Samedi 27 avril, la fête de la librairie mettra les indépendantes à l’honneur. Un univers à part où l’amour des mots l’emporte sur les maux.
Pour devenir libraire indépendant, il faut assurément savoir tourner une page : celle de la promesse de devenir riche. A moins que la richesse se cache ailleurs que dans le tiroir-caisse. Dans ces milliers de pages qui attendent sur les étagères qu’une main les saisisse et qu’une paire d’yeux les parcourent. Si tel est le cas, le libraire est millionnaire.
« C’est un métier de passion », confirme Romain Cabane, cogérant (avec son ex-épouse Bénédicte), de la Librairie des Danaïdes, à Aix-les-Bains. Avec 14 autres libraires indépendants des deux Savoie, il participera, le 27 avril, à la fête qui leur est dédiée au plan national. « C’est une journée où on peut parler de notre travail », poursuit-il.

Forte de ses deux magasins situés face à face, dont un est dédié au livre jeunesse, la Librairie des Danaïdes compte 15 000 références et réalise un chiffre d’affaires de 650 000 euros. « On a connu une belle croissance post-covid due à l’engouement du public pour le commerce indépendant, mais elle s’est beaucoup ralentie. »
En 2021, à la faveur de la vacation de la boutique d’en face, les deux cogérants décident de franchir le pas de l’agrandissement. Ils y externalisent leur rayon jeunesse. Les effectifs passent alors de trois à six personnes, ce qui, aux dires du responsable, est désormais presque trop. « Mais la Librairie Chemin faisant ayant récemment fermé ses portes, nous pensons pouvoir récupérer une partie de sa clientèle. »
Car, même si le chiffre d’affaires paraît raisonnable, les marges, elles, sont « ridiculement faibles ». « Elles représentent 0,03 % du CA, détaille-t-il. Si j’arrive à mettre 2 000 à 3000 euros de côté en un an, c’est le maximum. » Difficile, dans ces conditions de réaliser des investissements. « Notre point fort étant le conseil et le lien avec nos clients, nous devons mettre l’accent sur la masse salariale, qui représente 22 à 23 % du CA, pour nous différencier des grandes surfaces. »
Jean-Marc Lefèvre, gérant de la Librairie des Aravis (à Thônes) depuis quinze ans, fait à peu près le même constat : « Le modèle de la librairie reste très fragile. » Son affaire, qui dégage un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros avec six salariés, est tirée par la papeterie et les loisirs créatifs (35 % du CA).
« Nous avons beaucoup de clients professionnels dans ce domaine, ainsi que toutes les écoles de la vallée. C’est ce qui nous sauve. » Côté livres, ses choix assumés pour des éditeurs et des auteurs moins connus fait mouche. « Chez nous, les auteurs qu’on trouve ailleurs en tête de gondole ne sont pas systématiquement mis en avant… »
Et sa politique de passer commande quotidiennement, même si elle a un coût (30 000 euros de frais de transport annuels), plaît à ses fidèles qui ont l’assurance d’obtenir rapidement le livre convoité. « En revanche, indique-t-il, nous recevons trop de livres qui ne correspondent pas à ce qu’on a choisi. » Des « offices » dans le jargon de la librairie, qui impliquent des frais de port, aller et retour, coûteux, et qui sont remboursés à 60 jours. « Ça pénalise nos trésoreries.»

« Les offices permettent parfois d’éviter de passer à côté d’un best-seller, tempère Philippe Flez, gérant de la librairie Birmann (Thonon-les-Bains et Anthy-sur-Léman). Mais les éditeurs sortent trop de bouquins, dont beaucoup sont inutiles. Cela devient compliqué de faire nos achats. » 200 nouveaux titres sortent en effet chaque jour…
A la tête de deux magasins employant 21 personnes, Philippe Flez, qui a pris la succession de son père en 1989, croit au rôle du libraire indépendant : « Nous sommes là pour essayer de trouver des auteurs différents d’Amélie Nothomb, qui n’a pas besoin de nous pour exister. Pour dénicher des petites pépites». L’entreprise réalise 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour un résultat net d’à peine 7 000 euros l’an dernier.
« La papeterie, qui représente 30 % de notre activité, nous permet de récupérer de la marge », dit-il.
Une marge dans laquelle s’écrivent noir sur blanc de nouvelles aventures, comme autant de trésors immatériels.
Animations

Toutes les librairies proposent également des animations, dont des rencontres avec les auteurs. La question de la rémunération de ces derniers est un réel frein pour nombre d’entre elles qui font alors le choix de n’inviter que ceux qui interviennent gratuitement.
Boire ou lire, il faut choisir ?
Boire ou lire : c’est le dilemme proposé sur un plateau par les librairies-café. La lanterne qui rugit, à Lescheraines, est de celles-ci. Elle termine sa première année d’existence. Gérée par une association, elle connaît un succès croissant qui lui a permis de passer de 1 500 références à l’ouverture à 5 000 aujourd’hui.
« C’est la seule librairie des Bauges qui s’avère être un territoire de gros lecteurs !« , s’enthousiasme Isabelle Artus, une des six coprésidentes. « Notre projet était dès le départ de permettre l’accès à la culture sur le territoire et d’avoir un lieu d’échange ».
Le café, qui représente 10 à 15% de l’activité, propose aussi une petite restauration le midi, très appréciée des locaux comme des randonneurs et autres touristes. Ils y découvrent par la même occasion les choix « engagés » des libraires et repartent parfois avec un volume sous le bras.

A Annecy, les cogérantes de la Librairie-café Antiope, Bénédicte Amblard et Isabelle Mealhie, ont voulu « désacraliser » le lieu en y créant un café dès l’ouverture en 2018. « Les gens s’arrêtent prendre un café en terrasse ou dans notre salle au sous-sol, raconte Bénédicte Amblard. Cela rajoute à la convivialité. » Il participe pour 20 à 25 % du chiffre d’affaires (qui est 230 000 euros) de la boutique dont les rayons féminisme, poésie et photo d’art sont particulièrement fournis (8 000 références au total).

Une fête, un livre, une rose
Partout en France, les 650 librairies indépendantes participeront le 27 avril à la 26e édition de la Fête de la librairie organisée par l’association Verbes. Un événement qui défend le travail de ces professionnels. Pour l’occasion, chaque librairie participante offrira un livre inédit à ses clients, édité à 25 000 exemplaires. Intitulé Les Animaux de personne, les animaux de tout le monde, il réédite vingt poèmes de Jacques Roubaud, l’un des plus grands poètes troubadours vivants français. Chacun de ces textes est enluminé de dessins du peintre Edi Dubien. Enfin, la plupart des librairies accompagneront ce bel ouvrage d’une rose.

Les librairies participantes dans les Savoie sont : Garin (Chambéry), Les Danaïdes (Aix-les-Bains), La Lanterne qui rugit (Lescheraines), Antiope-café (Annecy), Rue de Verneuil (Annecy), Imaginaire (Annecy), Lettres libres (Bonneville), Majuscule-Birmann (Thonon-les-Bains), Climat (Thonon-les-Bains), les Aravis (Thônes), la Maison de la presse (Chamonix), Landru (Chamonix), Les Carnets d’Albert (Sallanches), Livres en tête (Sallanches), Histoires sans fin (La Roche-sur-Foron).
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