Les marques s’engagent et les initiatives se multiplient pour créer des produits et procédés écoresponsables. Petit tour d’horizon.
À l’heure où l’industrie textile est trop souvent pointée du doigt – elle est la deuxième la plus polluante au monde, à l’origine de 10 % des gaz à effet de serre et de 20 % des eaux usées –, la filière semble se remettre en cause. Dans le seul secteur du sport, l’enjeu écologique est un véritable défi, si l’on considère le nombre important de substances chimiques et synthétiques présents dans les vêtements. En Pays de Savoie, épicentre de l’outdoor, des marques repensent leurs produits “durablement”. Des alternatives sont aussi proposées pour protéger les ressources de la planète.
Pour Benjamin Marias, fondateur et dirigeant d’Air Coop, spécialiste de l’innovation responsable, « ces entreprises sont à saluer pour leurs initiatives. Mais cela ne suffit pas », déclarait-il lors de l’Outdoor Expert Forum, organisé en novembre dernier sur ce thème. Selon ce chantre du développement durable, le futur doit être coopératif ou ne sera pas. Il prône un changement radical du modèle d’affaires basé sur la consommation. Comment ? En vendant moins et en consommant moins… À méditer.
Qualité et durabilité

S’il fallait identifier un précurseur visionnaire, ce serait sans doute la marque californienne Patagonia, créée par Yvon Chouinard en 1973. Rappelez-vous, la première polaire conçue en polyester recyclé en 1993, c’est elle. Depuis, son engagement militant pour les produits écoresponsables et la préservation de la planète n’a pas faibli. D’autres marques lui ont emboité le pas. En tête, Lafuma qui en a fait son cheval de bataille dans les années 1990. Convaincue qu’il ne peut y avoir d’écoconception sans prise en compte de toutes les étapes de fabrication, elle a mis en place son propre référentiel Low Impact. Label étendu ensuite aux autres marques de Millet Mountain Group (MMG), Millet et Eider. Il s’applique à tout produit constitué à 40 % minimum de matériaux ecofriendly (recyclés, biologiques, bio-sourcés…) ou à 80 % de matériaux certifiés Bluesign.
En 2020, MMG monte en puissance et affichera 90 % de produits Low Impact, 100 % PFC free… contre 55 % en 2017. Les nouveaux textiles et équipements de Lafuma seront, dès cet été, 100 % écoconçus. Les premières chaussures aussi, avec le modèle Leaf (photo) arborant une semelle extérieure en caoutchouc et un tricotage 3D. Millet, elle, met l’accent sur l’isolation écoresponsable. Autre levier important de l’éco-conception, la qualité et la durabilité des produits. À date, 65 % de ceux-ci sont reconduits. « Un produit bien conçu pour un usage donné n’a pas besoin d’être renouvelé si cela n’est pas nécessaire », assure Frédéric Ducruet, pdg de MMG, qui consacre 6 % de son chiffre d’affaires annuel (101,4 millions en 2018) à la R&D. Engagé, le groupe l’est aussi en faveur de l’environnement, « gage de l’avenir de nos marques », insiste le dirigeant.
Comme son nom l’indique, Picture Organic Clothing a érigé l’écoconception en diktat, dès sa création (ou presque) en 2008. La petite start-up devenue grande, dont le siège est à Clermont- Ferrand mais le design et le showroom à Annecy-le-Vieux, « mise sur un développement durable qui parle aux générations futures », explique Florent Palluel, son responsable développement durable et transparence. Très engagée sur la matière (du polyester recyclé et du coton bio principalement), elle a conscience de la nécessité « d’avoir une vision globale et de penser entreprise en intégrant les transports, le marketing… Nous voulons entamer une transition énergétique avec nos fournisseurs et la supply chain. » Picture, qui vient d’être certifiée B Corp (la plus exigeante), réfléchit à démocratiser l’achat responsable et à louer ses produits, dont la production est limitée à deux collections par an, dans un principe de durabilité.

Le business de l’écologie
De nouvelles start-up surfent aussi sur la vague du développement durable. Lancée en 2018 à Annecy, Saola produit des chaussures lifestyle écoconçues à partir d’algues et de bouteilles plastiques recyclées. Ce printemps, 20 000 paires seront produites au Vietnam, où la marque s’approvisionne en matériaux recyclés et recyclables. « Actuellement, nous testons de nouvelles matières à partir de feuilles de bananiers et de lait d’hévéa, et devrions collaborer avec un fabricant de plastiques recyclés issus du ramassage dans les océans », explique Guillaume Linossier, son dirigeant-fondateur.
Tout comme elle, Lagoped a pris son envol à Passy. La marque, créée par Christophe Cordonnier, propose une collection courte écolo : pantalon/veste homme et femme déclinés en six coloris, mais aussi sweatshirts, tee-shirts et bientôt des doudounes. Les matériaux utilisés sont le polyester, le coton, la laine et la ouate recyclés sourcés en Europe, et les produits sont fabriqués en Italie, en Pologne et au Portugal. Lagoped, qui équipe désormais les bureaux des guides de Tignes, Val d’Isère et Grenoble et des écoles de ski indépendantes, enregistre un chiffre d’affaires de 200 000 euros en année 1 et prévoit d’autres développements.
Les initiatives se multiplient… À l’instar de Natural Peak, marque de sous-vêtements et textiles techniques née dans les Aravis qui emploie les fibres végétales à base de cellulose, issues de la pulpe de bois. Fabriquées en Autriche, elles sont tissées, tricotées et en partie assemblées en Turquie. « Cette matière thermorégulatrice, biodégradable à 90 % et douce au toucher convient aux sports outdoor », explique Emmanuel Schiltz, son créateur, qui ambitionne de rapatrier la production en France.
Salomon aussi “verdit”. Le fabricant, via son programme Play Minded, innove avec son concept de chaussure de running en polyuréthane thermoplastique (TPU) recyclable en coque de chaussure de ski (photos ci-contre). Mobilisé, il s’est engagé à éliminer les composés perfluorés (PFC) de ses produits d’ici 2023, à recycler ou réutiliser 70 % des déchets de matériaux d’ici 2015, et plus important à réduire de 30 % ses émissions totales de carbone d’ici 2030.
Vers un futur coopératif ?
Consciente que l’écologie n’est plus une option mais un prérequis, Outdoor Sports Valley (OSV) veut faire du développement durable une philosophie qu’elle compte insuffler à l’avenir dans chacun de ses actes. Outre la réalisation de son bilan carbone (en cours) pour mener des actions plus vertueuses, et montrer l’exemple, « l’association entend être force de proposition pour ses 460 adhérents », précise Boris Fournier, son responsable développement durable. Sur fond de loi anti-gaspillage, mesures qui inciteront les marques et fabricants à s’engager dans une démarche d’économie circulaire dès 2022.

Déjà, une base de données répertoriant 60 confectionneurs de textile technique européens a été créée pour encourager les fabricants à produire au plus près du consommateur. Et un atelier de réparation, Green Wolf, désormais installé à Servoz, redonne une seconde vie aux produits. En 2019, 3 100 réparations ont été effectuées pour le compte de 18 marques (Picture, Rossignol, Patagonia…).
Plus innovant encore, une usine de recyclage chimique du polyester devrait voir le jour dans la plaine de l’Ain en 2021, à l’initiative du japonais Jeplan, avec le support de Picture et du pôle Techtera. Pour Benjamin Marias, fondateur et dirigeant d’Air Coop, spécialiste de l’innovation responsable, « ces entreprises sont à saluer pour leurs initiatives. Mais cela ne suffit pas », déclarait-il lors de l’Outdoor Expert Forum, organisé en novembre dernier sur ce thème. Selon ce chantre du développement durable, le futur doit être coopératif ou ne sera pas. Il prône un changement radical du modèle d’affaires basé sur la consommation. Comment ? En vendant moins et en consommant moins… À méditer.

Par Patricia Rey
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