Sécheresse : une pluie d’inquiétudes pour l’agriculture

par | 11 août 2022

Aucune filière de l’agriculture n’est épargnée par la sécheresse. Une situation inédite à laquelle chacun essaie de s’adapter du mieux qu’il peut.

Des prés jaunes en plaine comme en moyenne montagne. Des ruisseaux à sec. Des réserves de foin d’hiver déjà entamées. De l’eau qu’il faut monter en alpage. Des légumes qui sèchent sur pied. Des arbres fruitiers et des vignes qui meurent… l’agriculture des Savoie est sous le grill. « La situation est globalement la même partout, résume Cédric Laboret, président de la Chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc. Les secteurs qui ne souffrent pas n’existent pas. »

L’élevage bovin laitier, dominant dans le paysage agricole, est confronté à des problèmes en cascade. Premier d’entre eux : la ressource alimentaire des troupeaux. Si ces derniers ont pu brouter une première fois les parcs, ils n’ont pas tous pu y retourner pour une seconde coupe. L’herbe n’a pas repoussé, par manque d’eau.

« Il y a des éleveurs qui nourrissent déjà leurs vaches au foin à 100 % », détaille le président. Alors que ce foin est d’ordinaire destiné à l’alimentation hivernale. « On en donne quasiment tous, précise-t-il, soit dans les étables, soit en extérieur. » Ceux qui ont la chance de disposer de maïs vert leur en distribuent déjà.

« On prélève sur nos stocks hivernaux, ce qui nous interroge : où va-t-on pouvoir en acheter et à quel prix ? » Car les récoltes de foin n’ont pas été aussi abondantes que les autres années et le regain inexistant. Un constat réalisé tant dans les Savoie qu’ailleurs en France, d’où la crainte de cours en forte hausse et de difficultés d’approvisionnement.

Les alpages tirent globalement un peu mieux leur épingle du jeu, mais sont aussi confrontés au manque d’herbe ou d’eau. Crédit photo : SyB

Une chose est sûre : les exploitants ne seront pas « dans les clous » du cahier des charges des appellations d’origine protégée (AOP) et des Indications géographiques protégées (IGP) des Savoie. Ceux-ci limitant, pour la plupart, l’apport de foin non originaire de la zone de l’AOC ou de l’IGP, dans l’alimentation des vaches. En beaufort, il est même interdit d’en donner en été. Du coup, les organismes de défense et de gestion (ODG) de chaque fromage sont en train de faire des demandes de dérogations exceptionnelles à l’INAO. Le conseil d’administration du Syndicat de la tome des Bauges devait se réunir mercredi 10 août pour décider ou non de demander une telle dérogation.

Celui du beaufort a tranché mardi 9 août : « Nous allons faire une demande, le but étant de maintenir nos animaux en bonne santé, explique la directrice du Syndicat de défense du beaufort, Caroline Glise. S’il n’y a plus assez d’herbe, il faudra bien les nourrir avec autre chose. » Elle précise que l’objectif n’est pas de « maintenir une production de lait à tout prix, mais de passer une période compliquée ». La production a d’ailleurs déjà chuté de 15 % dans la zone beaufort. Le Syndicat interprofessionnel du reblochon a quant à lui envoyé sa demande il y a une quinzaine de jours.

« Nous sommes en train d’échanger avec l’INAO pour nous caler sur les modalités de cette dérogation », indique Marie-Louise Donzel, présidente. Elle portera vraisemblablement sur la hausse des pourcentages d’apport de foin extérieur et sur le nombre de jours de pâture autorisés. Là aussi, la production a baissé de 15 à 20 %.

Au manque d’herbe s’ajoute parfois le manque d’eau. « Dans les Bauges, des alpagistes vont descendre cette semaine, constate Cédric Laboret. Mais c’est compliqué, car en bas, il n’y a plus d’herbe, donc on préfère rester en altitude, quitte à monter de l’eau. »

Pression

L’OFB procède à des contrôles sur l’utilisation de l’eau dans les exploitations agricoles. « Les agents ne sont pas toujours bien formés, déplore Cédric Laboret, et ne connaissent pas si bien que ça la réglementation. » Le président s’interroge par ailleurs sur l’interdiction d’irriguer les cultures, prise en même temps que celle d’arroser les stades de foot. « Demain, il faudra prioriser les choses ! », lance-t-il.

Des vignes en souffrance

Sur ces vignes de 20 ans, le stress hydrique est notable. Crédit photo : Julien Barlet.

C’est bien connu : la vigne aime se gorger de soleil. Mais trop, c’est trop ! « Elles préfèrent les années à dominante solaire, confirme Julien Barlet, président de la Fédération Savoie Bugey Dauphiné, mais elles ont aussi besoin d’eau. » Cette année, des ceps crèvent sous le soleil. Du jamais vu en Pays de Savoie.

« Ce sont surtout les jeunes qui sont touchées, poursuit-il. Tous les remplacements effectués dans les rangs ne passeront pas l’été. » Dans des parcelles affaiblies par la grêle de l’année dernière, la sécheresse a aussi raison des derniers efforts de survie des pieds de vigne.

« Globalement, le manque d’eau aura des conséquences sur les rendements, explique Julien Barlet. Selon les variétés et les expositions, les vignes se stressent, elles perdent leurs feuilles et ne peuvent plus réaliser la photosynthèse. Du coup, le raisin s’arrête de mûrir. Il faudrait de l’eau avant les vendanges. » Ces dernières seront précoces (fin août, début septembre) avec une « récolte moyenne en quantité ». « La qualité sera au rendez-vous, promet le vigneron de Jongieux, avec des arômes atypiques de raisin bien cuit. » Certes !

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Coup de chaud sur l’arboriculture

Des arbres qui meurent, de petits fruits, un impact sur la récolte de l’année prochaine… Les arboriculteurs des Pays de Savoie sont soucieux.

« Les pommiers et les poiriers n’aiment pas les températures supérieures à 30 degrés. Au-delà, l’arbre se bloque et les fruits ne grossissent plus. » Jean-Luc Girardin, président du Syndicat des fruits de Savoie (qui regroupe environ 75 arboriculteurs dans les deux départements), résume en deux phrases la situation à laquelle sont confrontés tous ses confrères. Les fruits seront petits cette année. Et seront donc moins bien valorisés. « Ils partiront en compote ou en jus, à des prix moins élevés », regrette-t-il. Pourtant, ils sont plutôt « sains et sucrés ».

Certaines variétés de poires, comme ici la conférence, supportent mal les grosses chaleurs. Crédit photo : Jean-Luc Girardin

« On s’inquiète également pour certaines variétés, on craint que les fruits ne parviennent jamais à maturité. » Moins bien irrigués par l’arbre dont les feuilles tombent, ils pourraient jaunir avant la récolte, ou se décrochent, tout simplement La question de la conservation se pose aussi : « On ne sait pas comment ils évolueront », s’interroge le président. S’ajoute encore à toutes ces inconnues, le problème de la précocité, pas toujours en adéquation avec le marché.

« On est obligés de ramasser certaines variétés de plus en plus tôt alors que les gens sont encore sur les fruits d’été. Cela génère des frais supplémentaires pour les stocker à 0 degré. » Les poires william, dont il vient de commencer la récolte, ne se conservent par exemple que 2,5 mois et ne sont habituellement pas commercialisées avant le 15 septembre. « On aura moins de temps pour les écouler », soupire-t-il.

A plus long terme, des conséquences pourraient encore se faire sentir, car « les arbres ne font pas de réserve, ce qui pourrait entamer la récolte de la saison prochaine » et les affaiblir. Certains, dont les feuilles sont tombées, se mettent à faire des fleurs, comme au printemps.

« Ce sont les fleurs qu’on n’aura pas en mars-avril. » Pire encore, une mortalité « importante » est constatée sur les végétaux affaiblis ou plantés il y a moins de trois ans. « Cela équivaut à des pertes sur plusieurs années. »

Peu équipée pour l’irrigation, la profession en fait aujourd’hui un thème de réflexion très sérieux. « Ce qui pourrait nous sauver, ce seraient des retenues collinaires », évoque le président. « Ou la récupération des eaux usées, comme en Israël, qui en recycle 96 %. Plus près de nous, l’Italie en recycle 15 % alors qu’en France, c’est à peine 0,2 % ! » Des négociations sont en cours avec Grand Chambéry pour étudier cette possibilité nécessitant des filtrations supplémentaires, notamment pour capter les métaux lourds.

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