Conjoncture : « monde d’après », année zéro

par | 03 février 2022

En 2021, il n’y a pas eu que la pandémie. La dernière table ronde de conjoncture portée par la CCI de la Haute-Savoie a permis de brosser un tableau en clair-obscur de l’an passé. Pour 2022, il reste du clair, mais le sombre gagne du terrain…

Une impression de « faux rythme »… Voilà ce que ressent le nouveau président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Haute-Savoie, Philippe Carrier, dans la période actuelle : « L’activité est meilleure, avec des chiffres d’affaires en hausse de 13 % en moyenne en France. Mais c’est seulement 9 % en Haute-Savoie. Beaucoup de secteurs n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant crise. Nous vivons une reprise en demi-teinte ou les freins sont nombreux : difficultés d’approvisionnement, de recrutement, baisse du pouvoir d’achat, chute des permis de construire. Et les protocoles sanitaires sont toujours là… »

Un « faux rythme », donc, ou deux années en une : « un premier semestre globalement dynamique, mais un tassement à la rentrée, suivi d’une stagnation plus ou moins marquée en fin d’année », résume Philippe Carrier.

+9 % : c’est la hausse moyenne des chiffres d’affaires des entreprises en Haute-Savoie. Une moyenne qui cache évidemment de profondes disparités entre secteurs. Mais cette moyenne est à +13 % sur le plan national.

Le point, secteur par secteur :

Industrie

Christophe Coriou, secrétaire départemental du Medef, enfonce le clou, énumérant quatre constantes pour l’industrie en 2021 et 2022, dont seule la dernière est plutôt positive : « Un quart des entreprises que nous interrogeons nous disent que les tensions sur le recrutement freinent leur développement. 85 % craignent les prochains départs à la retraite de compétences clés, notamment d’opérateurs industriels. C’est leur première préoccupation, devant celle des approvisionnements, qui est le deuxième sujet. Un container de 40 pieds coûtait 1 500 dollars en 2020, c’est 15 000 aujourd’hui. Dans le même temps, la tonne d’acier plat est passée de 700 à 1 500 euros, la ferraille de 165 à 500 euros la tonne, la poudre de tungstène de 9,65 à 40 euros le kilo. La troisième constante découle de la deuxième : les marges des entreprises sont en train de se tasser et de peser sur les investissements. Il ne faudrait pas qu’ils se tarissent ! Quatrièmement, et c’est la bonne nouvelle, la situation financière des entreprises reste plutôt bonne dans le département. Le capitalisme familial a préservé l’outil industriel, et les aides d’État sont saluées par tous. »

Décolletage

« Faux rythme », également, pour Camille Pasquelin, secrétaire générale du Syndicat national du décolletage. « Nous avons vécu un début d’année plutôt dynamique, notamment pour l’automobile, puis un impact très fort de la crise des semiconducteurs, et un dernier trimestre très dégradé. Au final, le secteur automobile termine sur une baisse sans doute de l’ordre de 10 à 15 % par rapport à 2020… après une première baisse de 18 % en 2020 par rapport à 2019. L’activité est plus stable pour l’aéronautique, et les autres marchés (luxe, santé…) accélèrent. » Finalement, le chiffre d’affaires du secteur est à 2 milliards, identique à celui de 2020. Et pour 2022 ? « Nous attendons une reprise des commandes auto et une activité soutenue sur les autres marchés. Mais il faut toujours faire avec les problèmes de recrutement, une pénurie des composants qui commence à impacter les constructeurs de machines-outils, et la flambée des prix de l’électricité ». En résumé, « la capacité de répercuter des hausses vers les clients va être déterminante »

Commerce

Les situations sont contrastées pour les commerçants, décrit François Bordelier, directeur général adjoint de la CCI. Ils jonglent souvent avec le yo-yo des règles sanitaires. Globalement, le premier semestre marque une remontée de l’activité, le second un tassement, en dessous des moyennes de long terme. Indication que “la vie d’avant” revient, l’équipement de la personne est plutôt en forme, l’équipement de la maison plutôt à la traîne.

Services

La morosité prévaut également dans le secteur des services, où l’activité a globalement atteint un palier haut dans l’été, avant de reculer en fin d’année. La restauration reste impactée par les mesures sanitaires. L’activité immobilière se dégrade au second semestre. Les transports conservent un bon niveau d’activité, mais la hausse des prix du carburant y rend l’avenir incertain.

Tourisme

Deux années en une également pour le secteur du tourisme : après la saison blanche 2020-2021, l’été s’est plutôt bien passé, sauf sur les “ailes de saison” avec les baisses des tourismes de groupe et d’affaires. L’activité a accusé un retrait de 11 % par rapport à une saison normale lors des vacances de Noël, mais les réservations sont à un bon niveau pour celles de février.

BTP

Pour le BTP, le président de la fédération BTP 74, Olivier Aubert (lire par ailleurs son interview en pages 10-11), déclare une année 2021 « bonne en volume », mais annonce « de grosses difficultés à venir » : « Le nombre des permis de construire accordés a chuté de 20 % en fin d’année. Dans le même temps, la nouvelle réglementation énergétique RE 2020 pourrait renchérir de 15 % le coût de la construction, lorsque le coût des matériaux a lui aussi pris 15 %… Le marché de l’immobilier va-t-il tenir ? »

Artisanat

Le président de la chambre de métiers et de l’artisanat, Olivier Tavernier, confirme la présentation de ses collègues : des secteurs encore en sous-activité, des améliorations, des inquiétudes pour l’avenir… mais « des chefs d’entreprises qui “en veulent” et gardent le moral ».

Agriculture

Changement de discours mais pas de tonalité avec Cédric Laboret. « Je vais vous parler de la pluie et du beau temps », lance le président de la chambre d’agriculture. C’est-à-dire donner de mauvaises nouvelles… « Ce qui nous a le plus impactés en 2021, c’est le changement climatique. La collecte laitière est en baisse. Le gel du printemps a supprimé 50 % des fruits (90 % des poires, 40 % des pommes) et a pénalisé, pour la deuxième année consécutive, la viticulture (-30 % de récoltes). La météo a aussi perturbé les cycles végétaux. Les légumes locaux n’ont pas toujours été dans les rayons au bon moment et, du coup, les consommateurs, qui commençaient à s’approvisionner en circuits courts, ont retrouvé leurs vieilles habitudes. »

Emploi

Difficultés de recrutement ? Ce n’est pas Michel Debernardy, directeur départemental de Pôle emploi, qui va démentir : « En fin d’année, il reste 36 730 demandeurs d’emploi de catégorie A dans le département. C’est 18 % de moins que fin 2020 (ils étaient 44 820). Le taux de chômage s’établit à 6,4 %, parmi les plus bas de France. Satisfaire les besoins des entreprises devient une difficulté majeure sur le territoire. »

Inflation ?

Hausse des prix des matières premières, tensions sur les salaires… Tout est en place pour une reprise de l’inflation ? « Elle a été de 3,5 % en France en 2021, répond Lionel Brunet, directeur de la Banque de France de Haute-Savoie, lorsque la moyenne est à 5 % en Europe. Mais nous ne pensons pas être dans une spirale inflationniste. Concernant le prix des matériaux, notre sentiment est qu’il se trouve actuellement sur un plateau haut. »

L’après-covid ne sera pas mieux

Au fil des interventions, on comprend que les préoccupations liées à la crise sanitaire cèdent le pas devant la nécessité de se préparer à un “monde d’après” marqué par la hausse des prix des matériaux et de l’énergie, les événements climatiques, la nécessité de préserver les terres agricoles… Des chantiers gigantesques ouverts souvent sous la pression politique et dans l’urgence. « Nous connaissions les échéances des nouvelles contraintes réglementaires (fin du moteur thermique, RE 2020, loi sur l’artificialisation des sols…). Nous comprenons leur nécessité, mais il s’agit de chantiers lourds. Et la crise sanitaire est venue “geler” le temps au moment même où nous devions nous y préparer », soupirent les intervenants, qui auraient aimé disposer « d’un peu plus de temps ». Mais cette fois, le gouvernement maintient la pression. Ou est-ce la planète qui ne serait plus en mesure d’en accorder, du temps ?

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