Agriculture : enjeux autour de l’installation

par | 17 novembre 2022

Plus de la moitié des agriculteurs prendront leur retraite dans les dix ans à venir. L’installation de jeunes devient un enjeu pour que perdurent les filières locales.

Branle-bas de combat mardi 15 novembre dans les locaux annéciens de la Chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc qui accueillait les troisièmes « rendez-vous de l’installation ». Un événement annuel destiné aux porteurs de projet en agriculture, jeunes, moins jeunes, issus du monde agricole ou non.

« 52 % des exploitations seront à transmettre dans dix ans ou compteront au minimum une place libre au sein d’un Gaec », explique Alexandre Moulin, vice-président chargé de l’installation-transmission. Plus de 40 % de ces opportunités concernent l’élevage laitier (bovin).

« Nous installons 100 % des jeunes qui viennent en élevage laitier, confirme-t-il, mais nous manquons de candidats. » 46 % des porteurs de projet soutenus par la chambre veulent s’installer en bovins-lait, 13 % en maraîchage, 11 % en élevage caprin, 5 % en aviculture…  La grande majorité d’entre eux (55 %) ne sont pas issus du monde agricole. Et de plus en plus de femmes (32 %) sont séduites par ces métiers. La moyenne d’âge est de 27 ans et les reconversions professionnelles apparaissent nombreuses.

Dans les couloirs de la chambre, une cheffe de projet dans une grande entreprise, la quarantaine, se renseigne pour s’installer en arboriculture et poules pondeuses. Nicolas, 43 ans, ex-acheteur et responsable développement durable en Suisse, a tout plaqué pour se lancer en viticulture bio. A la recherche de parcelles vers Marin (Thonon-les-Bains), il se confronte déjà à l’un des freins majeurs à l’installation.

DJA : La Dotation Jeunes Agriculteurs, qui aide à l’installation moyennant un parcours spécifique, est de 52 000 euros en moyenne dans les Savoie. En 2020, 84 jeunes en ont profité et 90 en 2021.

Une centaine de porteurs de projet est venue au rendez-vous de l’installation. Crédit photo : Sylvie Bollard

Le foncier est le premier de ces freins. Prisé et rare, il est en outre souvent soumis à des baux verbaux qui peuvent être remis en question du jour au lendemain. « Quand un jeune reprend une exploitation 250 000 euros et qu’il n’a aucune sécurité sur le foncier qu’il va exploiter, c’est un vrai problème, explique le vice-président. On a eu le cas d’un confrère qui a perdu 11 hectares d’un coup quand la fille du propriétaire des terres qu’il exploitait s’est mariée avec un agriculteur ! » La terre peut également devenir constructible…

Deuxième obstacle de taille : le coût du logement qui s’ajoute à celui des exploitations. Il faut en moyenne débourser 249 000 euros en Haute-Savoie et 200 000 euros en Savoie pour reprendre une exploitation. Et cela peut facilement dépasser les 500 000 euros. L’achat de parts sociales au sein d’un Gaec, solution moins onéreuse, revient en moyenne à 100 000 euros.

Face à de tels montants, la location de tout ou partie du bâtiment et de l’outil est une formule qui se répand. La diversification est une autre piste encouragée. Il s’agit d’installer plusieurs exploitants en Gaec sur une même ferme, y compris dans des domaines différents. Exemple dans l’Albanais, où une exploitation de 50 hectares, autrefois en céréales et pension de génisses, abrite désormais trois agriculteurs : un maraîcher, un éleveur de chèvres et un producteur de lait. « Cela nous a permis d’installer trois personnes au lieu, peut-être, de voir partir ces terres pour l’agrandissement d’une seule exploitation », se félicite Alexandre Moulin qui a lui-même intégré un Gaec il y a douze ans, dans le cadre d’une installation hors cadre familial.

Addear 74, pour l’installation « paysanne »

Créée en Haute-Savoie en 2016, l’Addear (association départementale pour le développement de l’emploi agricole et rural) défend une agriculture basée sur les valeurs de la Confédération paysanne. Son pôle transmission vient lui aussi d’organiser une quinzaine dédiée à l’installation-transmission. Chaque année, l’Addear 74 accompagne une cinquantaine de porteurs de projets. Tous sont en reconversion professionnelle ou hors cadre familial, âgés de 25 à 60 ans. Plus de 50 % d’entre eux désirent s’installer en maraîchage, 30 % en productions végétales autres et 15 à 20 % en élevage (tous animaux).

« Nous proposons un accompagnement personnalisé d’un à trois ans, indique Albe Giovannangeli, animatrice-accompagnatrice du pôle, avec la possibilité de tester l’activité sur un lieu équipé. » A Massongy, Eteaux et Domancy, les candidats peuvent s’essayer sur des productions non pérennes sans avoir encore créé leur société. L’Addear intervient comme une couveuse. Des formations leur sont aussi proposées ainsi qu’un soutien par des pairs et une mise en réseau, essentielle lorsqu’on n’est pas issu de ce milieu.

Le Paysan du marais teste l’association grandeur nature

A Doussard, Laurent Thierry et Fabien Kerbourc’h testent la possibilité de s’associer en maraîchage bio. « Chez nous, vous financez de l’huile de coude et plus de pétrole ! » La formule, imaginée par Laurent Thierry pour expliquer sa démarche à ses clients, ne manque ni d’humour ni de réalisme. Car la tondeuse à gazon est la seule exception au tout manuel que s’est permise l’ex-technicien en bureau d’études. A 37 ans, il travaille seul, depuis 2018, une parcelle de 1,4 hectare mise à disposition par la communauté de communes des Sources du Lac, à Doussard. Une exploitation maraîchère labellisée bio produisant quelque 60 paniers par semaine pendant sept mois.

« Dès le début, j’ai voulu travailler en collectif, explique-t-il, car être seul dans ce métier en l’exerçant comme je l’exerce, c’est très dur. » Entré en agriculture par hasard en découvrant un appel à candidatures de la communauté de communes, Laurent Thierry se lance en 2016 « sans rien y connaître ». Il est alors aidé par un réseau associatif alternatif. « J’avais une envie forte de changer de paradigme », dit-il. Une association est montée pour créer l’exploitation avec trois jardiniers, dont lui.

Deux ans plus tard, la communauté de communes reprend 8 500 m2 et deux jardiniers s’en vont. Laurent Thierry doit se réinstaller, seul, sur 1,4 hectare de prairie. Entretemps, il a découvert le monde paysan et ses valeurs qui font écho à ses convictions personnelles. Il s’appuie donc sur l’Addear 74 (association départementale pour le développement de l’emploi agricole et rural) pour réaliser un test d’activité d’un an et demi durant lequel il est accompagné et au terme duquel une commission valide son projet.

L’entreprise le Paysan du marais est créée, mais son patron est toujours seul… Il accueille plusieurs candidats à l’installation pour des stages et des tests, sans succès. Jusqu’à sa rencontre avec Fabien Kerbourc’h, un ingénieur de 32 ans en reconversion, désireux de s’installer, mais pas en agriculture conventionnelle. Fabien se forme en agriculture biologique et en février 2022, entre officiellement en stage-test de Gaec d’un an sur l’exploitation de Laurent Thierry. En début d’année prochaine, la société commune sera créée. Elle ne changera pas pour autant d’échelle.

« Nous voulons rester sur la même surface pour éviter la mécanisation. Aujourd’hui, notre impact carbone et neutre, voire positif et cela, c’est essentiel pour nous. » Deux serres de plus et la plantation d’arbres à kiwis permettront, d’ici quatre ans, de sortir l’équivalent de deux smic et de passer à 80 paniers. « Nous visons un chiffre d’affaires global de 44 000 euros à quatre ans, contre 20 000 euros en 2022. Ce n’est pas énorme, mais nous ne voulons pas travailler plus de 35 heures par semaine », détaille Laurent Thierry. La richesse est ici bien davantage dans le pré – dont ils veulent enrichir la biodiversité -, et le près – grâce à la richesse des liens qu’ils créent autour d’eux -, que sur les comptes en banque.

Les deux futurs associés veulent construire deux autres serres. Crédit photo : Sylvie Bollard

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