Adoptée sans bruit fin octobre, la loi dite Asap programme plusieurs changements au niveau des évaluations environnementales. Que ce soit pour les projets industriels (installations classées) ou pour les unités touristiques nouvelles (UTN) en stations.
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«Je suis surpris : je n’étais pas au courant de ces changements alors que nous sommes en pleine discussion avec les ministères sur les procédures UTN et qu’une réunion était programmée en décembre.»
Vincent Neirinck, chargé de mission de Mountain Wilderness, association environnementale spécialisée sur la montagne, a du mal à comprendre. D’un côté, le gouvernement discute avec tous les acteurs concernés – dont les associations – d’une adaptation du cadre réglementaire des UTN (unités touristiques nouvelles), car un décret en Conseil d’Etat est venu changer la donne il y a un an et demi.
De l’autre, il découvre que la loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap), adoptée définitivement fin octobre par l’Assemblée et le Sénat, modifie déjà certaines procédures UTN… sans que personne n’ait été prévenu.
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Un «fourre-tout» aux multiples conséquences
De l’aveu de ses opposants mais aussi de certains spécialistes du droit, la loi Asap est au final un vaste «fourre-tout». Le fruit d’un texte commun à l’Assemblée et au Sénat rédigé en commission mixte paritaire et d’amendements gouvernementaux parfois très contestés, comme celui sur l’article 25, refusé une première fois et remis tardivement sur la table par le gouvernement dans un hémicycle quasi vide et entérinant la suppression de l’enquête publique, remplacée par une consultation en ligne pour des projets soumis à autorisation.
Régionalisation des chambres d’agriculture, cahier des charges pour les créations de nouvelles structures d’accueil de la petite enfance, installations classées, éolien en mer… les sujets balayés par la loi Asap sont multiples.
Et parfois loin d’être anodins. La loi relève ainsi à 100 000 euros le seuil rendant un appel d’offre obligatoire pour les travaux commandés par les acteurs publics et leur permet aussi de s’exonérer de mise en concurrence pour un motif «d’intérêt général» ou en cas de «circonstances exceptionnelles». De quoi faire bondir les associations Anticor et Transparency international, comme nous l’expliquons dans Eco Savoie Mont Blanc du 27 novembre 2020.
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2017 : un premier retoquage sur l’absence d’évaluation environnementale
En ce qui concerne les UTN, la loi Asap supprime l’évaluation environnementale systématique. Elle ne restera obligatoire que pour les UTN locales «susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement».
Pour les autres, c’est un décret en Conseil d’Etat qui fixera les critères en fonction desquels cette étude sera prescrite ou non. Y compris pour les UTN structurantes : cette évaluation pourra être décidée « au cas par cas ». En outre, la participation (et donc l’information) du public en amont du projet devient 100% dématérialisée, sauf quand «l’état de la couverture numérique du territoire est susceptible de ne pas permettre la participation effective du public par voie électronique».
S’il n’est pas complètement déroutant, cet allègement des procédures d’évaluation environnementale étonne tout de même : il y a un an et demi c’est notamment parce que ces évaluations systématiques avaient (déjà) été supprimées que le Conseil d’Etat avait retoqué le décret du 10 mai 2017. Pourtant, cette fois c’est le Conseil constitutionnel qui avait été saisi par l’opposition suite au vote de loi Asap mais dans sa décision du 3 décembre il n’a rien trouvé à redire sur cet aspect là, ni sur les autres modifications apportées par la loi aux évaluations environnementales.
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«A l’Etat de fixer le cadre»
«Le fait de supprimer l’évaluation environnementale systématiques pour les UTN prévues dans des Schémas de cohérence territorial [NDLR : Scot, eux même soumis à cette évaluation] est problématique, rappelle Vincent Neirinck. Les Scot, ce sont des déclarations d’intention. Les projets d’UTN y sont parfois présentés de manière très légère, sans éléments techniques ou financiers dignes de ce nom. On engage le territoire sur le très long terme sur des bases très faibles.»
A ses yeux, l’allègement des procédures tel que prévu dans la loi Asap vient à contre-courant de l’histoire. «Tout le monde parle de changement climatique, de développement durable mais maintenant il faut passer aux actes ! Nous sommes à un tournant majeur et il faut que l’Etat prenne ses responsabilités. C’est à lui de fixer le cadre de ce qu’il est possible de faire et ce n’est pas en allégeant les procédures d’évaluation environnementale que l’on va aller vers une meilleure prise en compte de l’environnement.»
Ironie du calendrier, la France occupe cette année la présidence à la fois de la Convention alpine et de la Stratégie de l’Union européenne pour la région alpine (Suera ou Eusalp en anglais). L’occasion pour Mountain Wilderness d’organiser – avec le soutien de la Suera – des Etats généraux de la transition du tourisme en montagne. Des sessions régionales ont déjà eu lieu, comme en Tarentaise en octobre. La session générale, initialement prévue cet automne, devrait se dérouler, elle en juin voire en septembre 2021.
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