Le glaciologue franco-suisse cosigne un article publié par nature mi-août. Une fierté et une reconnaissance, mais aussi l’occasion d’alerter avec un écho plus important sur la situation et les enjeux environnementaux. Interview.
Cette publication dans Nature*, c’est une forme de consécration ?
Oui, c’est un aboutissement scientifique, c’est comme gravir le K2 quand on est alpiniste. Nature est l’une des revues les plus prestigieuses au monde et ne publie qu’un à trois articles sur les glaciers par an ; c’est dire si la sélection est drastique. Pour cet article, il y a eu un processus de relecture et validation par six experts internationaux : c’est unique.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris que l’article était retenu ?
Cela a évidemment été une immense joie, car c’est la reconnaissance d’un long travail d’équipe. Et une grande fierté aussi, à titre personnel, car c’est une chose qui m’a beaucoup occupé ces trois dernières années et pour laquelle j’ai dû beaucoup convaincre.
Comment s’est formée l’équipe ?
Elle est constituée de spécialistes en glaciologie et écologie de haute montagne, à la fois français et suisses. Je suis moi-même binational. Elle a la particularité de réunir un groupe d’amis qui sont des spécialistes dans des domaines complémentaires : en quelque sorte, chacun apporte sa lampe de poche, son faisceau pour, à la fin, éclairer du mieux possible, sous différents angles, notre sujet.
« C’est grâce aux glaciers que nous avons de l’eau toute l’année en quantité et que nous pouvons produire de l’hydroélectricité. Sans glaciers demain, nous n’aurons pas les mêmes ressources en eau douce et celles qui seront encore à disposition ne le seront pas aux mêmes coûts. »
Comment est née l’idée ?
Je suis salarié à Asters – Cen 74 et, dans ce cadre, j’ai développé notamment le projet Ice & Life (iceandlife.com), qui consiste à étudier les glaciers et les conséquences de leur fonte, et pousser à mieux protéger ces écosystèmes importants et fragiles. Ce projet réunit de multiples partenaires et, dès le début, j’avais émis l’idée de cet article. Il est le fruit de près de trois ans de travail, d’observations sur le terrain et de traitement des données surtout. J’ai écrit le premier jet puis, pendant six mois, nous avons mis à jour au moins une cinquantaine de versions ! 4 200 mots [l’équivalent de 7 pages A4, NDLR] c’est ultra-court et c’est un vrai défi d’être à la fois rigoureux, novateur et un peu “sexy” à la lecture avec un tel format.
Qu’y a-t-il de novateur ?
Jusqu’à maintenant, les articles sur la fonte des glaciers étaient principalement orientés sur le volume d’eau : mesurer et anticiper les variations du volume de glace sur terre et ses conséquences sur le niveau marin, le débit des fleuves… Nous, nous avons abordé la question sous l’angle non du volume mais de la surface : quelle place occupent les glaciers aujourd’hui ? Quelle surface demeurera demain en fonction des projections climatiques ? Nous avons étudié tous les glaciers du monde (sauf les calottes antarctique et groenlandaise) et analysé également la topographie qui pouvait émerger du retrait glaciaire et, ainsi, la formation d’écosystèmes terrestres, marins ou d’eau douce qui vont succéder aux glaciers.
Que représente la fonte des glaciers à l’échelle mondiale ?
D’ici 2100, les glaciers vont fondre sur une surface allant de 150 000 à 350 000 km² (sur un total de 665 000 en 2020), selon les efforts que l’humanité va produire d’ici là pour limiter le réchauffement climatique. Cela correspond à la surface d’un pays comme le Népal, pour l’hypothèse basse, ou la Finlande, pour l’hypothèse haute. Actuellement, le retrait glaciaire est rapide et intense : nous sommes plutôt sur la tendance haute, malheureusement.
« Et si l’on dépasse un peu les frontières de notre territoire, il faut aussi se dire que, sans les glaciers, l’irrigation de l’agriculture, l’accès à l’eau douce dans certaines métropoles ou le refroidissement des centrales nucléaires le long du Rhône deviennent beaucoup plus compliqué… Et ce ne sont là que quelques exemples. Nous avons besoin des glaciers et nous avons toujours prospéré dans nos territoires grâce à eux. »
Dans l’article, vous soulignez aussi l’intérêt de protéger les zones couvertes par les glaciers et où ils se retirent…
Effectivement. Nous nous questionnons sur le rôle fonctionnel des glaciers et de ces écosystèmes qui vont leur succéder. À côté des glaciers, ces nouveaux lacs, fjords, prairies, forêts, déserts froids, zones humides vont jouer un rôle important au niveau de la ressource en eau, de la biodiversité ou du climat, et il est important qu’ils restent en bonne santé. D’où notre double plaidoyer : à la fois pour faire en sorte de limiter le plus possible le réchauffement – et donc la fonte des glaciers – et pour protéger les glaciers et les écosystèmes post-glaciaires.
Quel est l’enjeu sur ces zones post-glaciaires, si le glacier a fondu ?
Si nous ne pensons pas dès maintenant à protéger les zones post-glaciaires, alors les activités humaines risquent d’y intervenir et ainsi menacer la ressource en eau et la biodiversité. Nous montrons par exemple, dans l’étude, que les écosystèmes post-glaciaires seront des refuges très importants pour la biodiversité : les protéger, c’est donner une chance de plus de limiter la 6e extinction de masse, d’avoir de l’eau demain dans les territoires, d’atténuer le changement climatique.
Il est encore possible de sauver les glaciers ?
Oui ! En restant sous les deux degrés de réchauffement d’ici 2100, il est encore possible de sauver une immense partie des glaciers sur terre, si importants pour l’équilibre de notre planète et pour l’humanité. Et, secondairement, en protégeant aussi les glaciers : dans certaines zones du monde, ils sont encore détruits à l’explosif pour permettre de creuser des mines !
À l’échelle des Alpes du Nord, les enjeux sont importants ?
Oui, très. Votre journal s’adresse aux entreprises et il faut rappeler qu’en plus des volets environnementaux, il y a une dimension économique du retrait glaciaire. Par exemple, c’est grâce aux glaciers que nous avons de l’eau toute l’année en quantité et que nous pouvons produire de l’hydroélectricité. Sans glaciers demain, nous n’aurons pas les mêmes ressources en eau douce et celles qui seront encore à disposition ne le seront pas aux mêmes coûts. Et si l’on dépasse un peu les frontières de notre territoire, il faut aussi se dire que, sans les glaciers, l’irrigation de l’agriculture, l’accès à l’eau douce dans certaines métropoles ou le refroidissement des centrales nucléaires le long du Rhône deviennent beaucoup plus compliqué… Et ce ne sont là que quelques exemples. Nous avons besoin des glaciers et nous avons toujours prospéré dans nos territoires grâce à eux.
Être publié dans Nature donne plus de poids à vos appels et vos alertes ?
Disons qu’au niveau scientifique, je ne vois pas ce que l’on peut faire de mieux ! Mais après, il est important que l’on diffuse ces messages, que nous les rendions intelligibles pour qu’ils soient utiles à la société, aux élus et aux décideurs, pour faire collectivement les meilleurs choix possibles. Au-delà du contenu de l’étude, cette publication a, à mes yeux, un autre intérêt : elle prouve que l’expertise existe partout dans les territoires, dans beaucoup de structures de la société civile ou publique, et qu’elle peut vraiment éclairer les débats.
« Mettre la science au coeur de la société et des discussions en apportant des faits et des données, c’est sans doute le meilleur moyen d’avancer tous ensemble dans la bonne direction. »
Que voulez-vous dire ?
J’ai travaillé sur cette publication dans le cadre de mon travail et c’est sans doute extrêmement rare qu’une association comme Asters – Cen 74 puisse permettre cela. Nous ne sommes pas dans le militantisme, pas dans la fiction pour effrayer. Nous sommes dans l’observation, nous menons un travail scientifique. Nous nous adressons à tout le monde : la communauté scientifique, les élus mais aussi les citoyens. Mettre la science au coeur de la société et des discussions en apportant des faits et des données, c’est sans doute le meilleur moyen d’avancer tous ensemble dans la bonne direction.
Asters – Cen 74
Asters – Conservatoire des espaces naturels de Haute-Savoie (Asters – Cen 74) est une association loi 1901, créée en juin 2000 sous le nom d’ »Agir pour la sauvegarde des territoires des espèces rares ou sensibles” (l’acronyme est aussi un clin d’oeil aux asters, fleurs vivaces qu’on trouve dans les Alpes). Elle joue un rôle de protection et de sensibilisation, mène des études, et gère les neuf réserves naturelles nationales situées en Haute‑Savoie.
* Future emergence of new ecosystems caused by glacial retreat, article publié dans Nature le 16 août 2023. À lire sur : nature.com/articles/s41586-023-06302-2 .
Propos recueillis par Éric Renevier
Bonjour,
Un grand merci pour votre travail qui est d’une clarté incroyable, je suis une simple citoyenne et je ressens l’urgence d’agir, de protéger notre planète que l’homme a tellement abîmé, j’espère que les décideurs prendrons acte et agiront le plus vite possible ! Encore merci
Un grand merci pour votre travail qui est d’une limpidité remarquable. Un bémol cependant. M. Bosson, à la question s’il est encore possible de sauver les glaciers répond de manière convenue oui! … si la température est maintenue sous les 2°C ou mieux 1,5 °C d’ici 2100. C’est typiquement le discours imposé par le giec qui termine toujours ses annonces dramatiques par l’affirmatiopn qu’il est encore possible de limiter les effets désastreux du dérèglement climatique en maintenant la T 4°C en 2100. D’ailleurs, pourquoi 2100? C’est la ligne d’arrivée de quoi?
Excisez ce ton un peu polémique mais j’ai l’impression que nous dévalons une pente et que les freins ont laché.