Jérôme Saddier : « J’espère un grand plan en faveur de l’économie sociale et solidaire »

par | 03 novembre 2023

À l’occasion du mois de l’économie sociale et solidaire, le président d’ESS France, haut-savoyard d’origine, évoque les forces et les faiblesses de cette autre façon d’entreprendre. Interview.

Vous présidez la Chambre française de l’économie sociale et solidaire, ESS France. Quelle est la mission de cet organisme ?

Nous sommes la voix de référence de l’économie sociale et solidaire et, à ce titre, portons et défendons les intérêts des entreprises et organisations qui en font partie. Nous fédérons l’ensemble des acteurs de l’ESS en France.

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque l’ESS ?

L’ESS existe sous différentes formes depuis environ cent cinquante ans. La loi du 31 juillet 2014 en a précisé les contours. Il s’agit de mutuelles, de coopératives, d’associations, d’acteurs de l’insertion par l’économie, de fondations… Tous répondent à des principes de gestion communs définis par l’article 1 de cette loi.

Quels sont ces principes communs ?

Au moins 50 % des bénéfices doivent être réinvestis dans l’entreprise, pour son maintien ou son développement. La propriété est collective et il n’y a pas d’actionnaire. La gouvernance est démocratique ; chaque voix compte à égalité. Le but poursuivi doit être autre que le seul partage des bénéfices. Ce qui prime dans l’ESS, c’est l’objet collectif. On n’attend pas de pouvoir à l’intérieur en retour de son implication.

« Pour réussir cette transition, vous avez besoin d’embarquer les gens avec vous. Et cela, c’est plus facile avec des entreprises comme les nôtres qu’avec celles qui ne parlent que de clients et de consommateurs. »

Que sous-entend le mot « sociale » présent dans le sigle ?

« La transition écologique nécessitera en effet des efforts sur le long terme, pour lesquels il vaut mieux ne pas être trop pressuré par une logique financière… »

Plusieurs choses. Cela signifie d’abord que la propriété de l’entreprise y est « sociale », c’est-à-dire qu’elle appartient à tous. Par ailleurs, les structures de l’ESS doivent avoir une utilité sociale. Toutes ont été créées pour répondre à un besoin qui n’était pas satisfait à l’origine. C’est le cas des mutuelles “santé”, qui sont nées il y a plus de cent ans de la réunion de personnes qui voulaient venir en aide à celles qui n’étaient pas payées lorsqu’elles étaient malades. Je pourrais citer aussi les banques coopératives qui, dès le XIXe siècle, ont vu le jour pour permettre l’accès de tous au crédit, alors qu’il n’était jusque-là accordé qu’à la grande industrie. En Haute-Savoie, la Banque populaire a ainsi été créée, à La Roche-sur-Foron, pour répondre aux besoins des petits industriels et commerçants… Dans le domaine de l’agriculture, les coopératives ont émergé pour acheter du matériel en commun ou pour écouler les productions… Partout, l’ESS se caractérise par une ligne de conduite commune : une façon d’agir collectivement sans chercher prioritairement le profit.

Peut-on performer sans chercher prioritairement le profit ?

Bien sûr ! La conjoncture actuelle nous en donne de beaux exemples. Les enseignes de la grande distribution qui s’en sortent le mieux aujourd’hui font partie de l’ESS. Si Leclerc, Système U ou Intermarché tirent mieux leur épingle du jeu que les autres, ce n’est pas un hasard. Toutes font partie de l’ESS et, à ce titre, gardent la valeur créée à l’intérieur de leur organisation coopérative d’entrepreneurs, qui mutualise les achats et leur développement. Même chose pour les banques coopératives. En période de crise, l’ESS résiste mieux car elle n’est pas soumise aux aléas des marchés financiers, cela nous rend indépendants et résilients.

Partout en France a lieu, en novembre, le Mois de l’ESS. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de promouvoir l’ESS. Montrer que ce n’est pas que de l’économie de la réparation. Mettre en avant la variété de nos activités. En tant que président, je peux, par exemple, parler tout aussi bien à une Scop du BTP oeuvrant sur le chantier de Notre-Dame-de- Paris, au PDG de Système U, aux organisateurs du festival d’Avignon, à un club sportif, ou à une structure d’insertion par l’économie…

Dans un contexte où le recrutement est compliqué, l’ESS est-elle touchée par ce phénomène ? Ou, au contraire, attire-t-elle des candidats ?

Elle en attire de plus en plus, car elle est à la mode, notamment chez les jeunes. À travers elle, ils peuvent affirmer leur utilité sociale et environnementale, donner du sens à leurs actes. La question de la transition écologique et du développement colle aussi avec notre modèle et séduit. La transition écologique nécessitera en effet des efforts sur le long terme, pour lesquels il vaut mieux ne pas être trop pressuré par une logique financière… Et puis, pour réussir cette transition, vous avez besoin d’embarquer les gens avec vous. Et cela, c’est plus facile avec des entreprises comme les nôtres qu’avec celles qui ne parlent que de clients et de consommateurs.

Y a-t-il, selon vous, des secteurs où l’ESS revêt une dimension stratégique ?

Certainement. Il existe des secteurs où il faut bannir la lucrativité : celui des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, celui des crèches, le funéraire… Le sujet de l’exploitation de la vulnérabilité est fondamental et il n’est pas moral qu’on ait des acteurs qui cherchent à faire du profit sur cette vulnérabilité. Soit l’État se donne les moyens de vraiment contrôler, soit on fait en sorte que ces activités soient gérées par des acteurs non lucratifs.

Quelles sont les principales faiblesses de l’ESS ?

Nous devons apprendre à travailler plus ensemble, entre entreprises de l’ESS, notamment à l’échelle d’un territoire. C’est pour moi une clé fondamentale pour agir sur des sujets précis. Par ailleurs, les plus de 220 000 établissements employeurs de l’ESS – qui sont, pour la plupart, des associations – ont également du mal à se concevoir comme appartenant au monde de l’entreprise. Et à l’inverse, les entreprises conventionnelles ne nous comprennent pas toujours. Ces deux sphères s’ignorent un peu et c’est dommage. On a des choses à apprendre les uns des autres.

Sur quels chantiers travaillez‑vous plus précisément ?

Sur le sujet du développement économique. Car si l’ESS se développe en nombre, elle évolue peu en termes de production de valeur économique, même si elle compte de beaux fleurons. Nous ne sommes pas non plus au rendez-vous de la création d’entreprise, les projets se heurtant souvent à la période d’amorçage. Notre écosystème est trop faible pour l’accompagnement. C’est ce sur quoi je discute en ce moment avec Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des PME et de l’ESS.

Le financement est au coeur de vos échanges ?

Oui. Beaucoup d’argent est collecté en faveur de l’ESS, à travers différents dispositifs. Mais il ne redescend pas sur les projets, il est mal fléché. C’est ce que nous voulons faire évoluer. Dans quelques mois, j’espère donc aboutir à l’annonce d’un grand plan en faveur de l’ESS.


Propos recueillis par Sylvie Bollard.

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