Avec ses 10 000 m² (contre environ 500 m² lors de sa création en 1985 !), le Marché international du film d’animation d’Annecy (Mifa), qui s’est déroulé du 10 au 13 juin 2025, a de nouveau attiré des milliers de professionnels du monde entier (près de 18 000 accrédités Festival et Mifa cumulés, un nouveau record).
Mardi 10 et mercredi 11 nous avons arpenté les allées du vaste chapiteau installé dans les jardins de l’Impérial. Une visite sans but précis, si ce n’est d’ouvrir les portes aux lecteurs d’Eco de ce qui constitue le plus grand marché du film d’animation au monde, l’année où il fête ses 40 ans.
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Cet article complète celui publié dans Eco Savoie Mont Blanc daté du 13 juin. Si l’article version papier s’intéresse surtout à la conjoncture et à l’état de la filière en France, cet article web propose une découverte intérieure, à travers quelques rencontres, fortuites ou intentionnelles.
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Au Maroc, la filière s’esquisse

« Même dans les domaines que vous citez, le Maroc n’est pas uniquement un sous-traitant ! Nous avons nos propres productions et elles se développent. Et c’est vrai aussi en matière de cinéma et d’audiovisuel. »
C’est avec le sourire que Younès Oualhadj, l’un des représentants du Centre cinématographique marocain (CCM) sur le Marché international du film d’animation d’Annecy (Mifa), répond à notre petite pique : « après le textile et l’industrie, voilà le Maroc prêt à jouer les sous-traitants pour les studios français ? »
Le royaume participe à son deuxième Mifa (le premier était l’an dernier). Avec une ambition affichée : promouvoir sa filière naissante en animation.
« Notre pays est déjà connu pour le cinéma live motion ; nous accueillons de très nombreux tournages internationaux et nous avons des contacts avec de prestigieux studios et réalisateurs. Mais à présent nous voulons aussi développer l’animation, ainsi que le gaming [programmation de jeu vidéo], en nous appuyant sur la base que constituent nos formations en développement informatique, qu’il nous faut maintenant orienter aussi sur ces activités. »
Si le premier long métrage “made in Morocco”, Malik, de Khalid Nait Zlay sortira dans quelques semaines et si un court métrage, Harun et Mamun de Jihane Joypaul, a été présenté aux Pitchs Mifa, le CCM est donc moins là pour vendre les productions de ses rares studios (dont Artcoustic, qui produit Harun et Mamun) que pour « venir trouver de nouvelles collaborations, de l’expérience et des contacts avec des organismes de formation et des écoles (2D et 3D) susceptibles de venir s’installer au Maroc. »
Main-d’œuvre disponible, aide des pouvoirs publics et proximité géographique de l’Europe complètent l’éventail des atouts que le CCM met en avant auprès de ses visiteurs sur le Mifa.
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Pour la première fois, l’Australie joue collectif
Si certains studios australiens sont des habitués du Mifa, pour la première fois Australia Animation a souhaité avoir un stand collectif sur le plus grand marché du film d’animation au monde.
Michael Pattison, responsable de production du studio Dave Entreprises, qui avait déjà participé trois fois à titre individuel à l’événement a été de ceux qui ont suggéré cette présence groupée. « Cela nous permet d’être plus visibles et de mieux promouvoir la filière », souligne-t-il
« L’animation australienne connaît un moment de gloire sur la scène mondiale, avec Bluey, la série la plus diffusée aux États-Unis en 2024 et un long métrage en préparation, et Mémoires d’un escargot d’Adam Elliot, qui a remporté le prix du meilleur long métrage à Annecy l’année dernière et a été nominé aux Oscars », complète, dans un communiqué, Kate Marks, PDG d’Ausfilm, le bras armé de l’industrie cinématographique australienne au sein duquel sont réunis acteurs économiques et pouvoirs publics.
C’est donc le bon moment pour la filière pour se promouvoir à l’international, tant en termes de diffusion de ses productions qu’au niveau de ses collaborations potentielles sur des projets internationaux.
Les studios australiens sont déjà réputés en la matière, souligne Michael Pattison, de la pré-production (stroryboarding, design…) à la post-production (notamment les effets spéciaux : la nation des kangourous a consolidé sa réputation en la matière en œuvrant sur plusieurs super-productions de Marvel, y compris très récemment)
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La bande-annonce de Mémoire d’un escargot, film australien primé à Annecy (Cristal du long métrage) en 2024 :
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Et pour séduire, les « Wallabies de l’animation » ne se contentent pas de leur belle carte de visite : ils vantent aussi les avantages fiscaux et les soutiens publics. « Notre présence à Annecy est également l’occasion de promouvoir le système australien de compensation de 30 % pour la postproduction, les effets numériques et visuels, qui offre une valeur ajoutée significative aux partenaires internationaux souhaitant collaborer avec les studios australiens », poursuit Kate Marks.
Et sur le stand, les murs promettent aussi jusqu’à 40 % d’abattements fiscaux. « Sans les soutiens publics il est impossible de boucler des projets », confirme, cash, Michael Pattison. Pour autant, pas question d’une course aux bas coûts. « Les coûts de production ont augmenté et l’IA va venir bouleverser la donne. Dans ce contexte, nous [en Australie] misons sur la qualité, plutôt que sur le “pas cher”. »

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28 structures (essentiellement des studios) et une cinquantaine de personnes au total composaient la délégation australienne sur le Mifa. Rendez-vous en 2026 pour voir si Ausfilm vient tourner le 2e épisode.
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« What an amazing place ! »
Dans une foule venue du monde entier expliquer que l’on est venu au Mifa en vélo depuis son domicile fait tirer des langues aussi envieuses que celle du loup de Tex Avery devant le Petit chaperon rouge.

Si les chapiteaux provisoires qui accueillent chaque année l’événement sont moins luxueux que l’Imperial Palace qui les jouxte, les festivaliers semblent ne pas s’en offusquer, trop heureux d’aller profiter d’une pause en terrasse avec vue sur le lac. Ou de rejoindre Bonlieu (l’un des autres centres névralgiques du Festival/Mifa) à pied via la promenade d’Albigny.
Quand la météo est aussi radieuse que cette année, le Festival et le Mifa sont un formidable vecteur d’image pour le territoire. « What an amazing place ! », m’ont glissé plusieurs de mes interlocuteurs lors de ce reportage.
Au-delà des retombées immédiates, mesurées avec précision lors d’une étude de 2022, l’événement draine à coup sûr un important flux touristique a posteriori.

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Un festival démocratique et apaisé
« Il vous plaît, ce sandwich ? » L’apostrophe souriante émane d’une Londonienne qui m’apprend bientôt qu’elle en est à plus d’une vingtaine de participations au Festival et Mifa et qu’elle a arrêté depuis longtemps d’y compter ses repas pris sur le pouce.
« Les coûts d’hébergement ont augmenté », grimace-t-elle, côté face du bilan. Mais côté pile, elle s’enthousiasme sur le dynamisme de l’événement et sur sa dimension « démocratique, bien moins élitiste que sur d’autres événements ». De fait, tous les âges et tous les looks se côtoient.
Et tous les pays, aussi : 117 au total, cette année, sont représentés parmi les festivaliers et les participants au Mifa.
Est-ce la magie de l’animation, souvent porteuse de messages universels et humanistes ? Ou la beauté calme du lac entouré par les montagnes ? Toujours est-il que l’ambiance dans les allées du Mifa demeure bon enfant dans un joyeux brouhaha polyglotte.


Pour preuve, dans quel autre endroit du monde serait-il possible, en ce moment, que le Québec soit indépendant du Canada sans que cela ne génère de crispation, que l’Irlande soit nez-à-nez avec le Royaume-Uni sans aucun problème de frontière où qu’Israël soit à quelques pas de l’Afrique du Sud (la nation de Mandela a déposé une requête auprès de la Cour de justice internationale pour dénoncer la situation à Gaza) sans que cela ne génère de tension ?
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Biometrics : quand la technologie passe du médical à l’animation
« Nous venons du médical et nous sommes ici pour nous développer aussi sur le marché de l’animation », explique El Mostafa Laasel, directeur général de Biometrics France.
Sur le Mifa, cette PME de l’Essonne (2 M€ de CA, une dizaine de salariés) est venue présenter ses solutions de capture de mouvements (motion capture, ou mo-capt, pour les initiés). En gros, un humain bardé de capteurs effectue des mouvements “en réel” et les données recueillies sont ensuite utilisées pour donner un maximum de réalisme aux images animées (ou pour mieux analyser, quand l’utilisation est à visée sportive ou médicale).
Ingénieur de formation, spécialisé à l’origine dans l’étude de la marche, le dirigeant a fini par reprendre il y a près de 20 ans la société dont il était l’un des fidèles clients.
Depuis, il s’applique à diversifier les marchés et les fournisseurs, ajoutant si besoin sa propre couche de logiciel au matériel qu’il importe, à l’image des tapis de marche “made in USA” qu’il commercialise auprès des établissements de santé et podologues (il a notamment équipé l’hôpital d’Annecy et plusieurs professionnels locaux).
Pour la mo-capt, son fournisseur depuis l’an dernier est le Chinois Nokov, qui gère à la fois matériel et logiciel. Et El Mostafa Laasel, qui a longtemps travaillé, avec une société britannique auparavant, ne tarit pas d’éloges sur son nouveau partenaire : qualité, réactivité…
À l’image de ce qu’il se passe dans d’autres industries, le cinéma d’animation est en mouvements… et la Chine est technologiquement en train de les capturer !
Un espace entier du Mifa est dédié au matériel : tablettes graphiques, ordinateurs, logiciels spécialisés, réalité virtuelle ou augmentée… Si certaines techniques du cinéma d’animation demeurent très manuelles (décors et personnages “physiques”, capture image par image…), la numérisation est malgré tout massive et génère des problématiques proches de celle de l’industrie productive : gestion des flux, compatibilité des systèmes entre les différents intervenants de la chaîne, logiques d’optimisation des délais et des coûts…
Sans oublier l’émergence de l’intelligence artificielle, qui pourrait modifier en profondeur l’écosystème.

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Face à l’intelligence artificielle générative, la CGT donne de la voix (et elle n’est pas la seule)
Si les tensions économiques que traverse la filière animation, notamment en France, génèrent une certaine inquiétude sur l’emploi et les conditions de travail (lire notre article paru dans Eco Savoie Mont Blanc du 13 juin 2025, version papier), l’émergence de l’intelligence artificielle générative (IAG) mobilise aussi la CGT spectacle, qui a pour la première fois pris un stand sur le Mifa cette année.
Le syndicat craint pour l’emploi et demande des évolutions réglementaires de manière à bien cadrer l’utilisation des IAG mais aussi à conditionner les aides publiques au recours à une main-d’œuvre humaine.

Dans une synthèse de 2023, le Syndicat français des artistes interprètes (rattaché à la confédération CGT) identifiait déjà les dangers : doublages et voix off remplacés par des voix de synthèse; recréation de voix (personnes vivantes ou défuntes) à des fins commerciales ou, pire, de détournement non consenti; programmes permettant de modifier l’expression des visages pour mieux “coller” à une voix de synthèse dans une langue étrangère; création de fausses images (infox)…
Le document pointait aussi le risque environnemental (les IAG sont très énergivores) mais également les risques de standardisation progressive des contenus, les IAG étant davantage influencées par les contenus les plus diffusés et regardés, cela peut entraîner un cercle vicieux.
Plus récemment, le 6 juin, la CGT a signé une tribune avec d’autres organisations de salariés et d’auteurs interprètes à l’international (Belgique, Espagne, Irlande, Pays-Bas). Elle a servi de base à une mobilisation sur le Pâquier, à Annecy, pendant le Mifa, jeudi 12 juin 2025.
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Combat perdu d’avance ?
Si les risques de casse sociale et de dérive morale sont réels, ce combat n’est-il pas perdu d’avance à l’image de celui des charretiers lors de l’apparition de l’automobile ? « Non. D’abord parce que les seuls combats perdus d’avance sont ceux que l’on ne mène pas et ensuite parce qu’avec les IAG, il n’est pas uniquement question d’évolution technique, c’est aussi une question morale », insiste Joachim Salinger, du SFA-CGT
« Sans le travail humain, il n’y a pas de richesse, pas d’âme, pas de talent. Une œuvre sans l’humain, est-ce encore une œuvre ? »
Joachim Salinger – SFA-CGT
Dans un premier temps, les employeurs (studios) pourraient marcher main dans la main avec les salariés afin d’exiger une rémunération de la part des entreprises créatrices d’IAG pour la phase d’entraînement de leurs modèles, car cet entraînement est basé sur l’utilisation d’un existant normalement soumis à la législation sur les droits d’auteurs et les droits voisins.
Mais ensuite les intérêts divergeront, au moins en partie. Toutefois, les studios auraient tort de croire que l’IA sera une poule aux œufs d’or leur permettant d’optimiser leurs coûts RH : dans un rapport de 2023, Goldman Sachs estimait que « l’IA générative pourrait exposer l’équivalent de 300 millions d’emplois à temps plein à l’automatisation ». Penser que seuls les salariés sont menacés et pas certaines des structures qui les emploient serait faire preuve d’une bien courte vue.
Évidemment, le journalisme est lui aussi sous la menace de l’IA. Et si nous ne pouvons pas vous promettre que ça sera toujours le cas dans 10 ans, sachez qu’au moins pour cette édition du Mifa 2025 l’article que nous vous présentons ici a été réalisé sans aucun recours à l’intelligence artificielle !
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Le Socle à contre-temps
Si les organismes de formations initiales (instituts, écoles…) sont nombreux à avoir un stand sur le Mifa, plus rares sont les structures dédiées à la formation continue.
Le Socle (siège : Angoulême) en fait partie. C’est la 6e participation de cette TPE agile (3 permanents et une équipe de formateurs mobilisée au gré des besoins), qui propose des formations finançables par les Opco d’une durée de 15 jours à 1,5 mois.
« Si nous revenons c’est que c’est intéressant pour nous ! », sourit Mia Billard, directrice adjointe. « Ce n’est pas ici que nous allons remplir notre carnet de commandes. Pour nous, le Mifa est surtout l’occasion “d’être dans la place”, de voir ce qu’il se passe dans la filière, de découvrir les tendances, les évolutions techniques (matériel, logiciels…). Et puis nous rencontrons des “anciens”, qui ont suivi des formations chez nous par le passé et qui ont évolué professionnellement depuis, nous faisons la connaissance de nouveaux intervenants [formateurs] potentiels… »
Pour le moment Le Socle, qui opère aussi en audiovisuel et en cinéma, ne perçoit pas, dans son activité, la crise du secteur de l’animation. « Au contraire, quand la situation se tend, les gens qui perdent leur emploi en profitent pour se former, donc c’est plutôt une période de forte activité pour nous : le contre-coup viendra plutôt lors de la reprise. »

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