Associations environnementales : la transition verte

par | 02 avril 2021

Plus écoutés et respectés que par le passé, les mouvements écologistes cherchent à mieux contribuer aux projets d’urbanisme pour ne plus toujours s’opposer. Avec succès ou non.

« Lorsque nous avons évoqué le vélo en 2016 comme mode de déplacement, des élus ont ri car ils ne l’assimilaient qu’aux loisirs et au sport… On parle du plan Vélo à Annecy aujourd’hui », sourit Anne Lassman-Trappier, présidente de France Nature Environnement (FNE) Haute- Savoie, qui cite aussi le plan de protection de l’atmosphère de la vallée de l’Arve pour lequel les associations sont mieux écoutées. Le réchauffement climatique et le soutien du grand public ont renforcé la voix de FNE, LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), Mountain Wilderness… auprès des autorités.

« Le volet économique n’est plus autant l’alpha et l’omega », constate Jean- Pierre Crouzat, vice-président de FNE Auvergne-Rhône- Alpes (Aura). Un changement d’époque ressenti par l’ancien élu annécien Thierry Billet, qui défendait il y a plus de vingt ans, en tant qu’avocat, les associations opposées au projet d’A41 Nord entre Annecy et Genève : « Nous proposions une vraie liaison ferroviaire mais, à l’époque, l’autoroute – pourtant la plus onéreuse de France au kilomètre – était perçue comme la seule alternative par les politiques de Haute-Savoie. Les actions au tribunal administratif puis au conseil d’État ont été vaines. »

Une autre époque. Aujourd’hui, les Suisses, qui cherchent à réduire le flux de voitures entrant dans Genève, s’y opposeraient, d’autant plus depuis le Léman Express.

« Pour que les dossiers avancent plus vite, on dessaisit la société civile d’un droit d’accompagnement de projets »

Jean-Pierre Crouzat, FNE

Éviter le « pas dans mon jardin ! »

Ces militants écologistes sont désormais attendus sur plusieurs niveaux : premièrement sur le devoir d’alerte, comme le collectif Grenelle des transports et de la qualité de l’air regroupant treize associations pour s’opposer au tunnel routier sous le Semnoz, finalement abandonné.

Deuxièmement sur l’expertise : les analyses et points de vue doivent s’additionner à ceux des conservatoires d’espaces naturels, par exemple, qui alimentent les collectivités à la recherche de données et inventaires de zones humides.

Troisièmement sur la possibilité de recours juridique lorsque le porteur de projet ignore la concertation et les avertissements. Des collectifs locaux s’opposent à des aménagements dans les Aravis, en Tarentaise ou en Maurienne et s’associent donc aux associations environnementales qui peuvent multiplier les recours, comme dans le projet d’urbanisation de Bonneval-sur-Arc qui prévoyait la construction d’un nouvel ensemble immobilier de 1 500 lits.

Les mouvements écologistes cherchent quand même à parfaire leur méthodologie pour éviter d’être utilisés par des habitants pressés de repousser les projets gênants sur les territoires voisins – le fameux syndrôme du NIMBY (“Not in my backyard” : « Pas dans mon jardin »).

La société Trigenium qui récupère des déchets a été poursuivie (et condamnée) devant le tribunal correctionnel par FNE et la ville d’Annecy pour pollution.

Fortes résistances malgré tout

Dans les stations où les équipements et infrastructures peuvent être cruciaux pour attirer les touristes, leur entrain peut aussi laisser certains élus dubitatifs. « Des associations ont avant tout la culture des diktats et de la défense des intérêts personnels », peste Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais, remonté contre FNE qui a attaqué le plan local d’urbanisme (PLU) pour « sauver trois zones humides » de projets de construction et qui s’oppose à la route forestière du Chatelard au col de Voza, malgré des études d’experts de l’ONF et de l’Inrae.

Mais ce ne sont pas les batailles frontales qui effraient les associations, plutôt les contournements pernicieux, comme les volontés de simplification de l’État. « Pour que les dossiers avancent plus vite, on dessaisit la société civile non d’un droit de regard mais d’un droit d’accompagnement de projets.

Ainsi, si le chantier “Boucle d’eau” pour installer un système de géothermie avec les eaux du lac d’Annecy a récemment détruit un herbier vital, c’est parce que nous avons juste été informés et non associés en amont », déplore Jean-Pierre Crouzat ; lequel craint aussi « les élus adeptes des pseudo procédures de concertations alors que les décisions sont déjà prises ». Un combat d’arrière-garde pour Pierre Vollaire, vice-président de l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM), qui recherche « le consensus avec des partenaires comme Mountain Riders ou Mountain Wilderness pour multiplier les pratiques durables en termes de gestion énergétique ou de l’eau ».

Cet entre-deux politique se retrouve dans les plaines, comme en témoigne Jean- Pierre Crouzat. « L’ancien exécutif du bassin annécien pouvait tenter de passer en force, comme pour le centre des congrès sur la presqu’île d’Albigny, que trois associations – Les Amis de la Terre, Lac d’Annecy Environnement et FNE – ont stoppé après dix ans de procédure visant à prouver que la loi Littoral était bafouée. Désormais, certains élus semblent vouloir favoriser la démocratie participative. Mais la méfiance est encore de mise, à l’exemple du grand projet de mobilité. Le Grand Annecy a refusé de nous faire suivre des études. »

Futurs partenaires constructifs ?

Face à l’urgence climatique, des mouvements se radicalisent, comme Extinction Rebellion (cf. notre dernier article). Et la ZAD de la colline du Mormont, squattée par des militants opposés à l’extension d’une carrière de Lafarge-Holcim à Éclépens, en Suisse, montre que la désobéissance civile dure est aussi présente chez nos voisins.

Mais ceux qui optent pour l’expertise et les contre-propositions pour des activités et projets plus résilients, s’imposent dans le paysage et peuvent faire en sorte que le Club Med ne s’installe ni au Grand-Bornand ni à La Clusaz. Jean-Pierre Crouzat évoque le travail de fond réalisé par les associations sur les corridors naturels pour la faune : trames vertes végétales, trames bleues aquatiques et maintenant noires pour éviter l’éclairage permanent des LED. Autant de documentations et cartographies à prendre en compte dans de futurs projets.

« Nous devons conditionner et bonifier nos aides à des collectivités qui ont des projets vertueux. Et ces associations, aux temporalités différentes des élus, peuvent nous aider à poser les enjeux au bon endroit », résume Fabienne Grebert, candidate écologiste aux élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes.

« Ces associations, aux temporalités différentes des élus, peuvent nous aider à poser les enjeux au bon endroit »

Fabienne Grebert, candidate écologiste aux Régionales

Remous dans les Aravis

La révision du schéma de cohérence territoriale (SCoT) a fait grincer des dents dans le massif des Aravis. Il était question de créer huit unités touristiques nouvelles, et notamment deux résidences de grande dimension (de type Club Med), avec nouvelles pistes et remontées dans des zones vierges. Dans l’enquête publique menée fin 2019, les citoyens se sont exprimés en masse (2 800 contributions). Le Collectif Fier-Aravis a fait salle comble à Thônes. Dix mois plus tard : bilan mitigé. L’avis du commissaire-enquêteur est favorable, mais la communauté de communes a abandonné des chantiers : les deux projets de villages de vacances aux Chenons (La Clusaz) et à la Joyère (Le Grand-Bornand), et l’aménagement de la combe de la Creuse à La Clusaz. Mais certains projets sont maintenus, comme la liaison interstations par la montagne du Danay… La liaison La Clusaz-Manigod par la Coverie sera à réinterroger.

Une multiplication d’affaires d’eau

En ce moment, une pétition en ligne (sur change.org) a déjà réuni 2 400 signatures en quelques jours contre la retenue collinaire de Beauregard à La Clusaz : un projet de réserve d’eau de 150 000 mètres cubes sur le plateau de Beauregard que conteste l’association La Nouvelle Montagne parce que « ce projet, dont l’objectif essentiel est de produire de la neige artificielle, va ravager le bois de la Colombière et mettre en danger l’équilibre hydrologique du coin ».

Mêmes causes et conséquences à La Féclaz sur la commune des Déserts, dans le massif des Bauges, où la future retenue d’eau pour canons à neige suscite l’ire des Amis de la Terre en Savoie. « Bien souvent, les associations doivent combattre la fuite en avant et la multiplication de nouveaux équipements, notamment les retenues collinaires qui servent à fabriquer de la neige artificielle pour tenir encore vingt ou trente ans… », déplore Anne Lassman- Trappier, présidente de France Nature Environnement (FNE) Haute-Savoie.

Le plateau de Beauregard, à La Clusaz.

En montagne, les associations doivent en ce moment marcher sur des oeufs avec ceux qui travaillent en station. Mais comme avec ceux qui pratiquent la monoculture dans l’agriculture, elles voudraient les aider à accomplir une transition dans le temps vers des activités plus résilientes et moins dépendantes des conditions climatiques, et ne pas tout faire pour maintenir le statu quo. En tout cas, le risque de pénurie d’eau ultérieur est un argument de poids dans de nombreuses affaires.

À Saint- Genis-Pouilly, dans le Pays de Gex, les opposants au projet du futur centre commercial Open interpellent les élus et commandent des études pour savoir si ce projet assécherait le cours d’eau l’Allondon. Dans le bassin annemassien, le futur collège de Vétraz-Monthoux qui se situerait sur une zone humide où un certain nombre d’espèces vivent, suscite la désapprobation des associations qui discutent d’alternatives avec les collectivités et le conseil départemental.


Julien Tarby


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