La consommation en circuits courts (alimentation, tourisme, etc.) devient une démarche durable pour les consommateurs. Mais comment la définir ? Décryptage avec trois enseignantes de l’Institut de recherche en gestion et économie de l’Université Savoie Mont-Blanc.
« Le circuit court correspond à un nombre d’intermédiaires réduit entre le producteur et le consommateur », définit Margot Dyen, maître de conférences à l’IUT d’Annecy de l’Université Savoie MontBlanc et chercheuse à l’IREGE (Institut de recherche en gestion et économie). Une définition initiale avec le modèle des Amap comme symbole.
Les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne sont emblématiques d’une démarche de consommation en circuit court en établissant un lien direct entre l’agriculteur et le consommateur. Pour autant, « la grande distribution peut aussi faire du circuit court en réduisant le nombre d’intermédiaires », ajoute-telle citant de grandes enseignes françaises qui se sont engagées dans ce type de démarche depuis des années.

Deux vitesses
« Les supermarchés ont permis à l’agriculture bio de sortir des circuits spécialisés », complète Anne-Marie Bocquet, maître de conférences à l’IAE (Institut d’administration des entreprises) et également chercheuse à l’IREGE qui remarque que « la Suisse est très en avance dans cette démarche, car le contexte agroalimentaire est différent : la grande distribution doit d’abord se fournir dans le pays pour assurer la pérennité de l’agriculture locale». Une idée très ancrée culturellement parlant avec des attentes fortes de la part des consommateurs suisses.

« En France, il y a en quelque sorte un bio à deux vitesses : un historique généralement plus cher, un industriel plus accessible », détaille Margot Dyen. D’une tendance portée par certaines catégories de population en quête d’une éthique de consommation, nous sommes en effet passés à un mode qui touche davantage de monde. « C’est devenu une préoccupation des consommateurs », constate-t-elle encore. Un intérêt pour la production locale qui ne doit pas faire oublier une question économique majeure : peut-on tout produire près de chez soi ? Évidemment, la réponse est non. C’est une des limites de ce modèle.
Quel est l’impact environnemental de multiplier les lieux d’achats, donc le transport des marchandises dans plusieurs petits sites et les déplacements des consommateurs ? « Nous voyons fleurir des petits magasins de producteurs où plusieurs produits alimentaires sont regroupés», souligne en réponse Anne-Marie Bocquet. « Oui, ces magasins ont répondu à la problématique du butinage dans plusieurs commerces », confirme Margot Dyen.
Contacts directs
Au-delà du nombre d’intermédiaires, le circuit court raconte aussi une histoire d’échanges, de contacts, d’interactions dans une relation plus équitable entre consommateur et producteur. « Avec l’abonnement Amap, il y a aussi un aspect solidarité», ajoute-t-elle. Il n’est pas rare en effet que le consommateur soit invité à participer à certaines tâches au sein de l’exploitation agricole, à prendre part activement à ce qu’il consomme, à être vraiment acteur de ce qu’il mange. Par ailleurs, l’élaboration des paniers en fonction des saisons lui offre une vision sur des aliments moins connus.

De fait, le circuit court participe aussi à la préservation d’un patrimoine agricole, à l’entretien des paysages contrairement au modèle productiviste qui a tendance à les appauvrir. Cependant, « nourrir tout le monde en circuit court n’est pas possible », nuance Margot Dyen. « Il y a effectivement une question de volume », approuve Anne-Marie Bocquet. Les deux enseignantes-chercheuses estiment que les différents modèles agricoles peuvent parfaitement cohabiter, tout étant question d’équilibre et d’équité : que chacun puisse avoir accès à la nourriture la plus saine possible.
Changement de culture
« Il y a dix ans, ce n’était pas perçu comme quelque chose de sérieux qui allait bouleverser le marché », note Dominique Kreziak, également enseignante-chercheuse à l’IREGE. Spécialiste du tourisme de proximité, elle a également travaillé sur les circuits courts alimentaires, constatant en parallèle un développement du « locavorisme touristique ». Une consommation de son propre territoire pour ses loisirs et ses vacances, pour autant invisible et pas forcément perçue comme pertinente par les opérateurs.

« Ce n’est pas une cible prioritaire. Le phénomène n’est pas marchandisé », résume-t-elle, constatant « un effet de révélation par le Covid». Ce mode de consommation a été mis en lumière bien qu’il préexistât à la crise sanitaire. L’idée que pour être dépaysé, il faut partir loin a été perturbée par les mesures de confinement et de restriction des déplacements, obligeant la population à découvrir son territoire.
Reste à pouvoir transformer cette pratique en modèle économique, car partir près de chez de soi ne nécessite pas d’avoir autant d’intermédiaires pour organiser son séjour. « Le consommateur est en autoproduction », décrit Dominique Kreziak. Ce sont en général des voyages plus courts et plus fréquents qui nécessitent moins de préparation, qui s’insèrent bien dans un emploi du temps chargé et garantissent une possibilité de se ressourcer. Le consommateur réservant du coup des déplacements en avion à des destinations plus exceptionnelles.
« C’est un recalcul du bénéfice coût pour chaque type de voyage », souligne-telle estimant là encore que plusieurs modèles peuvent coexister et que le tourisme de proximité peut être un véritable marché : « Ça vaut le coup de regarder comment capter les clients. »
Sandra Molloy
0 commentaires