L’eau sera le pétrole du XXIe siècle, lui disait son père alors qu’elle était enfant. Elle n’a jamais oublié. Depuis 30 ans, Isabelle Delannoy, ingénieure agronome, spécialiste du développement durable, met sa profession au service de ses convictions. Invitée par la Fondation de l’Université Savoie Mont Blanc le 27 septembre à Annecy, elle interviendra sur l’économie symbiotique. Interview.
Isabelle Delannoy, qui êtes-vous ?
Je suis ingénieure agronome de formation. J’ai fait mes études à l’Isara, école d’ingénieurs en agronomie, agroalimentaire et environnement, à Lyon, pour pouvoir étudier le sol et je suis activiste écologique depuis 30 ans, dans le sens où j’ai toujours mis mon activité professionnelle au service de mes convictions.
Comment ?
J’ai travaillé dans la recherche, la réglementation et le lobby pour l’agriculture biologique, enseigné les sciences et vie de la terre en collège et lycée. Puis j’ai intégré l’équipe de Yann Arthus-Bertrand, pour qui j’ai notamment écrit le documentaire Home, (2009). Nous l’avons conçu comme un film outils qui puisse servir à quiconque voulait poser le débat écologique. Aujourd’hui, il a été vu par 800 millions de personnes, dans 53 pays. Parallèlement, j’ai tenu un blog qui étudiait le discours politique et médiatique sous le prisme de l’écologie. Voyant que le monde politique et médiatique n’avançait pas assez vite pour être le fer de lance de la métamorphose écologique dont nous avions besoin, j’ai observé le monde économique et productif en France comme à l’étranger. J’ai participé aux clubs et conférences d’innovation écologique, étudié les rapports d’activité d’entreprises qui trouvaient des solutions…
Qu’avez-vous constaté ?
Notre économie ruine les ressources terrestres parce qu’avant d’être capitaliste ou communiste, elle est, d’abord, “extractive”, fondée sur l’extraction à outrance des ressources non-renouvelables. Dans un monde fini, il n’y a pas de durabilité sans régénération. Au cours de mes recherches, je voyais se distinguer des principes communs à toutes les pratiques économiques productives et sociales qui, par leur capacité à renouveler les ressources, contribuaient aux équilibres écologiques et sociaux en réussissant, en plus, à créer de la valeur. À partir de là, j’ai accompagné des entreprises et des territoires dans cette direction et créé des méthodes. Avec mon associé Patrick Samama, nous avons lancé, en 2021, L’entreprise symbiotique qui s’est spécialisée dans l’expérimentation et la production d’outils et de méthodes au service de la régénération. J’ai également publié en 2017 un ouvrage L’économie symbiotique, régénérer la planète, l’économie et la société.
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L’économie symbiotique justement, c’est quoi ?
C’est une économie qui s’appuie sur la symbiose entre l’intelligence humaine, la puissance des écosystèmes vivants et les outils. En trouvant le juste équilibre entre les trois, il est possible de produire sans épuiser les ressources. Ces régénérations sont, de plus, synergiques entre elles : quand vous les associez, vous permettez la réussite des autres et arrivez à des modèles de performance plus importante, à l’image de l’abeille qui diffuse les pollens de fleur en fleur et régénère la fertilité du milieu dont elle dépend. C’est une économie de la diversité, qui tire sa puissance du local. Elle part des besoins et mise sur la coopération, non sur la compétition. La symbiose est le mécanisme le plus puissant du vivant. C’est extraordinaire que nous ayons su inventer cela pour les activités humaines.
Des exemples ?
Nous en avons dans différents secteurs. Je pense notamment à Mob-ion (Aisne) qui a développé un scooter électrique. La rentabilité de l’entreprise est assurée par une offre intégrée, centrée sur une performance d’usage via la location longue durée incluant maintenance, assurance et assistance. Mob-ion voit son scooter comme un écosystème de composants dont elle reste propriétaire. 97 % d’entre eux ont une durée de vie de 20 ans ! Ainsi, grâce à ce modèle, elle fabrique en France, a une rentabilité supérieure à ses concurrents chinois et sa production est à plus de 70 % indépendante de l’inflation. Je citerai aussi Phytobocaz (Guadeloupe), spécialisée dans les plantes médicinales, qui a imaginé tout un écosystème pour assurer leur production tout en créant de la biodiversité et de nouvelles ressources. En Bretagne, c’est autour de l’hydrogène vert qu’un projet a vu le jour. À chaque fois, vous trouvez une diversité d’actions qui partagent des ressources sur un intérêt commun.
Ces entreprises ont été créées en s’appuyant d’entrée sur votre théorie. Mais quid des existantes ?
Il faut avant tout un changement de regard, comprendre qu’il y a d’autres règles du jeu et convaincre au niveau stratégique. Ensuite, il faut commencer petit et humble, mais avec beaucoup d’ambition. Créer une cellule de transformation pour repenser l’activité de l’entreprise sur ce nouveau mode, avec des gens de différents métiers très motivés. Cela peut se faire, par exemple, dans le cadre du développement d’un nouveau projet. Il faut ensuite se déployer peu à peu à la manière d’une spirale. Les entreprises familiales, qui ont la maîtrise de leurs décisions et s’inscrivent dans le temps long, sont les plus aptes à amorcer ce changement. Il y a aujourd’hui une dynamique incroyable bien supérieure à mes débuts. De plus en plus de sociétés partent vers ces modèles. L’espoir, c’est la jeune génération qui me le donne.
Un message ?
Aujourd’hui, il ne suffit plus de détruire moins, il faut régénérer plus. C’est-à-dire qu’il ne suffit plus de diminuer les impacts négatifs, mais aussi se focaliser sur la production d’impacts positifs et sur tous les potentiels qu’elle ouvre. Nous pouvons être performants économiquement et faire du bien autour de nous. Un territoire comme Savoie Mont Blanc, qui dispose de bases solides ancrées dans cette culture, où les entreprises fonctionnent depuis longtemps en écosystème, et attaché à ses montagnes, se prête bien au développement de cette économie.
Propos recueillis par Hélène Vermare
Plus d’infos : https://www.eclaira.org/articles/h/l-economie-symbiotique.html
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