Les arrêts de travail pour maladie longue durée sont au cœur des préoccupations du Plan Régional Santé au Travail 2021-2025 (PRST 4). De nouveaux dispositifs permettent désormais aux salariés et dirigeants d’être mieux à même d’aborder cette forme délicate – et onéreuse – d’absentéisme.
En Auvergne-Rhône-Alpes, dans le cadre du plan régional Santé au travail 2021-2025 (PRST 4), des rencontres départementales se sont succédé pour dispenser une information complète sur les nouvelles dispositions légales en matière de maintien en emploi des salariés en arrêt de travail longue durée pour maladie.
Ce temps d’information animé par Présanse (Prévention et santé au travail) Auvergne-Rhône-Alpes et Cheops (Conseil national handicap & emploi des organismes de placement spécialisés – Cap Emploi), sur une initiative de la DREETS (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) a eu lieu début juin en Savoie, après la Haute-Savoie en décembre 2023.
Un public d’entrepreneurs, médecins traitants et médecins du travail a partagé son vécu en la matière comme autant d’expériences humaines sensibles, pointant souvent un manque de coordination entre les institutions, les professionnels de la santé et les chefs d’entreprise.

Les employeurs se sentent trop souvent tenus à l’écart, selon un témoignage de la salle, malgré « la volonté de bien faire ». Légalement, un arrêt de travail pour maladie marque la rupture du contrat avec l’entreprise. Une contradiction qui pourrait bien être levée grâce aux nouvelles dispositions de la loi du 2 août 2021 visant à renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner santé publique et santé au travail.
12 Milliards d’indemnités
Pour poser le contexte, le dernier rapport de la Cour des comptes (pour l’année 2022) stipule que les dépenses d’indemnisation des arrêts de travail pour maladie du régime général sont passées de 7,7 milliards d’euros (Md€) à 12 Md€ entre 2017 et 2022 (+56 %), quand les indemnités journalières pour accident du travail ou maladie professionnelle s’élèvent à 4,4 Md€ en 2022 (3,8 Md€ pour les congés maternité ou paternité). En Haute-Savoie, le montant des indemnités s’élève à 13,8 M€ pour 100 000 habitants en 2022 . Il est de 19 M€ en Savoie et 14,3 M€ dans l’Ain (Sources : Assurance maladie, Insee).
La même année, en France, 8,9 millions d’arrêts de travail pour maladie ont été enregistrés. Les indemnisations d’une durée supérieure à six mois ont représenté 6 % des cas, 45 % de la dépense. Le motif des arrêts de travail ne serait connu que pour 50 % d’entre eux.
Deux nouveautés sont à la disposition des salariés et des entreprises pour stopper la spirale des arrêts maladie longue durée : la visite de préreprise et le rendez-vous de liaison (voir ci-contre). Deux démarches inédites pour maintenir le lien, dans une situation d’arrêt de travail prolongé pour cause de maladie.
Prévenir… et revenir
Corinne Heiter, directrice adjointe du service AST 74, représente aussi Présanse Aura. Pour elle : « L’anticipation est le mot clé pour réussir le maintien en emploi. Concernant la visite de préreprise, un kit de présentation de ce nouveau dispositif a été conçu dans le Rhône grâce à un partenariat avec les services de prévention et de santé au travail, mais également Cap Emploi, la Carsat, la MSA, l’ensemble des partenaires du maintien en emploi et le soutien de l’Agefiph. »
Autre nouveauté : la visite de mi-carrière, obligatoire vers l’âge de 45 ans, pour cerner et anticiper d’éventuels signes avant-coureurs de lassitude ou des points d’achoppement sur la nature du poste occupé.
Selon le Dr Anne-Sylvie Derain, médecin du travail en Savoie, : « Au bout de six mois d’arrêt maladie, une personne sur deux se retrouve en désinsertion professionnelle, avec des conséquences plus lourdes de type inaptitude, invalidité et chômage… »
Stéphane Paysac, psychologue du travail en Savoie, intervenant pour le compte du réseau Cheops, avance une vérité crue : « Près de 95 % des salariés déclarés inaptes à la suite d’un arrêt de travail prolongé sont licenciés. Ces licenciements pour inaptitude sont en augmentation constante depuis 2013. Ce constat n’est satisfaisant pour personne : ni les accompagnants, ni les salariés, ni les entreprises. »
Les entreprises devront payer plus
Il rapporte aussi que le coût indirect de l’absentéisme pour les entreprises serait de 3 500 € par salarié et par an.
Du reste, l’année 2022 comptabilisait 72 millions de journées non travaillées en France liées à des accidents de travail ou des maladies professionnelles, soit l’équivalent de plus de 300 000 emplois à temps plein (Source : Assurance maladie).
La Cour des comptes, dans son rapport financier sur l’Assurance maladie, termine sur quelques préconisations pour contenir voire réduire le déficit de la sécurité sociale. Outre la « lutte accrue contre les fraudes et les prescriptions de complaisance », une proposition fait réagir le monde économique : la suppression de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours. Cette disposition supposerait « une prise en charge des arrêts de travail, avec maintien du salaire, par les entreprises jusqu’à sept jours, au lieu de trois jours actuellement ».
La Carsat balise le retour à l’emploi

Parmi les acteurs majeurs du maintien en emploi : la Carsat (Assurance maladie). Elle absorbe, à parts égales avec les entreprises, le coût financier des arrêts de travail pour maladie à travers les indemnités journalières reversées aux salariés.
Selon Marlène Guette (photo), responsable adjointe du service social de la Carsat Savoie : « La Caisse nationale d’assurance maladie a une très forte attente envers ses services pour qu’ils se mobilisent dans le champ de la prévention de la désinsertion professionnelle, eu égard au coût financier des indemnités journalières qui impactent son budget. »
Concrètement, au centième jour d’arrêt, le service médical de la Carsat invite certains assurés à rejoindre un service de santé au travail pour envisager une visite de préreprise (lire pages 9 et 10). En parallèle, le service social de la Carsat s’emploie à anticiper d’éventuels aspects collatéraux liés à une interruption professionnelle prolongée : perte de revenus, isolement, aggravation de la maladie, etc.
Aux grands maux… les remèdes nouveaux
Trois nouvelles dispositions complètent désormais la panoplie médico-sociale en faveur du maintien en emploi : le rendez-vous de liaison et la visite de préreprise auxquels s’ajoute la visite de mi-carrière.

La visite de mi-carrière, systématique désormais, est organisée vers l’âge de 45 ans. « C’est un temps pour faire le point sur le maintien en emploi des salariés qui travaillent depuis une vingtaine d’années et qui sont supposés poursuivre leur carrière d’autant. Elle permet d’anticiper, si besoin, des problématiques de santé sur le poste ou des aspects liés à la motivation », présente le docteur Anne-Sylvie Derain, médecin du travail en Savoie.
Quant au rendez-vous de liaison, il est présenté comme « un outil très intéressant pour les employeurs ». Il s’agit de favoriser le maintien du lien entre l’employeur et son salarié pendant l’arrêt maladie.
Jusqu’à présent, il n’existait aucune réglementation : « Certaines jurisprudences ont rendu les employeurs très prudents, c’est pourquoi, ils évitent d’entrer en contact avec leur salarié absent. L’avantage du rendez-vous de liaison, c’est qu’il fournit un cadre réglementaire sécurisé, tant pour l’employeur que pour le salarié. »
Ce temps de rencontre peut être organisé au bout de trente jours d’arrêt de travail, à la demande du salarié ou de l’employeur, lequel a l’obligation d’informer son salarié de l’existence de cette disposition. Le salarié a le droit de refuser de répondre à l’invitation de son employeur, tandis que ce dernier est contraint de l’accepter et de l’organiser dans les quinze jours après une demande formulée par son salarié.
La visite de préreprise, quant à elle, peut également intervenir à partir de trente jours d’arrêt maladie (contre trois mois auparavant). En revanche, il s’agit d’une « recommandation » et non d’une obligation.
Elle est organisée par le médecin du travail et ses services, et l’employeur n’est pas informé de cette rencontre, sauf si le salarié y consent. Toutefois, l’entreprise a le devoir d’informer son personnel de l’existence de la visite de préreprise pendant l’arrêt maladie. Objectivement, il s’agit de préparer le retour dans l’entreprise sur un poste identique ou aménagé, en fonction des échanges avec les professionnels de santé au travail.
Un lieu ressource pour préparer l’après-maladie
La cellule PDP (prévention de la désinsertion professionnelle) créée au sein du Service de prévention et de santé au travail (SPST) est une association départementale d’employeurs agréée par le ministère du Travail. Elle est un peu le “couteau suisse” de la prévention…

Au bénéfice des entreprises et des salariés, la cellule PDP joue un rôle de coordination entre les différents acteurs engagés dans le maintien en emploi. En 2023, une innovation est venue renforcer ce service : la mise en place d’un atelier au cours duquel toutes les pistes d’un retour à l’emploi sont exposées. Cet atelier se vit collectivement ou de manière individuelle, selon les situations. Les questions abordées concernent les transitions professionnelles, la reconversion ou encore le replacement, autant d’issues favorables assez méconnues sur le terrain.
« Nous œuvrons pour que les salariés en arrêt maladie deviennent autonomes rapidement pour être acteurs de leur retour à l’emploi avant que les choses ne se dégradent. Nous leur proposons un panorama complet des dispositifs mis à leur disposition dans la situation d’un arrêt de travail. Ils ont accès à l’ensemble des démarches qu’il est possible de mener durant cette période qui, ne l’oublions pas, est supposée être thérapeutique », résume Laure Graci, conseillère “ressources humaines” au sein de la cellule PDP.
« De nouvelles thématiques seront développées, notamment comment se remobiliser pour le retour vers l’emploi », précise encore la consultante.
Le salarié peut s’inscrire à l’atelier de la PDP sur le conseil du médecin du travail ou des différents partenaires (Carsat, Présanse, Cheops…). Côté employeurs, la cellule PDP permet notamment d’accompagner la mise en place d’une politique interne de maintien du lien pendant l’arrêt maladie d’un salarié.
« Nous constatons par exemple qu’en recevant une proposition de rendez-vous de liaison par courrier, les salariés sont inquiets parce qu’ils ne connaissent pas cette démarche. Si l’entreprise développe une communication autour de ces nouveaux dispositifs, il y a quelque chose de coconstruit et de commun à tous les employés, qui accueilleront mieux ce type de courrier », relève Laure Graci.
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