Nos entreprises locales confrontées aux surtaxes Trump

par | 17 avril 2025

Après l’augmentation drastique des droits de douane annoncée par le président américain Donald Trump pour protéger la production intérieure de la concurrence étrangère, les entrepreneurs de Savoie Mont Blanc sont dans l’expectative…

L’administration Trump (qui ne fait qu’appliquer son programme promis dès 2023) envisage d’imposer à l’Europe des droits de douane additionnels de 20 % sur toutes les marchandises (déjà, les exportations d’acier et d’aluminium ont pris cher : +25 % depuis le 12 mars). De quoi inquiéter quelques entreprises en Pays de Savoie, bien que, globalement, l’onde de choc doive être de faible amplitude sur les deux départements.

La stratégie du fou ?

Le 9 avril, alors qu’entraient en vigueur de nouvelles surtaxes douanières, Donald Trump a annoncé une suspension de 90 jours pour certaines d’entre elles. Seuls les droits de douane surprises du 2 avril sont concernés, tandis que les hausses de 10 % sur tous les pays et les surtaxes de 145 % sur la Chine, 25 % sur l’acier et les voitures restent en place. Résultat : les États-Unis imposent plus de 25 % de droits moyens sur leurs importations. Plus de 70 pays, dont l’Union européenne, ont entamé des discussions pour limiter les dégâts.

Parallèlement, Washington poursuit un autre objectif : affaiblir le dollar pour réduire les déficits commerciaux. En quinze jours, la devise américaine a perdu 5 %, rendant les produits étrangers plus coûteux et les biens américains plus compétitifs. Si l’impact de cette politique commerciale agressive reste incertain à long terme, elle place pour l’instant les États-Unis en position de force, et pourrait même préparer l’économie du pays à un affrontement économique et militaire de grande ampleur avec la Chine.

8 % d’export vers les USA

En 2024, l’export vers les USA depuis la Haute-Savoie représentait un volume d’affaires de 469,2 M€ sur un total de 6 milliards d’euros* (Md€) pour l’ensemble des échanges internationaux : 80 % concernent l’Union européenne et 8 % l’Amérique. Le principal secteur concerné, en Haute-Savoie, par l’éventuelle surtaxe, est celui des produits chimiques, parfums et cosmétiques, dont les affaires avec l’Amérique se montent à 185,1 M€.

Pour la Savoie, les exportations vers les USA, en 2024, atteignaient 85,4 M€ sur un total de 2,5 Md€ d’échanges mondiaux, soit 8 %, son partenaire privilégié étant l’Allemagne. Au premier rang des transactions entre la Savoie et le marché américain, les métaux représentent 20,9 M€ (source : dir. régionale des Douanes).

« La Savoie compte des entreprises de sous-traitance dans l’aviation, notamment pour Boeing ou Airbus, relève Marc Beggiora, président de la CCI 73. Si elles exportent vers les États-Unis, il va falloir se poser des questions. Mais pour l’heure, nous sommes dans l’attentisme ».

L’automobile est particulièrement visée par l’administration Trump : 25 % de surtaxes sont appliquées depuis le 3 avril sur les importations de voitures. Les pièces automobiles (moteurs, systèmes de transmission, etc.) seront, quant à elles, concernées à partir du 3 mai. Pour Roger Pernat, président de Pernat Industrie [siège à Marignier (74) ; 120 M€ de CA en 2024, réalisés pour 85 % dans le secteur automobile ; 600 salariés], « c’est un nouveau un coup de poing dans la nuque ».

Le dirigeant explique : « Pour l’instant, c’est surtout Volkswagen qui se trouve dans la ligne de mire américaine. Renault n’est pas très affecté et Peugeot seulement à travers l’usine canadienne de Stellantis pour la marque Jeep. De fait, il y aura des effets indirects via les équipementiers. Tout le monde est sonné ».

Vers de nouvelles alliances ?

Même sentiment au Medef 74 : « Cette politique sera désastreuse pour la croissance mondiale… Les chaînes d’approvisionnement vont peut-être devoir se régionaliser, ce n’est pas plus mal. Cela illustre tout l’intérêt d’être souverain, au moins à l’échelle d’un continent, sur de grands sujets industriels », défend Xavier Deflache, le délégué général.

De nouvelles alliances sont à inventer, comme à Oyonnax (01), où un lunettier vient de signer avec un importateur américain une commande de 40 000 montures, livrées en pièces détachées par un fabricant chinois. « Après un travail d’ouvraison et de montage, la marchandise sera estampillée d’origine française, pour contourner les 104 % de taxes avec la Chine. Les entrepreneurs américains ont l’esprit pratique… L’Europe pourrait en tirer profit », tempère Bruno Rayne, à la direction régionale des Douanes, à Annecy.

Washington poursuit un autre objectif : affaiblir le dollar pour réduire les déficits commerciaux. En quinze jours, la devise américaine a perdu 5 %, rendant les produits étrangers plus coûteux et les biens américains plus compétitifs. Si l’impact de cette politique commerciale agressive reste incertain à long terme, elle place pour l’instant les États-Unis en position de force, et pourrait même préparer l’économie du pays à un affrontement économique et militaire de grande ampleur avec la Chine…

Viticulture : double peine pour Perrier

Gilles Perrier, à la tête des vins Jean Perrier et Fils en Savoie, réalise 10% de son chiffre d’affaires avec le Canada et les Etats-Unis.

L’industrie agroalimentaire des Savoie devrait faiblement subir la surtaxe Trump. Les exportations de la Haute-Savoie vers les USA se montent à 1 M€ pour les produits de ce secteur, et à peine plus pour la Savoie : 1,3 M€. À la loupe, toutefois, certaines enseignes locales devraient sentir la secousse, comme s’en inquiète Gilles Perrier (photo), président des vins Jean Perrier et fils (25 salariés permanents ; 6,5 M€ de CA), à Porte-de-Savoie (73).

« L’exportation représente 10 % de notre chiffre d’affaires : entre 200 000 et 300 000 bouteilles de vin chaque année. Notre plus gros marché, le Canada, arrive juste avant les États-Unis. Ces nouvelles mesures douanières vont forcément nous impacter car nos ventes en Amérique ont toujours été en progression. Malheureusement, avec les taxes Trump, nos clients prennent le temps de la réflexion avant de conclure. Certains devaient passer commande, mais ils attendent d’en savoir plus. Nous sommes confrontés à une double peine : les importateurs américains demandent que nous fassions l’effort d’une remise importante pour remédier à ces droits de douane. »

Gilles Perrier conclut : « Nous espérons toutefois que les pertes sur le marché américain seront en partie compensées par une hausse des ventes au Canada. »

Chimie : Baikowski investit encore

Leader sur le marché de la chimie de spécialités installé à Poisy, près d’Annecy, Baikowski réalise 96 % de son chiffre d’affaires à l’export, dont 61 % en Asie de l’Est et 23 % aux États-Unis, où elle possède un bureau commercial historique à Charlotte (Caroline du Nord) et une usine de production, depuis 2001, à Malakoff (Texas).

« Nous y fabriquons, essentiellement pour le marché nord-américain, des produits d’alumine de haute pureté dédiés aux industries de la tech, de l’aéronautique et de l’électronique », déclare Benoît Grenot. Et le directeur général de Baikowski de pointer « un marché stratégique qui pèse 11 M€ en 2024 ». Si les produits d’alumine, qui figurent sur la liste des matériaux critiques, sont actuellement exemptés des nouveaux droits de douane, l’entreprise haut-savoyarde préfère rester prudente.

« La situation peut changer demain matin », ajoute le dirigeant, qui se trouve justement aux États-Unis pour rencontrer ses clients. « Là-bas, tout le monde s’inquiète et ne parle que de ça. » Pour autant, Baikowski (47,7 M€ de CA, 220 salariés dont 130 à Poisy) entend poursuivre sa stratégie et ses investissements programmés outreAtlantique et en Asie.

Patricia Rey

Décolletage : Kartesis prône la résilience

Pour Kartesis, qui exporte depuis plus de trente ans, vers les États-Unis, des pièces usinées en acier qu’elle fabrique et assemble à Bonneville pour l’automobile (80 %), les camions et l’aéronautique, la nouvelle a fait l’effet d’un couperet. « Plus de 40 % de nos exportations sont fléchées vers le marché américain, soit l’équivalent de 25 M$ [22 M€] par an », rappelle Thierry Callendrier, directeur général de Kartesis France (CA de 40 M€, 220 salariés).

Et de poursuivre : « Si actuellement la hausse est contenue, rien ne nous dit que Trump en restera là après la pause des 90 jours. » Pour le patron, 10 % c’est déjà beaucoup, « car nous n’avons pas 10 % de marge ». « Les clients que nous fournissons en direct devront s’acquitter de la taxe, et il en va de même pour les autres pièces livrées sur notre site à Buffalo (New-York). » Toujours selon lui, « cette situation va engendrer mécaniquement une mobilisation plus importante de la trésorerie pour payer la taxe ».

Deuxième effet attendu : les clients de rang 1 vont vouloir négocier et partager le surcoût. Plus globalement, Kartesis craint un ralentissement du marché et une baisse des ventes. Pour l’heure, l’entreprise a décidé de ne plus prendre d’intérimaires. « Seule solution, dit le directeur : faire preuve de résilience et se battre pour prendre des marchés. »

Patricia Rey

Sneakers : Saola Shoes, ça passe ou ça casse

La marque annécienne de chaussures de sport écoconçues (2 M€ de CA, 6 salariés), qui réalise 50 % de ses affaires aux USA, a de quoi s’inquiéter. Car, en plus de l’augmentation des droits de douane américains, elle est aussi confrontée à celle appliquée au Vietnam (+46 %), où est réalisée sa fabrication. Guillaume Linossier (photo), son PDG fondateur, confie « attendre de voir ce qu’il va se passer, avant de négocier avec (ses) fournisseurs et revendeurs ».

À savoir : quelle sera la part prise en charge par chacun. « Mais si la taxe s’avère plus élevée, ça passe ou ça casse. » Car il sera alors impossible d’éviter une forte augmentation du prix au consommateur, avec le risque qu’il achète moins. Selon le dirigeant, les prix de ses sneakers pourraient augmenter de 20 à 30 %.

Et celui-ci d’ajouter : « Trump veut relocaliser la production, sauf que c’est impossible du jour au lendemain. Et dans certains secteurs, c’est quasi irréalisable, sauf à prévoir une explosion des prix. » Et c’est d’autant plus dommageable que Saola a enregistré un très bon début d’année sur les ventes en ligne aux États-Unis : +30 % par rapport à 2024. Mais depuis l’annonce de Trump, elles sont tombées à -20 %. Un frein de plus pour Guillaume Linossier qui, depuis la création de Saola, en 2018, a dû affronter plusieurs crises : “gilets jaunes”, covid, guerre en Ukraine… et Trump.

Patricia Rey


Leïla Oufkir et Patricia Rey


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