La dĆ©putĆ©e de Savoie Ćmilie Bonnivard a fait ses comptes dans un rapport parlementaire : selon elle, chaque loup coĆ»te 100 000 euros dāargent public. Un chiffre qui porteā¦ mais qui ne rĆØgle pas un problĆØme Ć©minemment complexe.
Pour la dĆ©putĆ©e mauriennaise, la preuve est faite : Ā« La politique actuelle ne fonctionne pas Ā». Ćmilie Bonnivard a dĆ©posĆ© fin fĆ©vrier son rapport dāinformation Ā« relatif aux consĆ©quences financiĆØres et budgĆ©taires de la prĆ©sence des grands prĆ©dateurs sur le territoire national Ā», rĆ©pondant Ć une mission confiĆ©e par la commission des finances, de lāĆ©conomie gĆ©nĆ©rale et du contrĆ“le budgĆ©taire, de l’AssemblĆ©e nationale. Cāest donc bien sous lāangle Ć©conomique quāelle Ć©tudie les politiques, franƧaise et europĆ©enne, liĆ©es au loup, Ć lāours et au lynx.
Une maniĆØre de centrer son propos autour du pastoralisme (sa confĆ©rence de presse locale Ć©tait dāailleurs organisĆ©e dans la ferme du prĆ©sident du Syndicat ovin de Savoie). Sāil sāagit de protĆ©ger le loup, Ƨa fonctionne, merci : la France en comptait officiellement 194 en 2009, 293 en 2015ā¦ et 624 en 2021. Des chiffres Ć prendre avec des pincettes, convient-elle : il sāagit bien dāune moyenne et la marge dāerreur est importante. Pour 2021, ce serait 414 en hypothĆØse basse et 834 en hypothĆØse haute.
Ā« Foutaises ! Ā», sāemportent les reprĆ©sentants des Ć©leveurs : des loups, il y en aurait bien plus. Le prĆ©sident du conseil dĆ©partemental de la Haute- Savoie a fait part de son intention dāorganiser un comptage indĆ©pendant Ā« et objectif Ā» dans le cadre dāun plan chasse quāil dĆ©voilera bientĆ“t. On attend de savoir comment il sāy prendra, tant la tĆ¢che semble ardueā¦
Ā« Les zones oĆ¹ loups, hommes et brebis cohabitent sont pourtant nombreuses dans le monde. Dans les Asturies ou les Abruzzes, le loup nāa jamais disparu. Au fil du temps, les Ć©levages se sont adaptĆ©s Ć sa prĆ©sence. Il faut rĆ©apprendre Ć vivre avec le loup en France, cāest-Ć -dire comprendre son fonctionnement, trouver les bonnes protections. Ā»
66 millions au total
Reste que les loups sont aujourdāhui prĆ©sents dans 40 dĆ©partements et 125 zones permanentes, un chiffre qui a triplĆ© en seulement cinq ans. LĆ©galement parlant, le loup nāest plus une espĆØce menacĆ©e. Mais le pastoralisme lāest, estime la dĆ©putĆ©e : Ā« Entre 2010 et 2020, le nombre dāattaques a explosĆ©, passant de 984 Ć 3 730 par an Ā», Ć©nonce-t-elle. Ā« Dans le mĆŖme temps, le nombre des victimes est passĆ© de 3 791 Ć 11 849. Ā»
Et le budget allouĆ© Ć cette question des prĆ©dateurs suit la mĆŖme pente : Ā« Le coĆ»t des seules mesures de protection des troupeaux est passĆ© de 6,2 millions dāeuros en 2010 Ć 29,76 millions en 2020 ; les dĆ©penses dāindemnisation des Ć©leveurs dāun million Ć 4,54. Ā» Ćmilie Bonnivard Ć©tablit la facture globale Ć 56 millions dāargent public en 2020, en ajoutant les mesures āpastoralismeā et les dĆ©penses dāĆtat (crĆ©dits dāurgence, frais de personnel, dĆ©fraiement des louvetiersā¦).
Somme Ć laquelle elle ajoute dix millions pris en charge par les acteurs privĆ©s, Ā« dont presque huit millions par les Ć©leveurs, ce qui est considĆ©rable pour des dĆ©penses totalement non productives Ā», a-t-elle dĆ©clarĆ© devant les dĆ©putĆ©s. Lors de sa confĆ©rence de presse, elle va un peu plus loin : Ā« Chaque loup coĆ»te 100 000 euros Ć la puissance publique. Ā»
Sa conclusion ? Ā« Lāobjectif recherchĆ© ā rĆ©duire significativement le nombre dāattaques ānāest pas atteint. Nous sommes dans une fuite en avant de cette politique publique, qui embarrasse dāailleurs beaucoup de monde. Jāai posĆ© une question simple Ć la Commission europĆ©enne : combien coĆ»tent les mesures de protection Ć lāĆ©chelle europĆ©enne ? Personne nāa Ć©tĆ© capable de me rĆ©pondre. Ā»
Ā« Le loup, cāest la goutte qui fait dĆ©border le vase dāune agriculture Ć©galement malade du changement climatique, de la pression constante sur les prixā¦ Ā», estime Jean-Marc Landry, dans un monde oĆ¹ Ā« 96 % de la biomasse des mammifĆØres est constituĆ©e de lāhomme et des animaux quāil a domestiquĆ©s. La faune sauvage ne pĆØse plus que 4 % Ā».
Vivre avec les loups
Ā« Dix mille animaux tuĆ©s chaque annĆ©e, Ć©videmment quāon ne peut pas sāen satisfaire Ā», fulmine Luc Ćtellin, le prĆ©sident du Syndicat ovin de Savoie. Ā« La rĆ©alitĆ©, poursuit-il, cāest que confrontĆ©s au travail Ć©norme que demande la dĆ©fense contre le loup, les bergers commencent Ć moins monter en alpage, redescendent plus tĆ“t, bougent moinsā¦ Au moment oĆ¹ on nous parle sans arrĆŖt du bien-ĆŖtre animal, oĆ¹ les consommateurs nous demandent des produits naturels, issus du terroir, le loup nous conduit Ć des modes dāĆ©levage et de production beaucoup plus hors-sol. Cāest ce quāon veut ? Nous demandons simplement quāon nous laisse les moyens de nous dĆ©fendre. Ā»
Ā« Jāai un frĆØre Ć©leveur Ā», confie Yves Jorand, administrateur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et de France Nature Environnement (FNE). Ā« Je sais bien que le loup cause des dĆ©gĆ¢ts et quāil faut chercher des solutions avec ceux qui sont sur le terrain. AvanƧons ensemble sur ce dossier complexe. Mais ne faisons pas nāimporte quoi. Pendant plus de vingt ans, nous nāavons eu que trois meutes en Savoie. Avec des opposants rĆ©solus, qui sont allĆ©s jusquāĆ sĆ©questrer le prĆ©sident et le directeur du parc national de la Vanoise pendant 15 heures en 2015. Pour calmer le jeu le prĆ©fet a accordĆ© le tir de six loups. En deux ans, on est passĆ© Ć quinze meutes. Pourquoi ? Tirer dans une meute la fait āĆ©claterā : il y avait une seule mĆØre, il y en a trois, qui vont coloniser de nouveaux territoires. Cāest lāinverse de ce qui Ć©tait recherchĆ©. Ā»
Et mĆŖme si Ćmilie Bonnivard estime quāil Ā« faut interroger le principe mĆŖme de la cohabitation entre le loup et lāhomme Ā», il remarque que Ā« les zones oĆ¹ loups, hommes et brebis cohabitent sont pourtant nombreuses dans le monde. Dans les Asturies ou les Abruzzes, le loup nāa jamais disparu. Au fil du temps, les Ć©levages se sont adaptĆ©s Ć sa prĆ©sence. Il faut rĆ©apprendre Ć vivre avec le loup en France, cāest-Ć -dire comprendre son fonctionnement, trouver les bonnes protections. Il ne sāagit ni dāĆ©radiquer complĆØtement le loup, cāest illusoire Ć mon avis, ni de refuser tout tir ; il faut trouver un point dāĆ©quilibre. Donc discuter. Ā»
Et prendre un peu de hauteur. Ā« Le loup, cāest la goutte qui fait dĆ©border le vase dāune agriculture Ć©galement malade du changement climatique, de la pression constante sur les prixā¦ Ā», estime Jean-Marc Landry, dans un monde oĆ¹ Ā« 96 % de la biomasse des mammifĆØres est constituĆ©e de lāhomme et des animaux quāil a domestiquĆ©s. La faune sauvage ne pĆØse plus que 4 % Ā».
Philippe Claret
CrĆ©dit photo Ć la une : Delphine Beausoleil sur Unsplash
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