La 2e édition du forum “100 % mobilité Grand Genève”, qui vient de se tenir à Archparc, était dédiée aux navettes autonomes. L’occasion de faire un état de l’art sur cette solution qui veut disrupter la mobilité.
« Enlever le conducteur d’un véhicule, ce n’est pas une évolution, c’est une rupture », estimait Patrick Vautier, directeur “marketing et innovation” de RATP Dev, lors de la 2e édition du forum “100 % mobilité Grand Genève”, qui s’est tenue à ArchParc (74) le 17 septembre.
Cette manifestation, coorganisée avec la fondation suisse Nomads, s’est articulée autour de quatre tables rondes qui ont permis aux différents intervenants – constructeurs, exploitants, universitaires, usagers – de dresser un état des lieux des expérimentations en cours autour des navettes autonomes, et d’entrevoir ce que pourrait être leur apport dans la construction de la mobilité du futur. Tour d’horizon.
Pour quels usages ?
« La logique d’autonomisation de tous les modes de transport sera une des composantes de notre futur. L’enjeu est de s’y préparer en construisant des services adaptés pour les usagers. » Ce postulat formulé par Patrick Vautier était partagé par tous les intervenants, qui s’accordent sur l’idée que la navette autonome doit d’abord permettre d’augmenter la capillarité des réseaux de transport.
« Il faut expérimenter, non pas pour remplacer l’offre existante, mais pour proposer des prestations nouvelles, par exemple avec un service à la demande pour le premier et le dernier kilomètre », estime Anne Hornoug-Soukup, la présidente du conseil d’administration des Transports publics genevois (TPG). La mixité des services, par exemple en associant mobilité et transports de marchandises, sera aussi au coeur de la future équation.
32 Go : c’est la quantité de données générées par une navette autonome au cours d’un trajet de 7 minutes, d’après Benjamin Beaudet, directeur général de l’autocariste et voyagiste Bertolami.
La maturité technologique à affirmer
À écouter les intervenants se féliciter de la « prouesse technique » que constitue encore le fait d’arriver à paramétrer une navette autonome pour qu’elle traverse un pont, il paraît évident que le règne de la navette autonome n’est pas pour demain. « Il faut avoir des attentes réalistes par rapport aux capacités de la technologie actuelle », confirme Pierre Chehwan, vice-président aux relations institutionnelles du constructeur Navya.
« Avant de réfléchir aux usages futurs, il faut continuer à lever les freins d’acceptabilité, comme la question de la vitesse. » Les usagers présents ont confirmé que la solution expérimentée à ArchParc était encore trop lente (entre 10 et 14 km/h), sauf peut-être sur un site très congestionné.
Un modèle commercial en construction
« L’idée d’avoir un tram autonome qui circule au centre de Genève me donne des boutons, même à un horizon de dix ans », confesse Anne Hornoug-Soukup, en réponse à une question de la salle sur l’horizon d’un possible déploiement. Les frontaliers qui fantasmaient déjà d’échapper aux bouchons en s’engouffrant dans une navette autonome venue les chercher devant leur domicile devront donc prendre leur mal en patience.
« Sur des territoires plus petits où il n’existe rien, vous pouvez plus facilement investir dans l’innovation et arriver avec des solutions qui vont concerner deux ou trois véhicules. L’horizon de commercialisation est beaucoup plus proche », relativise Benjamin Beaudet, directeur général de Bertolami (130 salariés, 12 M€ de CA avant la Covid), autocariste et voyagiste drômois qui s’est lancé dans l’aventure des navettes autonomes en 2018. Il a notamment piloté une expérimentation à Val Thorens à l’hiver 2019. Un coup d’essai qui en appelle d’autres.
« Dans le cadre du plan de relance Montagne, la Région va mobiliser des moyens autour des mobilités durables, et notamment des navettes autonomes. Un travail en cours devrait ouvrir la voie à au moins trois nouvelles expérimentations. La navette autonome peut apporter une réponse aux stations qui ont besoin de repenser leur mobilité horizontale. »
Un cadre réglementaire en transition
« Il s’est passé un an entre le moment où nous avons décidé de lancer une expérimentation sur ArchParc et son début effectif. Il faut s’adresser à six ministères différents pour obtenir les autorisations. C’est très lourd », relate Philipp Dannecker, le directeur d’ArchParc à propos du projet Echosmile.
Heureusement, le cadre législatif et réglementaire du déploiement des véhicules et des systèmes de transport automatisés est en mutation depuis l’adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019, complétée par une ordonnance du 14 avril 2021 et un décret du 1er juillet 2021. À compter du 1er septembre 2022, l’autorité organisatrice des mobilités aura la possibilité d’autoriser des véhicules autonomes à circuler sur un parcours prédéterminé, sans phase d’expérimentation préalable.
La gestion des données en question
« Un trajet de sept minutes génère 32 Go de datas », relate Benjamin Beaudet. « C’est un véritable enjeu qui alimente le débat sur le bilan environnemental de la navette autonome. Mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit encore de véhicules expérimentaux. Il y a néanmoins une vrai sujet sur la question de la collecte et du management de la donnée. »
Au-delà des considérations écologiques, la question de la maîtrise des données risque d’être au coeur du futur modèle économique. Car ces navettes autonomes bardées de capteurs seront potentiellement une source de données précieuses dans la smart city de demain.
Matthieu Challier
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