Les entreprises n’hésitent pas à jouer sur les rémunérations pour rester attractives. Au risque d’entretenir la spirale inflationniste, peut-être, mais il est difficile de faire autrement. Et de toute façon, cela ne saurait suffire à rendre les embauches plus faciles.
Les salaires ont augmenté de 5,49 % en moyenne en France, et de 5,92 % en Auvergne-Rhône-Alpes, entre décembre 2021 et janvier 2023, dans les TPE-PME, selon une étude du Cercle Perspective, groupe de réflexion qui rassemble les dix-neuf cabinets d’expertise comptable les plus importants de l’Hexagone. Une évolution plus rapide que l’inflation, établie à 5,2 % pour 2022.
« Les secteurs confrontés aux plus grandes difficultés de recrutement ont consenti à davantage d’efforts, pour attirer ou conserver leurs collaborateurs. C’est le cas, par exemple, du transport (+7,17 %) ou de l’hôtellerie-restauration (+6,35 %) », révèle encore l’étude, qui s’appuie sur l’analyse des rémunérations de 384 928 salariés.
« Tous les métiers sont en tension »
Les entreprises n’hésitent donc pas à payer mieux pour rester attractives. Et, eu égard aux difficultés de recrutement, la tendance semble bien partie pour durer. « Il n’y a plus de métiers en tension, aujourd’hui, dans le sens où ils le sont tous. Toutes les entreprises ont du mal à trouver les compétences dont elles ont besoin », observe Jean-Luc Raunicher, président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes. Une région d’autant plus concernée qu’elle est plus dynamique.

« En 2019, 3,3 millions de personnes sont en emploi en Auvergne-Rhône- Alpes, soit 12 % de l’emploi de la France métropolitaine. D’ici 2030, les besoins de recrutement cumulés sur la période de projection devraient atteindre 34 % de l’emploi de 2019, une proportion supérieure de deux points à la moyenne métropolitaine », constate la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), dans une étude publiée en janvier sur les métiers en 2030.
Un exercice de prospective qui essaye « de confronter le futur besoin en main-d’oeuvre avec les choix de formation des jeunes et d’évaluer les tensions qui peuvent en naître si on ne fait rien », explique Dorian Roucher, sous-directeur “emploi et marché du travail” de la Dares. Et de citer l’exemple du BTP, un secteur où les tensions déjà présentes vont être exacerbées par les difficultés pour y orienter des jeunes, « alors que les emplois s’inscriront à la hausse, notamment pour faire face aux besoins en rénovation ».
« L’industrie n’attire pas »
Si certains besoins progressent partout, comme dans les métiers de l’aide à la personne et du soin – avec le vieillissement de la population –, Auvergne-Rhône- Alpes a ses spécificités. Ici, l’emploi des personnels d’études et de recherche, de cadres commerciaux et de techniciens de l’industrie est plus important que la moyenne. Mais pour être surreprésentés, ces métiers ne sont pas pour autant surnuméraires.
« Comme l’industrie n’attire pas suffisamment les jeunes, les tensions pourraient même augmenter avec les besoins générés, par exemple, par la transition environnementale », estime Dorian Roucher. Des tensions qui s’expliquent moins par les salaires que par d’autres facteurs.
« Les indicateurs de Pôle emploi publiés chaque année sur ce thème révèlent toujours les mêmes origines : le manque de formation, des conditions de travail qui justifient un désamour du public pour le métier concerné, et des problèmes géographiques », note le sous-directeur de la Dares.

« Les métiers tendus se partagent en deux grandes familles. D’abord, on a ceux qui souffrent clairement d’un manque de places en formation, comme dans l’informatique. La réponse, ici, sera d’ouvrir davantage de cursus. Avec, en plus, un enjeu de féminisation du secteur. À l’opposé, on a des secteurs comme l’aide à domicile qui voit de nombreux départs en retraite et qui n’attire pas du tout les jeunes, au regard de conditions de travail dégradées, entre fractionnement, utilisation du véhicule personnel, employeurs multiples, etc. Et on a des métiers qui cumulent déficit de formation et faible attractivité : aide-soignant, par exemple. »
Les contraintes pas assez valorisées
Mauvaises conditions de travail et mauvais salaires vont de pair, de surcroît. « L’une de nos études a montré que les compensations salariales eu égard aux conditions d’emploi sont assez faibles. On peut citer le travail du dimanche, imposé dans quelques métiers, mais pas tellement valorisé au-delà de ce qu’impose la loi. C’est même pire lorsque l’on travaille le samedi. Cette contrainte-là est très peu valorisée », se souvient Dorian Roucher.
Pour rendre leurs offres attractives, les employeurs ne peuvent donc pas se contenter du levier des rémunérations. « Il faut repenser non seulement les salaires, mais les conditions du travail, sa raison d’être, les valeurs défendues… Les attentes d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier. La question de la possibilité du télétravail nous est souvent posée, ce qui n’existait pas il y a quelques années », reconnaît Jean-Luc Raunicher.
« Certains secteurs d’activité, mal perçus d’un point de vue environnemental, ont particulièrement du mal à recruter des jeunes. Ces derniers ont sans doute raison d’être vigilants, mais attention à ne pas être caricaturaux. Car les entreprises sont décidées à agir. C’est d’elles que viendra la transition écologique. »
La question du télétravail
Toute la difficulté des entreprises sera de répondre aux attentes des nouvelles recrues, sans créer d’iniquités vis-à-vis des équipes déjà en place. « À chacun de regarder son mode de vie et de trouver l’emploi qui lui correspond. Certains sont demandeurs de travailler le samedi ou le dimanche », considère Jean- Luc Raunicher sur la question de la pénibilité. « Le télétravail peut être une condition posée par les jeunes, mais elle n’est pas toujours appropriée. Quand, sur un site, des ouvriers et des techniciens sont obligés d’être présents, c’est délicat d’autoriser les personnels de bureau à travailler depuis chez eux.

En revanche, dans les métiers de production, on peut envisager une organisation du travail sur quatre jours. Nombre d’entreprises tertiaires l’ont adoptée elles aussi, sans pertes de productivité, outre la généralisation du télétravail observée dans la période post-covid. » Le risque de créer des iniquités est encore plus sensible, lorsqu’il s’agit des rémunérations.
« Le sentiment de justice est le principal pilier de l’engagement », a alerté Philippe Van Den Bulke, lors de l’assemblée générale du Medef de l’Ain, le 12 mai. Médecin et anthropologue, auteur de plusieurs ouvrages sur le management et le changement, il était invité à intervenir sur “le travail au XXIe siècle”. Il a mis les pieds dans le plat : « Aucune étude au monde ne prouve que la rémunération individuelle améliore la performance. En revanche, aujourd’hui, les salariés n’hésitent plus à parler de leur paye. Si la nouvelle recrue touche plus que celui qui la forme, pourquoi ce dernier s’engagerait-il ? »
Alors, avoir une politique salariale, pourquoi pas, mais l’essentiel sera qu’elle soit claire et cohérente. « Ce n’est pas que ça ne joue pas. Ce n’est pas l’élément déterminant », considère le spécialiste. Et celui-ci de renvoyer aux discours de fin d’études de SupAgro qui, en mai 2022, avaient défrayé la chronique, de nombreux élèves dénonçant « des métiers destructeurs » parmi les voies toutes tracées pour eux.
Les employeurs s’adaptent
D’après le Medef Auvergne- Rhône-Alpes, les entreprises sont bien conscientes des profondes mutations qui traversent nos sociétés. De la vague numérique, qui s’est renforcée pendant la pandémie, à la transition environnementale, tout contribue à faire évoluer le cadre de travail, à transformer les métiers et les attentes des salariés. Elles s’y adaptent autant que possible.
D’ailleurs, les enquêtes sur les réactions des employeurs face aux difficultés de recrutement, régulièrement conduites par la Dares jusqu’à mi-2022, montrent qu’il n’y a pas de réponse univoque. Le levier d’une organisation du travail plus proche des exigences des salariés a été aussi souvent activé que celui des salaires.
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Dossier réalisé par Sébastien Jacquart
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