Pour ou contre ? La Compagnie des Alpes fait débat…

par | 03 avril 2017

Pour Dominique Marcel (président de la Compagnie des Alpes) et Hervé Gaymard (président du Conseil Général de la Savoie), l’ouverture du capital de la CDA aux Chinois fait débat. Interviews.

« L’enjeu, ce sont les clientèles de demain », affirme Dominique Marcel qui négocie depuis un an l’ouverture du capital. Selon lui, c’est une nécessité pour se développer à l’international et réussir sa mutation en France.

« La Compagnie des Alpes doit rester française », rétorque Hervé Gaymard. Il détaille les raisons de son opposition au projet d’ouverture sans précautions du capital de la CDA à des investisseurs chinois.

Dominique Marcel : les positions évoluent

Dominique Marcel entend prendre le temps de la concertation… puis trancher : « Les discussions se poursuivent avec nos partenaires français comme étrangers, et les positions évoluent. Les maires de nos stations comprennent l’intérêt pour la Compagnie des Alpes de s’ouvrir à l’international. Nous avons également profité de notre voyage en Chine, le mois dernier, pour nous entretenir avec Laurent Wauquiez. Cela a été pour beaucoup l’occasion de prendre conscience du formidable potentiel que représente le marché chinois. Mais si je préfère prendre le temps de la concertation pour apaiser certaines inquiétudes, je me dois aussi de rappeler que nous ne pouvons prendre le risque de perdre trop de temps. Nos concurrents anglo-saxons notamment, avancent leurs pions, aussi bien en Europe que sur d’autres continents et, bien sûr, en Chine. Le sujet, c’est bien un mouvement de consolidation des acteurs au niveau mondial. »

« LA CAISSE DES DÉPÔTS RESTERA EN TOUTE HYPOTHÈSE UN PARTENAIRE TRÈS IMPORTANT, IL N’Y A AUCUN DOUTE LÀ-DESSUS.”
Dominique Marcel, Président de la Compagnie des Alpes

Hervé Gaymard : rester maître chez soi

Pour Hervé Gaymard, « il faut un pacte entre les actionnaires français pour garantir la présence en actionnaire de référence de la Caisse des Dépôts. Des investisseurs chinois n’entreraient pas au capital de la CdA pour y faire de la figuration. Croyez-moi, dans cinq ans, en l’absence d’un tel pacte, ils la contrôleraient, compte tenu de leur force de frappe financière. Il faut rester, aujourd’hui et demain, maître chez soi. D’autant plus que les sociétés de remontées mécaniques sont liées aux communes par des délégations de service public. Nous ne sommes pas dans la fabrication de biens de consommation, mais dans de l’aménagement du territoire. L’intérêt général doit primer. C’est ma mission d’élu de la République de le défendre ».

« QU’ON NE ME DISE PAS QUE L’OUVERTURE SYSTÉMATIQUE DES CAPITAUX EST LE SEUL MODÈLE VALABLE. »
Hervé Gaymard, Président du Conseil général de Savoie

Interview de Dominique Marcel, président de la Compagnie Des Alpes (CDA)

Dominique Marcel. Crédit : © Frédéric Stucin.

Il est indispensable d’ouvrir votre capital ?

Les nouveaux actionnaires nous permettrons d’être plus efficaces. Pour que la Compagnie des Alpes conserve sa place de leader mondial, elle doit se positionner à l’international. En Chine, mais pas uniquement. Nous avons également des opportunités en Europe. Voilà pourquoi nous cherchons des investisseurs, notamment chinois. Fosun est en effet très intéressé. Son entrée au Club Med montre qu’il serait un bon partenaire. Contrairement à ce que certains pouvaient craindre, non seulement les investissements ne se sont pas taris en Europe, mais ils se sont intensifiés. Oui, Fosun nous ouvrirait des portes en Chine, mais il nous aiderait aussi dans d’autres parties du monde, et son expertise serait précieuse sur certains métiers, comme le tour operating, l’hébergement ou le digital. Notre partenariat n’est pas uniquement financier, loin s’en faut !

Vous disposez pourtant d’un actionnariat solide…

La Caisse des Dépôts nous apporte la valeur – ô combien importante – du long terme, sa solidité, et son ancrage dans les territoires, qui nous sont indispensables. Nous voulons garder tout cela, mais nous cherchons d’autres actionnaires pour nous apporter plus de dynamisme entrepreneurial, et plus d’ouverture à l’international. Je souhaite allier dans notre entreprise le meilleur de ces deux univers.

Certains craignent que l’arrivée d’investisseurs étrangers entraîne à plus ou moins long terme un glissement des centres de décision, une dilution de l’identité de l’entreprise…

Ces craintes n’ont pas lieu d’être. Que je sache, nos actifs ne sont pas délocalisables : les stations de Tarentaise ne vont pas se transporter en Chine et notre savoir-faire ne se transfère pas comme de la technologie. S’agissant des investissements, je rappelle que nous travaillons dans le cadre de délégations de service public : ce sont bien les élus qui fixent des règles du jeu que nous nous devons de respecter. Pour notre part, nous avons fixé un cahier des charges précis à nos futurs partenaires. La Caisse des dépôts restera un actionnaire stratégique. Nous poursuivrons notre stratégie actuelle, avec nos deux métiers : les domaines skiables d’un côté, les parcs d’attraction de l’autre. Enfin, nous poursuivrons et accélérerons nos investissements. Depuis 2009, notre effort s’est déjà accru de 50 % dans les domaines skiables. D’ailleurs, nos actionnaires n’ont absolument aucun intérêt à réduire les investissements dans ces véritables pépites que sont nos stations françaises. Continuer à y investir est à l’évidence la meilleure manière de valoriser nos sites et donc leur capital. Enfin, je le redis très fermement, la Caisse des dépôts restera en toute hypothèse un partenaire très important, il n’y a aucun doute là-dessus.

L’objectif est pourtant bien de se développer à l’international ?

Gardons-nous d’opposer local et international. Le véritable enjeu est de faire venir des nouvelles clientèles étrangères dans nos stations et cela prendra du temps. Plus que de voir de nouveaux acteurs s’installer dans nos stations, le véritable danger est de voir nos clients étrangers être attirés par d’autres destinations. Il nous faut également capter de nouvelles clientèles, en Chine certes mais aussi en France et en Europe !

Pensez-vous apaiser toutes les craintes ?

C’est vraiment mon souhait, même si on ne peut pas toujours être d’accord sur tout. Je veux prendre le temps d’expliquer la logique de notre stratégie et de réduire le plus possible les inquiétudes, mais nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer. C’est à nos actionnaires, et en premier chef, la Caisse des Dépôts, qu’il revient de décider.

« FOSUN NOUS OUVRIRAIT DES PORTES EN CHINE, MAIS AUSSI DANS D’AUTRES PARTIES DU MONDE, ET SON EXPERTISE SERAIT PRÉCIEUSE SUR CERTAINS MÉTIERS. »
Dominique Marcel

Interview de Hervé Gaymard, président du Conseil Général de Savoie

Hervé Gaymard. Crédit photo : © Altimax.

Vous combattez depuis un an le projet d’ouverture du capital de la Compagnie des Alpes (CdA). Pourquoi ?

Tout simplement parce que rien ne le justifie. C’est une entreprise florissante qui n’a pas besoin d’augmenter son capital. Ma ligne de conduite est de tout faire pour que les centres de décision, dans une économie mondialisée, demeurent en France et si possible en Savoie ! Aujourd’hui, l’équilibre entre la Caisse des Dépôts, les banques régionales et les investisseurs privés n’entrave pas le développement de la CdA, que je sache ! J’ai été durablement marqué par la triste aventure de Pechiney. Pour que les générations futures puissent continuer à vivre et travailler au pays, il vaut mieux décider ici, non ? Comme la Caisse des Dépôts est sous la “surveillance” du Parlement, il m’a semblé de mon devoir de tirer le signal d’alarme par deux questions à l’Assemblée Nationale.

Que pensez-vous de la Compagnie des Alpes ?

C’est une très belle entreprise, qui emploie des professionnels de grande qualité, dont chaque filiale a sa propre culture qu’il faut préserver. N’oublions jamais que le coeur du réacteur, ce sont les stations savoyardes !

Que lui reprochez-vous, alors ?

Je déplore son entrée en bourse en 1994, que rien ne justifiait. Depuis, elle a mis le “doigt dans l’engrenage”. Une croissance externe par des acquisitions souvent hasardeuses, notamment à l’étranger, sur lesquelles elle a dû revenir, ou trop coûteuses, comme Val d’Isère. Une diversification dans les parcs de loisirs, financée par les stations savoyardes. Des redevances de management, qui auraient pu être réinvesties sur place. L’entreprise n’avait aucune raison de le faire. Mais surtout, je ne comprends pas que cette entrée en bourse n’ait pas été accompagnée de garanties sur la stabilité du capital. En 2002, nous avons été choqués d’apprendre – par la bande, entre l’élection présidentielle et les législatives ! – que la CdA avait conclu un pacte d’actionnaires avec Promodes (groupe Carrefour). J’avais convaincu mon collègue Francis Mer, ministre de l’Économie, que la Caisse des Dépôts reste l’actionnaire de référence, à hauteur de 40 %, afin d’éviter que l’entreprise ne passe sous contrôle de Carrefour. À la lumière de cette expérience, comprenez ma vigilance !

Le projet actuel d’association avec un investisseur chinois est au moins public et discuté. Que lui reprochez-vous ?

Il est public parce que j’ai mis les pieds dans le plat ! Car je pense qu’il faut que ce débat ait lieu. Ma différence de fond avec la direction de la CdA, est qu’elle veut un pacte d’actionnaires avec l’investisseur chinois, alors que je pense qu’il faut un pacte d’actionnaires entre la Caisse des Dépôts et les investisseurs régionaux et français, avant d’ouvrir le capital à d’autres investisseurs, qu’ils soient chinois ou non.

La Compagnie des Alpes peut-elle passer à côté du formidable marché chinois ouvert à l’occasion des Jeux Olympiques ?

Pour le capter, la prise de participation semble un passage obligé… C’est complètement faux. Cet argument est fait pour impressionner, mais il est factice. Regardons nos concurrents : dans les Dolomites, en Suisse, en Autriche, les sociétés de remontées mécaniques appartiennent à des investisseurs locaux et régionaux, le plus souvent privés et de dimension moyenne, ce qui n’empêche pas les stations d’être performantes et d’attirer une clientèle internationale ! Qu’on ne me dise pas que l’ouverture systématique des capitaux est le seul modèle valable. L’Allemagne nous offre l’exemple inverse : c’est le plus gros partenaire commercial de la Chine, et pourtant leurs entreprises restent majoritairement ou exclusivement détenues par des capitaux allemands ! Que la CdA veuille opérer en Chine, compte tenu de son excellence, c’est formidable. Que les investisseurs chinois souhaitent prendre une participation dans la CdA, pourquoi pas, mais à nos conditions. Nos amis chinois connaissent très bien le rapport de force, ne soyons pas naïfs ! Pour être respectés, il ne faut pas tout accepter.

« QUE LES INVESTISSEURS CHINOIS SOUHAITENT PRENDRE UNE PARTICIPATION DANS LA CDA, POURQUOI PAS, MAIS À NOS CONDITIONS. »
Hervé Gaymard


Propos recueillis par Philippe Claret

Dominique Marcel, à gauche, président de la CDA. Hervé Gaymard, à droite, président du Conseil Général de la Savoie.

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