Face aux effets du dérèglement climatique en altitude, les stations de sports d’hiver de moyenne montagne ont devant elles le challenge de la transition. Un modèle qui appelle souvent à l’inventivité, parfois au renoncement…
Les constats sont aujourd’hui établis et incontestés. De l’avis même du ministère de la Transition (tiens, justement) écologique et de la Cohésion des territoires, la montagne est en première ligne face au réchauffement climatique. La température a augmenté au cours du 20e siècle de +2°C dans les Alpes du Nord, contre +1,4°C sur l’ensemble de la France selon Météo France. Conséquemment, les Alpes ont perdu un mois d’enneigement en cinquante ans et les prévisionnistes de l’opérateur national pronostiquent des années sans neige dès 2050.
S’il est préoccupant dans ses impacts sur la biodiversité, ce constat interroge depuis des années le modèle économique né après-guerre avec la multiplication d’équipements de loisirs pour la pratique du ski en montagne. C’est l’ambition du projet européen TranStat (Transitions to sustainable ski tourism in the Alps of tomorrow) lancé fin 2022 pour répondre à l’épineuse question des nouveaux modes de développement touristique, économique, social et environnemental au sein de stations progressivement privées de leur enneigement.
Le deuil du modèle actuel
Fondateur et dirigeant du bureau d’ingénierie touristique Atemia, basé à Challes-les-Eaux, Jérôme Caviglia a poussé son expertise jusqu’à reprendre la gestion d’un site touristique en transition à Saint-François-de-Sales. Nordicéa, l’une des portes de Savoie Grand Revard dans le massif des Bauges, a vu le jour en 2022 pour proposer une offre de petite restauration, coins sieste, un espace artistique et sensoriel, ainsi que des jeux complétés d’animations par des professionnels. La destination démunie d’enneigeurs hérite de la réputation de ses 120 km de pistes nordiques mais souffre des hivers sans neige.
« Nous trouvions intéressant de nous impliquer dans la durée pour tester une exploitation vertueuse sur l’année ». Les premiers enseignements ont rapidement confirmé les préconisations. « Sans ski, les stations de moyenne montagne ne disposent pas des moyens de se diversifier. Il est donc nécessaire d’anticiper selon les contextes topographiques, sociaux, économiques et de l’altitude ».
Une réflexion que le professionnel ne limite pas à l’hiver. « Les préoccupations concernent aussi la surfréquentation estivale ». Le spécialiste ose ainsi évoquer « le deuil du modèle actuel » pour des destinations qui devront « privilégier la différenciation et une activité annualisée » en identifiant des leviers alternatifs aux séjours touristiques. « La création d’espaces de vie propices au télétravail, au bien-être et à la santé peut participer au maintien des services au public et des populations en moyenne montagne ».
Projeter un futur scénarisé
Cette étude triennale associe neuf stations, dont Saint- Pierre-de-Chartreuse et Megève dans les Alpes françaises, engagées dans une démarche expérimentale de transition associant, sous une forme la plus participative possible, la diversité des acteurs concernés, détenteurs d’intérêts souvent divergents. « C’est une dynamique longue qui inclut des activités diverses et projette un futur scénarisé avec toutes les incertitudes induites. L’invention d’un modèle n’est pas chose aisée », introduit Emmanuelle George.
Chercheuse au laboratoire Écosystèmes et sociétés en montagne à l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Grenoble, elle porte ce programme. Ses premières analyses pressentent de nouveaux modes de fonctionnement plus territorialisés.
Si la multiplication des luges sur rail 4 saisons, des pistes vertes convertibles au VTT (éventuellement électrique), des centres aqualudiques, des itinéraires de randonnée douce ou en trottinette, de tyrolienne et autres activités outdoor a souhaité apporter une première réponse avec une approche pour le coup universelle de toutes les stations, l’enjeu de la transition loge manifestement ailleurs aux yeux des professionnels.
« Des stations moyennes ont le courage désormais d’ouvrir au gré des enneigements, ce qui implique une frange de salariés et de bénévoles pour constituer une force de travail. Mais pour s’installer dans la durée, cette stratégie questionne la dimension réglementaire du travail actuellement basée sur une mono activité sur une saison », illustre la chercheuse.
L’hybridation des populations
L’hybridation entre populations historiques attachées au modèle ski et néoarrivants moins envieux de glisse et de tourisme introduit aussi de nouvelles préoccupations au coeur de destinations, dont les élus sont tiraillés entre préoccupations économiques et relations humaines. D’autant que « dès qu’un site de pratiques hivernales n’est plus rentable, il est fréquemment repris par les collectivités après le départ des opérateurs privés », observe Claire- Anne Bourgois.
L’ingénieure en bilan carbone et environnement au sein du bureau d’études Damoé basé aux Avanchers-Valmorel confirme le recentrage assez généralisé vers les clientèles domestiques et la proximité. Mais cette orientation suffira-t-elle à entretenir une économie durable en moyenne altitude ? « Les stations de montagne doivent adapter et quantifier leurs actions car elles subissent le plus les effets de ces changements mais disposent des moindres ressources pour réinvestir vers des modèles moins impactants », poursuit Claire-Anne Bourgois.
La carte de la fraîcheur au coeur d’étés caniculaires, et celle de la responsabilité environnementale, dont la considération s’amplifie auprès des clientèles sont des atouts. « Les usagers des stations attendent des activités différenciantes, des approches contemplatives, culturelles et de terroir. La dimension sportive reste un élément majeur mais plus exclusif », souligne Isabelle Bouleau du cabinet SunConseil à Chambéry.
Celle qui préside désormais le Cluster Montagne pointe la nécessité d’adopter des stratégies « qui suivent l’histoire locale, expriment du sens, incarnent et signent la destination dans son territoire, et ne la réduisent pas à un seul espace de loisirs ».
Évolution ou transition ?
Convaincue que les stations de moyenne montagne ont davantage à conduire une évolution qu’une transition, Isabelle Bouleau reconnaît que le dessein est compliqué « tant cette évolution dépend intrinsèquement de chaque lieu, selon sa capacité à pratiquer l’apprentissage, voire à devenir disruptif sans chercher à remplacer un modèle par un autre ». Transition ou évolution, ces destinations ont à écrire un avenir qui ne pourra donc plus relever d’un mimétisme cloné mais d’un ajustement à petites touches au gré des ressources, des moyens et des contraintes locales.
L’économie du renoncement
Exposées à un manque d’enneigement, les stations de moyenne montagne peaufinent des stratégies en fonction de leurs capacités économiques. Celle du Granier à Entremont-le-Vieux, en Savoie, fonctionne depuis la saison 2018/2019 sur un mode de gestion bénévole après la décision de l’intercommunalité du Coeur de Chartreuse de fermer l’exploitation. Une centaine de volontaires ont créé l’association Les Skieurs du Granier pour assurer l’accueil, la restauration, la location de matériels et l’exploitation des quatre téléskis. Les emplois sont, eux, réservés aux secours sur piste et au damage, financés par la vente des forfaits, les dons et des aides publiques. L’été, la randonnée, les musées, la gastronomie complètent le sentier balisé et sécurisé créé en 2023 entre le bas et le sommet des pistes.
Beaucoup plus radicale, la commune de Faverges- Seythenex (Haute-Savoie) a fait le choix d’arrêter, en septembre 2023, l’exploitation du domaine skiable de La Sambuy et de son unique télésiège, en service l’été aussi. Les raisons : son déficit chronique (500 000 € en 2023) et un enneigement aléatoire. Elle vise un retour à la nature du site. Cette délibération suscite des oppositions. L’association Tous ensemble pour La Sambuy qui, après avoir été déboutée par le tribunal administratif de Grenoble, a déposé dernièrement un recours sur le fond.
Impact sur les stations d’altitude
La transition, aujourd’hui focalisée sur les stations de moyenne montagne, interroge la structuration plus globale des territoires de montagne. Face aux résistances au changement assez naturelles chez “l’homo skipiens”, le report de clientèle vers des sites de plus haute altitude ne saurait contenter tous les amateurs de glisse, faute de place, faute de budget. David Ponson en est convaincu. Le directeur “division montagne et activités outdoor” à la Compagnie des Alpes, impliqué dans la transition, préconise l’expérimentation.
« Le cumul des tyroliennes, des dévalkarts et des luges sur rail n’assurera pas la bascule d’un mono modèle du ski vers une offre variée. Il faut arriver à mettre tous les acteurs dans le même bateau, malgré des divergences parfois marquées entre les différents interlocuteurs, qu’ils soient politiques ou économiques, mais aussi les clientèles sensibles à nos efforts en faveur de la préservation de l’environnement ». L’acceptation de ces nouveaux paradigmes pourra-telle favoriser le maintien d’activités et d’habitants en moyenne montagne ? Réponse dans dix ans !
Raphaël Sandraz
Cet article est issu de notre Panorama économique des domaines skiables 2024-2025, disponible au format liseuse en ligne ou au format papier.
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