Le Mont-Blanc attire de plus en plus de monde, et cette hausse de la fréquentation s’accompagne d’incivilités et de pollution. Le maire de Saint-Gervais a oeuvré pour la mise en place d’un arrêté, en vigueur depuis l’automne dernier, qui réglemente les pratiques. Interview.
De quel type d’incivilités avez-vous été témoin sur le Mont-Blanc ?
La situation que j’observe, depuis que j’occupe ce poste en 2003, est une sorte d’omerta, avec une situation qui arrangeait tout le monde et que l’on peut résumer sous le slogan : « La montagne est un espace de liberté et j’ai donc le droit de tout faire. » Je me rappelle d’un guide qui, devant les caméras de France Télévisions, a pris une boîte de sardines vide et l’a jetée en disant que dans l’immensité de la montagne, ça n’a pas d’importance. C’était la mentalité de l’époque : en se baladant, les gens laissaient les ordures ménagères dans la montagne. Mais dans ces années-là, on avait surtout des familles qui venaient quelques semaines pour faire plusieurs randonnées, et qui avaient le même guide. Mais aujourd’hui, il y a une nouvelle clientèle, qui considère la haute montagne comme une activité parmi tant d’autres, comme on va dans un parc d’attractions, comme on va dans un musée, etc.

C’est-à-dire ?
Nous sommes passés à une consommation de la montagne et non plus à un respect, une communion avec la montagne. Et l’autre phénomène, c’est que dans ces espaces, on est souvent isolé, on n’a pas le regard des autres : il y a une sorte d’impunité. On a donc eu ces dernières année une augmentation des incivilités.
Qu’est-ce qui est, selon vous, responsable de ce phénomène ?
Il a été renforcé par la vente en ligne, les agences de voyage spécialisées dans l’aventure, où on va avec des guides au bout du monde, mais aussi faire le Mont-Blanc, qui est vendu comme l’on vous vend Disneyland. Et cette destination devient une case à cocher, ensuite, on va aller faire le Kilimandjaro, puis le marathon de New York ! Sans oublier Instagram, qui pousse les utilisateurs à se faire remarquer en faisant tout et n’importe quoi. Les marques se sont aussi intéressées au Mont-Blanc. Il y a eu par exemple l’artiste Zaz, qui est allée faire un concert au sommet pour une marque de vêtements suisses. Bref, toutes sortes de dérives commerciales ainsi que celles des gens en mal de reconnaissance sociale.
Avec pour conséquence une augmentation de la pollution…
On a trouvé du plastique, du métal. Tout ce que vous pouvez imaginer, que la nature n’a pas pu digérer. Cette augmentation de la fréquentation a mené à la construction du nouveau refuge du Goûter, soi-disant respectueux de l’environnement. En trois mois d’ouverture par saison, ce sont 8000 litres de fioul qui y sont brûlés à 3800 mètres d’altitude ! Parce qu’il faut produire l’électricité, que les panneaux solaires ne fournissent pas en quantité suffisante. Ces 8000 litres de fuel, on les monte en hélicoptère par 500 kilos à la fois. Je vous laisse imaginer l’empreinte carbone… De plus, la station d’épuration, qui a été conçue sur le même modèle que les stations d’épuration des sous-marins, ne fonctionne pas à 3800 mètres : ce n’est pas la même température, ce n’est pas la même pression atmosphérique. Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? On déverse dans les couloirs du Goûter l’eau de la station d’épuration, qui est bourrée de produits chimiques et qui descend de 3800 mètres jusqu’à 3200 mètres ! Ce refuge, c’est une usine, un hôtel avec des services et des besoins qui nécessitent une énergie folle.
Comment comptez-vous améliorer cette situation ?
C’est cet ensemble d’incivilités qui m’a amené à interpeller le gouvernement. Le président Emmanuel Macron est venu sur place et nous avons conçu l’arrêté de protection des habitats naturels du Mont-Blanc, qui a été signé le 1er octobre 2020. Au lieu de faire la liste des interdictions, nous avons décidé d’avoir un raisonnement positif et de dire : voilà ce qu’on veut sur ce site. Réservons cette montagne à l’alpinisme ou au ski pour la redescente. Si on veut y faire quelque chose d’autre, il faudra demander une dérogation. J’ai mis 17 ans à convaincre, mais cet arrêté a été fait en six mois. Les sanctions en cas de manquement sont aujourd’hui beaucoup plus dissuasives. Et depuis sa mise en place, nous nous sommes rendu compte que les gens adhèrent. A partir du moment où vous prenez une règle qui est comprise et compréhensible, les gens la respectent sans problème.
Que change cet arrêté ?
Toute forme de camping est interdite. Nous avons enlevé les tentes et des gendarmes patrouillent régulièrement pour faire respecter les nouvelles règles. Nous avons créé une brigade blanche, des employés communaux qui patrouillent aussi, comme les gendarmes, mais avec un rôle pédagogique et d’information, même s’ils ont aussi la capacité de sanction. Mais l’objectif, c’est zéro amende. Il s’agit d’avoir une dissuasion suffisamment importante par le prix à payer si vous ne respectez pas les règles. Et puis, avec cet arrêté, l’Office français de la biodiversité va pouvoir mettre des gardes, comme dans les réserves naturelles, qui vont aussi faire de la présence et éventuellement de la verbalisation. Donc, si vous venez avec une tente, vous n’aurez pas le droit de monter, avec un vélo non plus. Nous allons aussi réhabiliter l’ancien refuge du Goûter, qui devait être démoli. Il s’agit d’un petit refuge d’une trentaine de places, pour justement ne pas ouvrir l’immense refuge du Goûter quand il y a seulement 20 personnes.
En savoir +
L’arrêté de protection des habitats naturels du Mont-Blanc réglemente les pratiques sur une zone de 3175 hectares à cheval sur les communes de Chamonix, Saint-Gervais et les Houches. Il interdit notamment d’accéder au site en vue de l’ascension du Mont-Blanc sans être muni d’un équipement individuel et collectif approprié.
Romain Fournier
Crédit photo à la une : Pierre Ducher sur Unsplash
Sincères félicitations pour cet aboutissement, terme d’une démarche de longue haleine. Reste ce grand refuge du Goûter. Puissiez-vous etre imités dans d’autres sites
Bravo mr le Maire