Les 14 et 15 septembre, le district 11 du Cobaty a rassemblé les acteurs de la construction français, italiens et suisses pour un congrès consacré à l’impact du réchauffement climatique sur la ressource en eau.
Les conséquences du réchauffement climatique sont déjà très tangibles dans les Alpes. « Au col de Porte, à 1 300 m d’altitude, les précipitations hivernales sont assez stables mais une part de ce qui tombait sous forme de neige dans les années 1980-1990 est désormais de la pluie », explique Ludovic Ravanel docteur au CNRS et géomorphologue.
Ce spécialiste de l’évolution des milieux de montagne était l’un des invités du district 11 du Cobaty lors du congrès H²0 organisé à Evian les 14 et 15 septembre. « La perte de manteau neigeux dans les Alpes du Nord est de 5 semaines par an par rapport aux années 1970, entre 1 000 et 2 500 m d’altitude. D’ici 2050, Chamonix perdra entre 25 et 45 jours d’enneigement par an, 10 à 15 jours sur les versants les plus hauts et les plus au nord », indique-t-il.
Augmenter les capacités de stockage
Le recul des glaciers (-30 % depuis les années 1980) mais aussi du permafrost (-12 %) et des tabliers de glace (-50 % depuis les années 1950) va déboucher sur une hausse exponentielle des éboulements. « Pour l’instant, la fonte des glaciers se traduit par une hausse des régimes dans les rivières, en juillet et août. Dans 3 ou 4 décennies, les pics se produiront en mai juin », ajoute Emmanuel Reynard, professeur de géographie à l’Université de Lausanne, en insistant sur la nécessité d’anticiper les investissements lourds qui seront nécessaires pour répondre aux multiples usages de l’eau.
« La gestion future de l’eau nécessite d’augmenter les capacités de stockage avec des ouvrages multifonctionnels, une gouvernance plus intégrée afin de coordonner les usages, des mécanismes de priorisation, une meilleure connaissance des demandes en eau », résume Emmanuel Reynard.
Même analyse de Sergio Sordo, ingénieur hydraulogue dans le Piémont, pour qui « la création de bassins artificiels de toutes dimensions, répondant à différents usages est la meilleure solution » pour retenir les grandes quantités d’eau caractérisant les événements critiques de plus en plus fréquents avec le réchauffement climatique. L’enjeu est de pouvoir ensuite réutiliser cette eau, dans les périodes de sécheresse, elles aussi de plus en plus nombreuses.
« La perte de manteau neigeux dans les Alpes du Nord est de 5 semaines par an par rapport aux années 1970, entre 1 000 et 2 500 m d’altitude. D’ici 2050, Chamonix perdra entre 25 et 45 jours d’enneigement par an, 10 à 15 jours sur les versants les plus hauts et les plus au nord. »
Ludovic Ravanel, docteur au CNRS et géomorphologue
Changer de modèle
Expert consultant sur les questions d’eau et d’énergie, Eric Davalle répète depuis 20 ans qu’il est urgent de « sauver l’eau ». « Nous consommons chaque année 4 000 km 3 d’eau alors que 575 000 km3 sont à disposition. La ressource est donc largement suffisante mais elle est très mal répartie puisque 2 milliards d’humains, soit une personne sur 3,5, n’ont pas accès à l’eau potable actuellement », explique-t-il en déclinant une série de moyens d’action.
À commencer par la réduction des pollutions, la lutte contre les pertes sur les réseaux, un usage en cascade de la ressource, l’éducation et la sensibilisation, le contrôle des aides allouées aux pays, etc. « Utiliser de l’eau potable pour arroser son jardin ou alimenter les chasses d’eau n’est vraiment pas rationnel. Il faut arrêter de faire du catastrophisme et se donner les moyens d’agir contre ces gaspillages », souligne Eric Davalle.
Eau et énergie
La ressource en eau est touchée par le changement climatique mais elle constitue aussi un levier pour en limiter, autant que possible, la progression. L’hydroélectricité qui figure parmi les plus anciennes sources de production d’énergie, est ainsi loin d’être dépassée.
« Elle est renouvelable, continue, programmable grâce aux barrages, flexible ; elle participe au nettoyage des fleuves et torrents, réduit les risques de crue et permet un redémarrage du réseau électrique en cas de blackout », ajoute Lorenzo Artaz, ingénieur au sein de la Compagnie valdôtaine des eaux (CVA). Ces caractéristiques plaident en faveur du maintien de l’hydroélectricité et de son développement. « En Italie, une meilleure utilisation de l’eau disponible et la modernisation des installations existantes suffiraient à doubler la production », affirme-t-il.
L’usage énergétique de l’eau se décline de manière plus inédite avec GeniLac, le plus grand (30 km) réseau thermique écologique du monde utilisant l’eau du Léman. Environ 900 millions de francs suisses sont injectés dans cette installation de chauffage basse température et de rafraîchissement qui constitue un des éléments de la décarbonation visée dans le canton de Genève, en parallèle de la mise en œuvre d’autres sources d’énergie.
Les deux boucles (l’une pour le centre-ville de Genève, l’autre pour le secteur de l’aéroport) sont alimentées par de l’eau pompée dans le Léman à une profondeur de 45 m, à une température constante toute l’eau et rejetée dans le Rhône, où la température de l’eau est bien inférieure.
La station de pompage du Vengeron, au cœur du système, constitue une gigantesque cathédrale souterraine dont la construction s’achèvera d’ici un an. « Nous devons trouver les moyens de construire un demain différent mais désirable et enthousiasmant, ce qui implique de rassembler les gens autour de la notion de bien commun », assure Gilles Garazi, directeur exécutif de la transition énergétique des services industriels de Genève (SIG).
GeniLac a inspiré la petite commune haut-savoyarde de Saint-Gingolph qui a mis moins de 3 ans et demi pour faire sortir de terre un réseau de chaleur utilisant également les calories du Léman. « Depuis 20 ans, beaucoup de conférences en politique environnementale sont consacrées à l’urgence climatique. Nous avons voulu essayer une action transformatrice, à toute petite échelle, dans une commune rurale », explique Géraldine Pflieger, son maire, par ailleurs professeur en politiques urbaines et environnement à l’Université de Genève.
Inaugurée, en octobre 2022, la boucle de Saint-Gingolph évite l’émission de 600 tonnes de CO2 par an. Gérée par une régie communale, dotée d’un budget autonome, elle a nécessité un investissement de 2,5 millions d’euros et une forte mobilisation de la commune, notamment pour convaincre chaque copropriété de se raccorder. La plus petite boucle d’eau du monde (1 km) est ainsi celle qui affiche le plus fort taux de raccordement (45 % des logements et des habitants).
1 : c’est la longueur, en kilomètre, de la boucle d’eau de Saint-Gingolph. Elle dessert 24 sous-stations qui passeront à 26 en 2027 losque deux immeubles en construction seront achevés. La puissance libérée par les travaux d’isolation conduits sur les bâtiments permettra des extensions ultérieures.
Une vision transfrontalière
Le congrès H²0 était organisé par le district 11 du Cobaty avec le soutien de la Ville d’Evian et du cluster Eau lémanique. « Qui aurait pu penser que ce thème de l’eau choisi début 2022 soit aujourd’hui le sujet de toutes les inquiétudes ; que nos habitudes, nos métiers doivent s’adapter pour préserver au mieux la ressource », rappelle David Mégevand, le président de la conférence.
Le Cobaty rassemble des acteurs de la construction au sein d’associations elles-mêmes fédérées en district. Le district 11 compte 350 membres appartenant à 9 associations (Annecy, Léman, Mont-Blanc, Aoste, Genève, Lausanne-Vaud Neuchâtel, Valais, Sofia, Liguria). « Le fait de rassembler des territoires transfrontaliers concernés par les mêmes problématiques est intéressant », souligne Chiara Tamburini, membre du comité d’organisation de H²O.
Sophie Boutrelle
Crédit photo : Wikimedia
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