Chambéry, Annecy, Aix-les-Bains, Seyssel… Ces noms résonnent comme autant d’étapes d’un défi un peu fou : le circuit des sept panoramas. Pour les découvrir, voici un périple de six jours réalisés par un groupe d’amis cyclosportifs. Soient 235 kilomètres et 6 500 m de dénivelés positifs à cheval sur l’Ain, la Savoie et la Haute-Savoie. Récit.
Fiche pratique

Étape 1 : Chambéry – Aix par le Revard. 4 heures – 35 km – D+ : 1 370 m. Bon plan : le spa thermal Val Vital d’Aix-les-Bains pour un moment relax après une journée de vélo.
ÉTAPE 2 : Aix-les-Bains – Seyssel par le Grand Colombier. 5 heures – 60 km – D+ : 1 470 m. Bon plan : Camping du Haut-Rhône à Seyssel avec des hébergements pour les cyclistes sur la viaRhona. Un espace de tranquillité dans un environnement unique au bord du Rhône.
ÉTAPE 3 : Seyssel – La Roche-sur-Foron par le mont des Princes. 4 heures – 55 km – D+ : 1 070 m. Bon plan : Au plain Château, un petit restaurant atypique dans une belle salle voûtée au coeur de la Roche-sur-Foron. On se trouve plongé dans l’ambiance d’un bâtiment du XVIe siècle avec une savoureuse cuisine maison.
ÉTAPE 4 : La Roche-sur-Foron Duingt par le col de la Forclaz. 5 heures – 60 km – D+ : 1 200 m. Bon plan : découverte de la réserve naturelle nationale du bout du lac à Doussard. Forêts humides, roselières, prairies humides, tourbières alcalines constituent cet écosystème unique. Peut-être verrez-vous même le castor d’Europe.
ÉTAPE 5 : Duingt – Semnoz. 2 heures 30 – 25 km – D+ : 1 300 m. Bon plan : Les Rochers Blancs, une institution sur le Semnoz tenue par la même famille depuis 1954. La fondue aux cèpes est simplement exceptionnelle. Et pour dormir, demandez une chambre avec vue sur le mont Blanc.
ÉTAPE 6 : Depuis le Semnoz, option 1 : retour sur Chambéry (via Aix-les-bains). 2 heures 30 – 55 km. D+ : 130m. Un itinéraire bien roulant (descente du Semnoz, descente sur Aix-les-bains, puis plat sur la piste cyclable qui ramène tranquillement à Chambéry). Option 2 : retour sur Annecy. 45 minutes – 17 km. Une jolie descente en forêt, puis arrivée majestueuse sur Annecy à proximité du château, de la Vieille ville, et qui se termine par un plongeon bien mérité au lac !
JOUR 1 : CHAMBÉRY / AIX-LES-BAINS par la Féclaz et le Revard
En ce début d’été, le soleil matinal caresse déjà les sommets environnants. Depuis la gare de Chambéry, c’est le top départ d’une aventure épique que j’ai concoctée pour un groupe d’amis lyonnais. Nous quittons la ville des quatre sans cul, plein d’entrain, direction le Revard… juste une petite colline. La preuve : les premiers kilomètres sont agréables, le paysage splendide et déjà l’âme d’un champion.

La réalité va vite nous rattraper. La route commence à s’élever, doucement d’abord, puis de plus en plus. Le souffle se fait plus court. Arrive Saint-Jean-d’Arvey. Argggh ! Village de la souffrance. Nous nous demandons déjà pourquoi nous avons choisi ce sport ! Route du col de Plainpalais. Ouf ! Nous entrons dans la forêt, l’air se fait plus frais, mais les pentes ne faiblissent pas, les jambes brûlent, le coeur tambourine. Enfin, arrivent le plateau et ses verts pâturages. Les Déserts, le Revard. Un dernier effort pour un panorama exceptionnel. Depuis le ponton, surplombant le vide, le lac du Bourget se découvre en majesté, tout en bas.
Le compteur indique 1 280 m de dénivelé positif. Ici en 1908, les skieurs ont fait fonctionner en plein hiver et « à leurs risques et périls », le train à crémaillère d’Aix-les-Bains. La station de ski du Revard était née ! Nous descendons tranquillement vers la ville d’eau. À l’arrivée, nos jambes ressemblent à deux piquets de béton usagés. Heureusement, ici, la détente est un sport extrême ! Massage et bains bouillonnants aux thermes nous attendent. Bonheur absolu…
JOUR 2 : AIX-LES-BAINS / SEYSSEL via le Grand Colombier
P… les courbatures ! Quasi impossible de descendre les escaliers de l’hôtel. Pourtant il faut retrouver la selle. Ah, le périple d’Aix-les-Bains au Grand Colombier à vélo ! Un mélange explosif de beauté paisible et de torture cycliste. Le lac du Bourget scintille, les cygnes nous saluent d’un air narquois. Tout commence tranquille en logeant le plan d’eau aux brumes langoureuses. Le long rideau de bitume file sous nos roues en direction de Chindrieux et de la Chautagne, ce petit coin de paradis savoyard. Ici les vignes sont gorgées de soleil et produisent un délicieux blanc.
La Chautagne, c’est un peu comme la Toscane, mais avec des montagnes en plus et moins de touristes qui parlent fort ! Nous déchantons pourtant vite en traversant le Rhône, déjà majestueux, à Culoz. L’entrée dans l’Ain et la direction du Grand Colombier sont signe de purgatoire : les lacets s’enchaînent. Chaque virage est une nouvelle épreuve, debout sur les pédales. Les panneaux nous narguent avec leurs pourcentages insolents : quoi, 20 % ? La route est étroite et la peinture au sol nous rappelle que nous sommes sur une des rudes étapes du Tour de France. La table d’orientation du Fenestrez justifie heureusement une pause bienvenue.
La vue est époustouflante sur le Rhône et, dans le lointain, le lac du Bourget. Ce 2e panorama du circuit nous donne des ailes pour atteindre, 400 m plus haut, le col du Grand Colombier. Nous laissons nos vélos pour poursuivre à pied au milieu des prairies battues par le vent jusqu’à une immense croix de fer. Qui sait que ce sommet fait encore partie du Jura ? Ce 3e panorama est réellement exceptionnel, offrant des vues sur les Alpes, du mont Blanc jusqu’à Grenoble, le Bugey, le Jura et sur trois des grands lacs alpins.
La redescente sur Seyssel, ville à cheval sur deux départements, bien que très technique (maudits gravillons) est un vrai plaisir. La soirée autour de quenelles sauce Nantua, arrosées de bulles d’un Royal Seyssel Royal est loin de nous déplaire : repas dans l’Ain, nuit en Haute-Savoie. On se demande comment les Seysselans, de part et d’autre du pont, font pour s’y retrouver.

JOUR 3 : SEYSSEL / LA ROCHE-SUR-FORON via le Pont de la Caille
Est-ce la fatigue, les bulles du pétillant ou le doux bruit de l’eau, mais nous nous retrouvons au petit matin frais et dispo. L’étape du jour sera plus bucolique. Enfin pas tout de suite ! L’échauffement passe directement par l’Albanais et la case “mont des Princes” (935 m) : une terreur du peloton ! Il y a des côtes mythiques et celle-là en fait partie. Explosion garantie en début de journée. D’un commun accord, nous décidons une pause au château de Clermont. C’est un peu comme une star de cinéma : il a connu ses heures de gloire avec ses magnifiques façades renaissance, puis a vécu une parenthèse agricole, avant de revenir sur le devant de la scène en tant que centre culturel. La visite nous enchante.

L’avant-pays savoyard nous attend, mélange de montagnes russes qui cassent les jambes. Ici c’est le pays des “Y” et pas que dans le parler : Chilly, Messigny, Choisy, Rossy. Dans ce dernier hameau, nous tombons sur un autre château, totalement méconnu. Celui des Reydet de la Vulpillières. Magnifiquement restauré, il surprend dans cet environnement de fermes et nous amène à nous détourner de l’itinéraire pour quelques minutes. Poursuivons vers le pont de la Caille. Voilà le 4e panorama ! Le pont suspendu surplombe les gorges des Usses, offrant un paysage spectaculaire.
Génie du savoir-faire du XIXe siècle, son tablier fait 192 mètres de long. La vue est vertigineuse. Rares sont ceux qui savent que, sur les bords du torrent, se trouvait un centre thermal réputé qui fonctionna jusque dans les années 1960, avec son propre casino. « Béni soit dieu qui fit jaillir les sources. À côté des mots, il mit le remède », dit une inscription encore visible.
Le dilemme est alors entier : montons-nous au Salève voisin ou allons-nous directement à l’étape ? La raison et la fatigue l’emportent et c’est par de petites routes que nous rejoignons la Roche-sur-Foron. Ce soir, nous allons goûter les Diots et trinquer avec un verre d’Ayse, ce vin pétillant unique issu du Gringet, un très vieux cépage qui ne se trouve qu’en Haute-Savoie.
JOUR 4 : LA ROCHE-SUR-FORON / DUINGT par Thorens-Glières
Le parcours du jour va nous offrir une étonnante diversité d’histoires et de paysages. Nous ne pouvons quitter la ville médiévale de La Roche-sur-Foron sans monter au sommet de la tour des comtes de Genève. Ce donjon du XIIIe siècle ouvre sur le 5e panorama qui couvre l’ensemble de la vallée de l’Arve, les montagnes du Faucigny, le massif des Aravis et dans le lointain, les sommets enneigés de la crête frontière avec la Suisse. Les jambes vont de mieux en mieux. Les petites routes nous amènent à Thorens-Glières.
Le village porte en lui deux visages : celui de la spiritualité et de la paix, incarné par François de Sales, né dans le château voisin et celui de la résistance et de la bravoure, symbolisé par les héros des Glières. Nous nous promenons à travers les rues, pour découvrir l’histoire des combattants du maquis de 1944 en suivant le parcours d’Antoine et Gustave, deux jeunes hommes qui ont quitté Lyon et Lille pour aller combattre en Haute-Savoie. Ici, pas de longues batailles, mais des héros à rencontrer. Non sans émotion, nous reprenons la route vers Annecy en passant par Villaz et Bluffy. Le village nous offre une vue unique sur le château de Menthon dont se serait inspiré Walt Disney.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce joyau architectural est toujours occupé par la même famille depuis 1 000 ans ! Entre prairies et forêts, le col de la Forclaz découvre enfin son mythique panorama du lac d’Annecy. Mes amis en reste bouche bée alors que les parapentes nous survolent par dizaines. Maintenant, place à la baignade au bas de la descente, sur la plage de Doussard et à la découverte de la réserve du bout du lac. Après ces jours de vélo, l’eau limpide est une bénédiction pour nous tous et il est bien dur de rejoindre, en soirée, notre gîte d’étape à Duingt.

JOUR 5 : LE SEMNOZ EN APOTHÉOSE via St Eustache
Personne n’est resté indifférent au 6e panorama d’hier et chacun se demande ce que pourrait être le dernier. Mais avant cela, je propose une balade dans les ruelles de Duingt, petit village qui a gardé son charme du Moyen Âge. Non sans un sourire goguenard, je leur raconte qu’ici, « le château Vieux est le neuf et le Château Neuf, le vieux. Et Cézanne s’est pris de passion pour le premier qui s’avance dans le lac en peignant un tableau exceptionnel ». Il est alors temps de prendre la route qui nous conduit 1 300 mètres plus haut ! Nous empruntons la piste cyclable encore peu fréquentée à cette heure matinale jusqu’à Saint-Jorioz, où les choses sérieuses commencent.
Plutôt que l’itinéraire classique, nous montons par Saint-Eustache et la Chapelle-Saint-Maurice. La pente est raide, mais la récompense d’une pépite du Laudon, un petit bleu local, à la ferme du Ponant, réjouit les papilles. Devant nous, la silhouette massive du Semnoz nous rappelle qu’il nous reste encore 800 mètres à gravir. En sortie de forêt, les clarines des troupeaux nous indiquent que nous sommes en pleine zone de reblochon et de Tomme ! « C’est quoi ce panorama de malade ? » : Cri du coeur de cyclistes, face à ce qui est un des plus beaux belvédères des Alpes du Nord. Nous allons le découvrir tout au long de cette journée, car ce soir nous dormons ici pour fêter ce circuit.
Et moi, de détailler les sommets évidemment couronnés par le grandiose mont Blanc. Aravis, Beaufortain, Vanoise, Bauges, Aiguilles d’Arves, La Meije, les Écrins Belledonne et la Chartreuse. Ils sont tous là ! Ce qui devient surprenant, c’est lorsque nous basculons sur l’autre versant, à l’Ouest : le Jura et le Bugey, le Grand Colombier, la dent du chat au-dessus du lac du Bourget, mais plus étonnant encore, dans les grands lointains, les monts du Beaujolais et du Forez (déjà l’Auvergne) et même les hauts plateaux d’Ardèche. Profitant de mon avantage et d’une atmosphère particulièrement limpide, je sors mes jumelles les orientant vers un point invisible.
« Regardez maintenant »… Dans l’objectif, apparaissent soudain les tours de la Part-Dieu à Lyon. La soirée se passe autour d’une merveilleuse fondue aux cèpes, arrosée de roussette de Savoie, au son d’un petit orgue de barbarie. Demain, les amis, tous debout à 5 heures !

JOUR 6 : ÉPILOGUE ENTRE LE SEMNOZ ET ANNECY (OU CHAMBÉRY)
Le ciel rosé annonce encore une belle journée. Dans le froid piquant, les étoiles s’éteignent une à une. Les rares nuages passent par toutes les nuances de jaune et d’orange. Soudain, tel un flash qui va durer moins d’une minute, “il” apparait, redonnant vie, par petites touches, aux sommets. Spectacle grandiose d’un lever de soleil derrière le mont Blanc, combat lumineux de deux titans. Quelle fin magnifique pour ce circuit des sept panoramas et de quelques pépites gastronomiques ou patrimoniales. Nous redescendons maintenant vers Annecy, profiter encore de la vieille ville, avant de laisser mes amis reprendre leur train en direction de Lyon.
André Montaud
Cette interview est issue de notre magazine Naturez-Vous Printemps-Été 2025, accès libre et gratuit ici >>

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