Depuis le 1er janvier, la version définitive (du moins en théorie…) du guichet unique de formalités des entreprises est en ligne. Mais elle ne séduit pas encore les publics concernés.
Issu de la loi Pacte (2019), le guichet unique a été imaginé pour faciliter les formalités administratives des entreprises. Sa conception et sa gestion ont été confiées à l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle) et la nouvelle plateforme numérique devait se substituer à la fois au service (privé) Infogreffe et aux centres de formalités des entreprises (CFE), pilotés par les chambres consulaires, les greffes des tribunaux de commerce, l’Urssaf et les impôts.
Un registre national des entreprises (RNE) devait, lui, remplacer l’ensemble des répertoires existants (métiers ; actifs agricoles ; et registre du commerce et des sociétés), couvrant alors tous les secteurs et tous les statuts.
Opérateurs historiques appelés en pompiers
Selon les chiffres officiels, depuis son lancement en janvier 2023, le guichet unique a permis le dépôt de 6,6 millions de formalités (créations, modifications et radiations d’entreprises), dont 4 millions en 2024.
Un succès ? Pas vraiment. Malgré cette comptabilité d’apparence favorable, les dysfonctionnements ont jalonné la mise en service, au point qu’une procédure de secours reposant sur les prestataires historiques a dû être improvisée.
De report en report, cette solution de “survie” a été maintenue jusqu’au 31 décembre 2024, si bien que le basculement dans l’année 2025 est venu mettre fin à la période transitoire… mais pas aux inquiétudes.
Éric Labonne, juriste à Paris, est membre du comité des utilisateurs du guichet unique mis en place par l’INPI. Il a lui-même procédé à l’élaboration de son ancêtre, Infogreffe, en 2000. Il explique : « Le guichet unique est loin d’être parfait. Il a été élaboré pendant le covid : les différents opérateurs historiques n’ont pas pu se rencontrer en présentiel. Il y a eu de la précipitation. Il aurait fallu cinq ans plutôt que trois pour le mettre en place. C’est le temps qu’il nous a fallu pour rendre Infogreffe vraiment fonctionnel. »
Encore en révision
« Même les mandataires ont été en difficulté : les avocats, les notaires ou les comptables nous ont souvent sollicités pour faire avancer les choses », relate Olivier Tavernier, président de la CMA 74 (voir ci-contre).
Quant au RNE, Éric Labonne rappelle que les bases de données historiques « ont été construites sur des systèmes informatiques différents, à des dates différentes, avec des conceptions et des finalités différentes en fonction des organismes de tutelle ». Le chantier n’était donc pas simple.
Marc Beggiora, le président de la CCI 73, soupire : « Une fois de plus, c’est un dossier français traité en dépit du bon sens, alors que l’idée de départ – un seul fichier pour tout le monde – était extraordinaire. Je partageais l’ambition de ce fichier unique, qui devait nous permettre de puiser des informations concrètes, sérieuses, structurées, contrôlées… Mais aujourd’hui, il n’est toujours pas opérationnel. »

Le guichet unique continue de faire l’objet d’ajustements correctifs. Parmi les plus récents : la possibilité de changer le nom du liquidateur judiciaire, ou l’extension du champ dans lequel la dénomination sociale est renseignée (il s’avérait parfois trop court).
« Des travaux sont en cours avec la direction interministérielle du numérique pour revoir l’ergonomie de la plateforme », conclut Éric Labonne. « D’ici la fin de l’année, nous aboutirons à une version complètement revisitée. Il est notamment prévu un système inspiré d’Infogreffe pour enregistrer les modifications. »
Les CMA prises entre deux feux
Les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) ont subi en première ligne les faiblesses du guichet unique. « Le réseau CMA s’est pris tous les mauvais retours. Pourtant, il faut rappeler que ce guichet unique est une volonté de l’État. Et même si de nombreuses personnes pensent que nous en sommes concepteurs et gestionnaires, cela n’est absolument pas le cas.
Les CMA sont utilisatrices de ce guichet unique au même titre que les entreprises ou les mandataires », martèle Olivier Tavernier, président de la CMA Haute-Savoie.

Isabelle Guillaud, présidente de la CMA Savoie, appuie : « Pour nous, l’important, c’est d’apporter des réponses rapides au porteur de projet ou à l’artisan. Nous pensons aussi à nos équipes, elles ont un vrai savoir-faire : c’est un métier d’inscrire ou de modifier des entreprises, voire de les radier. Devant l’ordinateur, lorsque le dirigeant ou le créateur d’entreprise ne maîtrise pas les codes APE et le jargon administratif, une erreur est vite arrivée. Or, ce sont nos collaborateurs qui subissent ensuite des violences verbales, voire physiques dans certains départements. Cette situation ne peut pas durer. »
Des blocages en cascade
Les défaillances du guichet unique ont de multiples conséquences administratives, sociales, fiscales, voire pénales : assurance décennale refusée, exclusion du statut d’artisan, rejet des dossiers avec retour à la case départ, soupçons de travail dissimulé…
Une erreur d’enregistrement peut aussi déclencher le blocage d’un prêt bancaire ou du financement des formations. Parfois, ce sont les cartes d’activité ambulante ou d’artisan d’art qui sont invalidées à cause d’une mauvaise case cochée.
« Nous constatons des choses étonnantes rien que dans les coordonnées des artisans. Typiquement : notre mandat de cinq ans doit se terminer fin 2026, mais à cause du guichet unique, il est question de le prolonger d’une année, car le fichier n’est pas prêt pour lancer de nouvelles élections… », souligne encore Olivier Tavernier. Le président de la CMA 74 tempère toutefois : « Alors que 2025 marque les 100 ans de notre réseau, nous restons résolument optimistes sur notre mission. Il est vrai que nous sommes chahutés, mais nous apprenons à fonctionner autrement : nous préparons notre plan de transformation baptisé Cap 2027. »
Le guichet unique coûte aux entreprises
La plupart des créateurs ou dirigeants confirmés, devant le caractère “hermétique” du guichet unique, se tournent vers des professionnels pour enregistrer les formalités de leur entreprise. Cela représente un coût variable, de 90 € l’acte pour certaines chambres consulaires à plusieurs centaines d’euros chez un mandataire (avocat, notaire, expert-comptable).
Mustapha Flakron et Grégoire Vallet, respectivement président et directeur général de la jeune société Haute-Savoie Rénovation, immatriculée en avril 2024, ont fait le choix de l’expert-comptable. « C’est trop compliqué de faire les démarches soi-même, tandis qu’un comptable a l’habitude de créer des sociétés. C’est très simple pour lui de rédiger les statuts, donc, forcément, ça change tout. Pour nous, cet aspect des choses s’est passé tout naturellement… Mais bon, cela nous a coûté 1 500 euros », relève Grégoire Vallet.
Leïla Oufkir
Photo à la une de Wes Hicks sur Unsplash
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