession d’avocat doit évoluer ! »
Quel a été votre sentiment à la lecture du rapport Haeri ?
Au sein de l’ACE (Avocats Conseils d’Entreprises), nous avons commenté la décision du garde des Sceaux de confier à un groupe de travail dirigé par Kami Haeri la rédaction d’un rapport sur l’avenir de la profession d’avocat. Il n’était pas évident que le ministre de la Justice prenne cette initiative, compte tenu de la période préélectorale, même si le besoin d’analyse prospective et de changement est palpable dans la profession. Nous avons été agréablement surpris par la qualité du travail de cette commission. On pouvait s’attendre à une analyse assez tiède et une position tempérée sur un certain nombre de points. Au contraire, il y a beaucoup d’éléments ambitieux de ce rapport qui rejoignent les positions de l’ACE. Certains vont même au-delà de nos vœux. À la sortie du rapport, j’ai entendu beaucoup de commentaires, certains élogieux, d’autres beaucoup plus critiques, pointant une totale vacuité. Je pense que ces derniers n’ont pas lu ces pages. Quand on analyse le rapport en profondeur, on y trouve de réelles avancées et une vision d’avenir assez clairvoyante qui, certainement, ne doit pas beaucoup plaire aux avocats les plus traditionnels.
Quels sont, à votre avis, les points les plus audacieux de ce rapport ?
L’avocat salarié en entreprise, par exemple. Il y a même deux passages sur le sujet. Quant à la création d’une grande profession du droit, elle rejoint la position des Pouvoirs publics, assez favorables à ce rapprochement. N’oublions pas que ce rapport n’a pas été commandé par le Conseil national des barreaux ou ses composantes, mais par le garde des Sceaux.
L’ACE a été longuement auditionnée. Retrouvez-vous une partie des idées de l’association dans ce rapport ?
Oui, l’ACE a été auditionnée par la commission Haeri. À cette occasion, nous lui avons remis, ainsi qu’au ministre, un livre blanc émanant des travaux de notre Laboratoire de l’univers de l’avocat (Luna). Nous y exprimons les grandes lignes de nos positions sur la profession et son avenir. Même si les conclusions du rapport ne sont pas toutes formellement les nôtres, nous y avons trouvé des axes importants que nous soutenons.
Et la grande profession du droit ?
Certains points du rapport Haeri portent sur l’octroi du legal privilege aux juristes d’entreprise, d’autres sur la création d’une grande profession du droit. Ce n’est pas tout à fait la même approche. L’ACE relaye cette dernière proposition avec une préférence pour le Juriste admis au barreau (le JAB), sur le même banc que l’avocat. En page 81, le rapport fait référence à l’article 7 de la loi de 1971, ajoutant “ou de salarié d’une entreprise” Vingt-cinq ans de débat pour cinq mots ! Mais ce n’est pas fini…
« Même si les conclusions du rapport ne sont pas toutes les nôtres, nous retrouvons des axes importants que nous soutenons. »
Quels sont les points que vous jugez indispensables pour réformer la profession d’avocat ?
La grande voie, que d’ailleurs nous soutenons, est celle de la modernisation de la profession. Nous devons prendre en considération les évolutions nécessaires en phase avec les réalités du quotidien, comme le numérique, par exemple. D’autres points sont à faire évoluer comme la formation et le statut des collaborateurs. Concernant la formation, la sortie du rapport Haeri s’est entrechoquée avec les résolutions prises au CNB – augmentation des frais d’inscription au CRFPA et collaboration qualifiante, ndlr – qui sont des voies de progrès faisant également partie de notre analyse. L’ACE propose une refondation du contrat de collaboration libérale sur une base entrepreneuriale. Nous rappelons à ce sujet qu’il existe un contrat de collaboration salariée. Notre approche veut encourager légitimement collaborateur et patron à fonder une relation tournée vers l’avenir, en restant dans un esprit indépendant et libéral, alors même que les dispositions actuelles sur le lien de subordination dans le contrat de travail doivent subir un certain nombre d’aménagements lié à l’évolution du numérique, et à l’organisation collaborative du travail.
Cette refondation du contrat de collaboration n’est-elle pas associée à celle de la formation ?
Nous souhaitons, de manière générale avoir, pour le bien des élèves-avocats, une véritable formation qualification. Nous voyons bien qu’aujourd’hui, à la sortie de l’école, presque tout reste à faire. Nous n’avons pas cette école d’application dont nous devrions être fiers, même si de rares exceptions existent comme à l’Erage, animée avec tant de talent par Enke Kebede. Les formateurs eux-mêmes ne sont pas forcément sélectionnés ni formés et suivis avec l’exigence requise. Ce ne sont pas toujours de grands pédagogues. De la même façon, les thèmes abordés durant le cursus ne sont pas forcément en phase avec les besoins exprimés par le marché. Par exemple, nous avons assisté récemment à la suppression du droit fiscal au concours d’entrée, quand les experts-comptables organisent leur congrès sur le thème du conseil fiscal. Il faudrait par ailleurs, comme le préconise le rapport, une meilleure formation en matière de management, de développement d’affaires, de création de clientèle, de mises en situation…, ce que l’ACE suggère dans son livre blanc.
Pour nous, l’aspect qualifiant est fondamental. Nous souhaitons la création d’une instance nationale, pas nécessairement centralisée, unifiant des formations pragmatiques dispensées au sein des écoles de droit régionales. L’ACE est même favorable au développement de systèmes d’apprentissage ou de contrats de qualification, qui n’ont rien de honteux et qui permettraient d’améliorer les qualités opérationnelles des collaborateurs et de construire leur carrière. Ce type d’enseignement entraîne des coûts importants, qui ont été l’objet du second vote du CNB (Conseil national des barreaux). L’augmentation des frais de scolarité a essentiellement vocation à équilibrer le budget des CRFPA (Centre régional de formation professionnelle des avocats) et à respecter la qualité de l’enseignement. De nombreuses écoles sont actuellement en grande difficulté. La formation est subventionnée par la profession à hauteur de 60 %, ce qui est énorme, surtout quand nous savons que 30 à 40 % des élèves avocats ne prêteront jamais serment, pour des raisons diverses et variées.
Nous finançons notamment la formation de futurs juristes d’entreprise à qui, paradoxalement, nous interdisons de nous rejoindre au sein d’une seule et même grande profession du droit. Des frais de scolarité passant à 3 000 euros, loin du coût de n’importe quelle grande (ou pas si grande) école, ne constituent d’ailleurs qu’un compromis dans l’urgence destiné à atteindre l’équilibre. On calme le feu mais on ne l’éteint pas. Il faut à présent qu’un comité d’étude impliquant aussi d’autres acteurs économiques que les avocats se mettent à réfléchir à ce problème pour les cinq ans qui viennent, pour déterminer et mettre en phase objectifs, qualité de la formation, des formateurs, et moyens nécessaires.
« L’idée d’états généraux de la mobilité est une nouvelle occasion de s’interroger sur cette grande profession du droit et l’opportunité de passer aisément d’une profession à l’autre. »
L’ACE est également favorable à la collaboration qualifiante ?
Nous sommes effectivement favorables à un cursus qui prenne en compte cette formation qualifiante. Selon le projet adopté par l’assemblée du CNB, les élèves-avocats seraient d’abord référendaires (CAPAR) et suivraient des qualifications in situ dans un premier temps, sous le contrôle des écoles, avant de valider le CAPA. Pour certains, cette mesure s’apparente à un retour du stage. Nous pouvons ouvrir le débat. D’une manière générale, l’ACE est pour ce type de formation qualifiante avec une présence renforcée et un suivi réel dans les cabinets. C’est en fait un apprentissage dont on ne veut pas prononcer le nom, mais c’est après tout une bonne méthode pour apprendre son métier.
Et dans l’optique de la création d’une grande profession du droit ?
Dans ce cas, il est logique que la formation des membres d’une grande profession du droit soit paramétrée sous le contrôle des écoles, pour leur permettre d’exercer aussi bien en cabinet qu’en entreprise.
Quelle est la position de l’ACE sur les autres problématiques soulevées par le rapport Haeri ? La parité et l’égalité des chances, notamment…
Toutes ces problématiques reprennent les grands axes de l’action de l’ACE et des travaux de notre commission égalité/diversité animée par Irène Arneaudeau. Solène Brugère fait vivre avec Bénédicte Bury, et l’ACE-JA présidée par Chloé Froment, le Forum ACE des réseaux féminins, qui a commencé sa grande tournée nationale. L’ACE est donc en pointe sur tous ces sujets avec une belle ouverture d’esprit.
Et concernant la quête du bonheur préconisée par le rapport ?
J’ai apprécié ce chapitre, car la profession ne doit pas être un fardeau. Il faut effectivement mener une vie personnelle aussi épanouie que la vie professionnelle. Néanmoins, n’oublions pas que nous avons un travail exigeant, nécessitant un investissement personnel important, qui demande une attention particulière pour le respect des grands équilibres de la vie. Le bonheur peut également se trouver dans les cabinets, à travers un changement d’attitude et l’intégration de paramètres issus, notamment, de la RSE.
Le rapport aborde d’éventuels états généraux de la mobilité de l’avocat, y compris à l’extérieur de la profession. L’ensemble des avocats ne doit-il pas prendre position sur ce point, par voie de référendum, par exemple ?
Le recours systématique au référendum pose, à mon sens, le problème du pouvoir au sein de la profession. Le CNB est une institution légitime, nécessaire, mais sans doute doit-elle être analysée et réformée pour être plus efficace. Nous devons sortir des blocages et des postures strictement politiciennes. Concernant la mobilité, puisque vous évoquez le sujet, c’est le CNB qui a voté le rapport préparé par la commission prospective sur l’avocat “in mobilis”. C’est à sa lecture qu’on comprend que l’avocat est censé pouvoir être à son gré juriste d’entreprise, magistrat, ou autre, avant de revenir à sa profession… L’idée d’états généraux de la mobilité, suggérés dans le rapport Haeri, est une nouvelle occasion de s’interroger sur cette grande profession du droit et l’opportunité de passer aisément d’une profession à l’autre. Cette approche est moderne, bénéfique à la fois pour la profession et pour l’ensemble de la compétitivité française.
Estimez-vous que cette profession est trop conservatrice ? Peut-être eu égard aux difficultés économiques qu’affronte une partie de la profession ?
J’estime que le premier obstacle au développement de la profession, c’est l’avocat lui-même. Le développement de la grande interprofessionnalité – l’ACE parle même de la “multi professionnalité” –, est un bon exemple de concept moderne. La création de structures spécialisées, regroupant dans le plein respect de leur déontologie avocat(s), notaire(s), huissier(s) de justice…, voire d’autres professionnels de la chaîne d’un service dynamique interactif (ingénieurs, économistes, lobbyistes, communicants, etc.), pour proposer une offre globale et spécialisée dans tel secteur (l’immobilier par exemple), constitue un outil de transversalité adapté au marché qui peut devenir un important facteur de progrès et de compétitivité économique. Il n’est donc pas aberrant de se poser des questions sur l’avenir de la profession d’avocat, mais il faut avancer aussi vite que possible dans un monde en disruption.
Pour aller plus loin : http://www.avocats-conseils.org/fr/
Jean-Paul Viart, pour RésohebdoEco
www.facebook.com/resohebdoeco
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