Ain : l’opportunité des bâtiments oubliés

par | 25 avril 2024

Sans attendre les effets de la loi Zéro artificialisation nette, qui prévoit une réduction de moitié de la consommation d’espaces d’ici à 2031, le bâti ancien présente un intérêt réel.

Coincé à Saint-Jean-le-Vieux dans un bâtiment de 400 m² qu’il n’était guère possible d’agrandir, Pierre Archeny, repreneur en 2019 de l’Atelier Hanggi, une entreprise d’agencement, a bien envisagé une construction neuve. «Mais, je navais pas vraiment le budget. Dans nos métiers, on n’a pas besoin de beaucoup de hauteur, mais il nous faut des mètres carrés, au moins 1000», a-t-il expliqué aux participants de la 28e Rencontre des Ainterpros du Bâtiment Durable, jeudi 11 avril.

La thématique du jour était “Réinvestir les bâtiments abandonnés”. «Ils répondent à lenjeu de limiter l’étalement urbain et la consommation de nouveaux espaces. Et ils constituent un gisement méconnu de mètres carrés déjà construits», a détaillé Damien Thomassin, chef du bureau qualité de la construction de la Direction départementale des territoires de l’Ain.

Pour l’Atelier Hanggi, la solution est passée par l’achat d’une ancienne usine de la plasturgie, à Pont-d’Ain. «Un projet exemplaire en matière de réappropriation du site et de réemploi des matériaux», a encore noté Damien Thomassin.

«Javais repéré ce bâtiment sans trop y croire. C’était un peu ma seule option, mais ça a été toute une aventure, a poursuivi Pierre Archeny. Les propriétaires, deux frères, ne s’entendaient pas. Il a fallu mener deux négociations en parallèle. L’acquisition a pris du temps.» Or, l’usine, à l’abandon depuis 15 ans, se dégradait. Elle avait été squattée et vandalisée. Et elle avait subi des vols de câbles.

« Le site date de 1972. Une extension a été réalisée en 1986. Et une partie a été reconstruite après un incendie en 1997. Celle-là n’a pas été retouchée lors de la rénovation. Il a fallu refaire la toiture qui contenait des fibres amiantées. Nous en avons profité pour installer 2 000 m² de panneaux photovoltaïques dont l’énergie alimente nos pompes à chaleur pour le chauffage et la clim. L’excédent est injecté dans le réseau. Nous avons dû également, remplacer deux transformateurs à pyralène. En fait, nous avons connu toutes les difficultés de rénovation possibles. »

De nombreux audits environnementaux ont été exigés. « Des demandes pas toujours cohérentes, a observé Pierre Archeny. J’ai fait retirer une cuve à fioul qui contenait encore 2 000 litres de carburant. La preuve qu’elle ne fuyait pas ! On m’a pourtant imposé des forages pour vérifier l’absence d’hydrocarbures. » Au total, une trentaine de sondages ont été réalisés sous les dalles à la recherche de pollutions diverses.

La société (13 personnes, 1,4 M€ de chiffre d’affaires) est installée dans ses nouveaux locaux depuis septembre dernier. Elle a quadruplé la surface qu’elle occupait à l’origine. Et il reste quelque 1 200 m² de bâtiments loués à d’autres entreprises. Les derniers espaces sont en train de trouver preneur. Un moyen pour le propriétaire, de boucler son financement. Mais celui-ci ne regrette pas l’aventure. « Le bâtiment a déjà été estimé au double de sa valeur d’achat. »

Si la loi ZAN est appliquée, aucun espace naturel, agricole ou forestier ne sera plus artificialisé, à partir de 2050.

Du bois scolyté en cloison

En bon acteur du bois, l’Atelier Hanggi a fait appel à des essences locales pour aménager son nouveau site. Les encadrements de fenêtre, la porte vitrée des bureaux (réalisée par les Menuiseries Philibert, à Frans) et tout le mobilier sont en hêtre du plateau de Retord.

Quant aux cloisons, leurs panneaux sont composés de pins du Bugey attaqués par les scolytes. « On voit qu’il est bleuté, fait observer Pierre Archeny, le dirigeant. Mais, cela ne l’empêche pas de conserver toutes ses qualités. Des tests ont été réalisés pour caractériser ces bois. Le seul impératif, c’est de le collecter au fur et à mesure qu’il sèche. »

Ces cloisons sont doublées avec l’isolant récupéré en toiture. Car l’entreprise ne s’est pas contentée de réutiliser un bâti ancien. Elle s’est également attachée à réemployer un maximum de matériaux. Les armoires et canalisations électriques, notamment, ont été conservées, avec l’appui de Stemi, électricité industrielle à Saint-Rémy.

En attendant 2050, la quantité de sols nouvellement artificialisés entre 2021  et 2031 doit être réduite de moitié par rapport à la décennie précédente.

Des usages à repenser

Partir de l’existant pour imaginer une nouvelle destination, plutôt que de construire du neuf ne relèverait, en définitive, que d’une gymnastique intellectuelle différente.

Tous les bâtiments ont-ils un intérêt ? « Il faut faire la balance entre la qualité du bâti, son architecture, sa surface… et sa capacité à répondre à l’usage auquel on le destine. Si les transformations à opérer pour l’adapter sont trop importantes, non », a répondu Séverin Perreaut, architecte et maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne, lors de la table ronde de ces 28e Ainterpros, le 11 avril.

Lui-même a repris un ancien site militaire à Bourg-en-Bresse, un stand de tir proche de la Caserne Aubry, bâtiment oublié devenu propriété de la mairie qu’il a fallu solliciter.

« Nos bureaux occupent un tiers des locaux, le reste est loué à un cabinet médical spécialisé dans l’hypnose thérapeutique et la formation des soignants à ces techniques. C’est un lieu assez isolé par sa configuration, avec des fenêtres qui donnent toutes sur un patio, pas sur la rue. Et cela correspond bien à nos activités comme aux leurs. De plus, le site est proche de la gare, ce qui les intéresse, eux, pour recevoir les médecins en formation et, nous, car plusieurs de nos collaborateurs viennent de Lyon. Nous n’avons absolument pas transformé la structure, de sorte que si le bâtiment devait encore changer de destination, ce serait tout à fait possible », explique Séverin Perreaut, qui s’estime l’héritier d’un élément du paysage burgien.

Un bâtiment inscrit dans le quotidien des habitants depuis si longtemps que plus personne n’y prêtait attention. La preuve, il est resté désaffecté pendant 20 ou 30 ans.

Pour l’architecte, on a tendance à muséifier les centres-villes et le bâti historique, tout en sous-estimant les constructions érigées à une autre époque.

« Or, elles sont un outil naturel de la densité urbaine. Pour nous, construire du neuf, c’était s’éloigner de la gare et consommer des terres agricoles. Nous devrions davantage essayer d’imaginer quoi faire avec l’existant, avant de le démolir ou de construire ailleurs. »

Et celui-ci de citer, à l’appui de sa démonstration, la transformation d’anciens bureaux de l’armée, à Paris, en logements sociaux ou celle d’une ancienne usine automobile à Turin, en halles. Plus près de nous, Christophe Subtil, dirigeant de Stemi, a relevé la conversion d’un ancien abattoir de volailles en atelier mécanique, sans modification de la structure ou des extérieurs.


Sébastien Jacquart

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